Page images
PDF
EPUB

compte parmi ses membres les plus influents, des hommes vraiment spéciaux, savants et animés d'un zèle éclairé. On pourrait peut-être lui reprocher d'être un peu trop exclusive. L'enseignement professionnel séricicole n'existe que dans une seule ferme-école située à Masle-Comte, à 10 ou 12 kilomètres de Nimes, et encore n'est-ce que depuis 1851 qu'elle a pu obtenir un magnanier.

Nous avons particulièrement suivi et comparé la marche de la production de la soie, en France et en Italie, comme étant les deux pays plus essentiellement producteurs en Europe.

La Suisse aussi marche, sinon avec rapidité, toujours cependant en avançant : Vaud et le Valais, Berne et Soleure, continuent à planter et élever des vers à soie. La Bavière, le grand-duché de Bade, le Wurtemberg, l'Autriche, la Prusse même, et jusqu'à la Suède, plantent aussi et trouvent de l'avantage à produire de la soie. La Syrie, la Grèce et la Turquie envoient une faible quantité de soies en France. L'Angleterre importe de la Chine et du Bengale. Toutes ces soies se vendent à des prix bieu inférieurs aux nôtres, et ne font aucune concurrence aux soirs de l'occident d'Europe, vu la qualité infiniment supérieure de celles-ci, qui seules peuvent servir à la fabrication des plus belles étoffes, et qui, en outre, sont plus profitables, à cause du déchet bien moins considérable qu'elles font, quand elles sont soumises aux travaux du moulinier et du tisserand. Vous sentez que, comme il s'agit d'une matière première qui a une grande valeur, le plus ou moins de déchet est d'une importance majeure pour le

fabricant 1.

Une once de soie grége lui coûte de 2 fr. à 2 fr. 50, et même 3 fr. pour les belles blanches.

Nous n'avons donc pas à craindre la concurrence des pays d'outre-mer, et nous sommes, nous, agriculteurs genevois, dans les conditions de sol et de climat à produire les soies les plus belles et les plus fines. Nous ne craindrons pas davantage l'excès de production, puisque la demande augmente avec une telle rapidité, que la production ne peut pas la suivre, et je crois que, outre sa propre consommation, l'Europe peut encore pour des siècles à venir, compter pour le débit de ses soies, sur la pratique toujours croissante des États-Unis et de la Polynésie.

Laissons donc ces peuples multiplier et s'enrichir en paix; tâchons de faire tourner leur prospérité à notre bénéfice, et avec avantage réciproque, en nous adonnant à une production qui a augmenté visiblement l'aisance des populations agricoles des départements français, chez lesquelles elle a pris le plus d'extension. Il s'en est suivi, comme l'a très-bien prouvé M. de Lafarelle, un développement intellectuel et une amélioration morale, effets infaillibles de tout progrès dans le bien-être matériel des masses, quoique ce ne soit pas toujours vrai de chaque individu. Cette production a si peu atteint son niveau, qu'elle offre des bénéfices considérables à tous les degrés de l'échelle, elle est un intérêt agricole de premier ordre, et doit être considérée comme une ressource importante dans tous les pays qui peuvent se l'approprier.

399

M. EMILE SOUVESTRE

A GENÈVE.

Un public d'élite se pressait, il y a environ deux mois, dans les salons de la Société des Arts de Genève. A l'expression de joyeuse attente répandue sur tous les visages, on pouvait juger de la curiosité éveillée par les Causeries historiques et littéraires qui allaient commencer. Aussitôt que parut le professeur, les chuchotements cessèrent, l'attention fut au comble, et, l'heure écoulée, la foule ravie fit entendre comme un sourd murmure, pareil au bourdonnement de l'essaim qui s'est arrêté à quelque fleur. Celui qui venait de retenir tant d'auditeurs sous le charme de la parole, c'était M. Emile Souvestre, le biographe ému d'un Philosophe sous les toits.

Pareille cordialité d'accueil n'avait rien que de naturel. Les uns saluaient en M. Souvestre un vieil ami qu'ils connaissaient sans l'avoir jamais vu; les autres le tenaient pour un moraliste aimable; tous voyaient un romancier qui consentait à devenir un causeur.

[ocr errors]

Un causeur? Rien que cela? Pourquoi non? - Ce mot-là dit beaucoup. A Genève, la méditation détrône la causerie. Nous discutons, nous professons, nous raisonnons, nous prêchons: nous ne causons pas ou nous ne causons plus. Cette diction fluide, brillante, ailée, ce tact exquis de tout dire avec mesure, ce talent du coup de pinceau, ou plutôt cet art de laisser dans le clair-obscur ce qu'il serait hardi de mettre trop en lumière, ces vives échappées sur tous les recoins de la carte intellectuelle, en un mot cette grâce abandonnée du tête-à-tête dont loin de Paris quelques esprits délicats possèdent seuls le secret: voilà les plaisirs auxquels les Causeries nous conviaient; voilà ce que chacun voulait goûter.

Ajoutez à cela une autre source d'attrait. Le passé litté

raire de M. Souvestre, autant que sa tournure d'esprit, laissait pressentir qu'il n'apporterait pas à ses auditeurs les opinions d'une coterie, mais l'expression de ses sentiments personnels; tout faisait croire surtout que notre nouvel hôte, au lieu de ne voir que nos défauts et de nous juger d'un trait de plume, se donnerait la peine de nous étudier. Si petit que l'on soit, on tient à l'estime. Trop souvent nos murs avaient donné asile à de prétendus lettrés qui, sans autre passeport que la suffisance, ni de plus lourds bagages que leurs minces mérites, nous regardaient d'un air narquois, s'étonnant que le français fût notre langue. A les entendre, hors de Paris point de salut les Genevois étaient des puritains, Genève un laboratoire d'industriels. Se trompant de temps et de lieu, ces grands prêtres de l'art entraient dans notre cité, comme Louis XIV au parlement, tout bottés, le fouet à la main, et ce mot à la bouche : « La littérature, c'est moi. » Qui ne se rappelle, par exemple, le sans-façon avec lequel un touriste-archéologue, s'écriait, après une nuit passée dans nos murs, qu'il ne savait lequel lui déplaisait le plus, de Genève ou du peuple qui l'habite ? Et auriez-vous oublié cette bouffonnerie d'un spirituel feuilletoniste aux yeux de qui les Genevois sont des quakers? Sans doute, personne ne prend plus au sérieux les malices de M. Raoul-Rochette (de triste mémoire), les plaisanteries de Théophile Gautier, les espiégleries d'Alexandre Dumas, les préjugés venimeux de M. Louis Veuillot: on sourit et on hausse les épaules. Mais le côté grave de ces bagatelles calomnieuses est l'intention qui les dicte. Genève a eu la gloire d'enfanter Rousseau, Bonnet, de Saussure, Mallet-Du Pan, de Candolle, Sismondi, Töpffer et bien d'autres : c'est un tort que l'envie ne lui pardonnera jamais.

Avec M. Souvestre, nous ne pouvions avoir de telles craintes; et les eussions-nous eues, elles se seraient bientôt dissipées devant l'impartialité du moraliste, devant la modestie de l'homme, devant le libéralisme intelligent du

causeur. La clairvoyance de l'instinct a bien servi notre public: il s'est vu en présence d'un esprit large et bienveillant, plus enclin à l'admiration qu'au blâme, et il n'a pas déguisé ses sympathies. Comme Emile Souvestre s'est donné à son auditoire, son auditoire s'est donné à lui : c'était justice.

J'avoue que rarement thème de causerie fut de meilleur choix et plus propre à réjouir les amis des lettres. Il s'agissait de remonter aux sources de notre moderne littérature; de retrouver, à travers les âges, nos lettres de parenté avec la Grèce comme avec Rome, avec les races méridionales comme avec les Barbares du Nord; de crayonner les principaux traits de cette société païenne qui, tour à tour ravie aux rudes accents d'Eschyle, étonnée de la perfection de Sophocle, attendrie de la morale d'Euripide, voyait ses lois, ses mœurs, ses croyances, ses idées se métamorphoser lentement sous les coups d'un Aristophane ou aux bons mots du latin Plaute. Il fallait, à l'aide des Philippiques de Démosthènes, des Catilinaires de Cicéron, des Histoires de Tacite, prouver que tous ces triomphes de l'éloquence et de la pensée appelaient sans doute l'humanité à la vie, mais qu'en découvrant de nouveaux horizons à l'intelligence, ils créaient pour le cœur de nouveaux besoins, de nouveaux désirs, que les religions et les sociétés antiques étaient également impuissantes à satisfaire. Il restait enfin à marquer quel degré d'influence exercèrent les grands hommes de l'antiquité, en même temps qu'à signaler le déclin de ces météores pâlissant aux premiers rayons du soleil de vie; depuis le jour qui se lève sur le Barbare à genoux devant ce qu'il a brûlé, jusqu'à l'heure où l'Eglise, échappée aux persécutions et comme purifiée par le sang de ses martyrs, sort du fond des déserts brillante de clartés, et où, après des siècles de luttes, quelque grand génie, comme Dante, renoue la chaîne des temps, et fait revivre, à travers la foi chrétienne, les traditions du passé.

Voilà certes un programme digne de tout l'intérêt des

« PreviousContinue »