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tout permis pour régner. On ne peut le lier par aucune promesse; il ne croit pas qu'on puisse être à la fois homme. d'Etat et bon chrétien. >>

De la sorte, une ambition effrénée, l'emploi de grands talents pendant plus d'un demi-siècle, des services incomparables rendus à leur faction, avaient conduit la famille des Guise devant la dernière marche du trône, et ce fut le dépit égoïste d'un Guise qui l'empêcha de la franchir.

L'Espagne, depuis la mort de Farnèse, n'agissait plus qu'avec hésitation, sans autorité ni vigueur; le parlement, qui demeurait fidèlement dévoué à l'indépendance du pays, et aux lois fondamentales de l'Etat, reprit du courage et en rendit aux Politiques. Bientôt il n'y eut plus qu'un obstacle à la soumission de la grande masse des catholiques: la religion du roi. Henri IV pouvait-il triompher sans embrasser la communion religieuse de la majorité de son peuple? Les raisons pour et contre cette opinion se trouvent exposées dans les dernières pages de M. Ranke avec autant d'impartialité que de talent. Le roi lui-même résolut cette question dans le sens négatif. Il crut devoir sacrifier sa conviction personnelle à son devoir il envisageait comme tel la pacification de la France, le rétablissement de l'équilibre politique en Europe, et la fondation d'une entière tolérance, qu'il se flattait de pouvoir rendre éternelle. » Il prêta donc l'oreille aux demandes des évêques politiques, dont plusieurs suivaient son camp, aux conseils du sénat de Venise, aux prières du grand-duc de Toscane, Ferdinand Ier de Médicis. Entré le 22 juin 1593 à Saint-Denis, le 25, il était reçu par l'archevêque de Bourges, dans le sein de l'Eglise catholique. Nous ne répéterons pas les expressions trop légères de sa lettre célèbre à Gabrielle d'Estrée, au

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sujet de ce grand changement qui fixa les destinées de la France. Henri IV sauva dans ce pays les deux choses les plus essentielles : l'indépendance et la légitimité. L'indépendance aurait péri sous le règne nominal de Charles de Guise et le pouvoir réel d'Isabelle - Claire - Eugénie, femme d'un caractère énergique, de talents distingués, et qui ne vivait que pour servir la cause de la suprématie espagnole. Et quelles conséquences aurait produit, en France, à la fin du seizième siècle, la destruction du principe de la légitimité? M. Ranke va nous le dire, et nous ne saurions clore notre travail par des paroles plus graves et plus saines: « Avec les pénates d'un Etat monarchique, c'est-à-dire avec sa vie politique, continuée de génération en génération, les pénates de la maison régnante sont, dès le principe, unis de la manière la plus étroite. Les séparer les uns des autres est une chose qui a été tentée souvent avec succès, mais toujours au prix de grands périls et de terribles bouleversements. La légitimité n'est pas seulement un droit héréditaire, mais encore la loi la plus élevée de l'Etat (aussi longtemps qu'il a échappé aux révolutions), et la clef de voûte de tout l'édifice politique'. >>

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GÖRGEI ET LA HONGRIE.

(Second article '.)

(Remarque sur le nom de Görgei. Le vrai nom dont l'auteur se signe est Görgei, et est prononcé par ses compatriotes Gœurgaï. Les écrivains et les imprimeurs étrangers ne se sont pas gênés de le mutiler de bien des manières en en faisant Georgei, Georgey, etc.)

Pendant les courses aventureuses de Görgei avec une portion des forces magyares dans la vallée de la Gran et les villes des Carpathes, la grande armée autrichienne sembla enchaînée comme par une force invisible et resta inactive. Entrée au commencement de janvier 1849 à Pesth-Bude, après avoir fait quarante-cinq lieues seulement en vingt jours et souffert du froid, mais non de l'ennemi, elle semblait appelée à continuer sa marche victorieuse dans les plaines qui s'étendent à l'est des deux capitales. Il fallait occuper Débrecsin, se jeter entre les foyers de l'insurrection du nord et du midi, et opérer promptement contre des forces ennemies déconcertées et disjointes. Rien de tout cela n'eut lieu. Le prince Windischgrætz se laissa égarer par un fantôme de soumission volontaire des Hongrois. Il était connu pour être un amateur passionné de la tenue militaire, des habits bien brossés et du côté artistique d'une troupe, et répugnait à compromettre, au milieu des neiges et des marais de la grande plaine de Hon

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Voyez Bibl. Univ., cahier de novembre 1852, page 261.

grie, la belle composition de son armée en hommes, chevaux, attirail de guerre et pontons neufs. Son mouvement vers l'est fut très-mol, et son avant-garde, la brigade Ottinguer, fut surprise le 23 janvier à Szolnock, près de la Theyss. Les rapides cavaliers hongrois passèrent la rivière et arrivèrent aux abords de Szolnock, avant que les cuirassiers autrichiens eussent sonné l'alarme; tous ceux qui purent, entre autres les généraux, se sauvèrent sur des chevaux à poil; le reste fut sabré ou pris, hommes, chevaux et canons. Durant tout le mois de janvier il ne se passa aucun autre fait, en avant de Pesth, sur le grand théâtre de la lutte.

Il était réservé au vieux général autrichien, Schlick, de hasarder une offensive plus heureuse. Parti de Gallicie et après s'être frayé sa route à travers les Carpathes, il avait défait complétement un corps hongrois destiné à couvrir le nord du pays, et commandé par Meszaros. Les débris de ce corps repassèrent la Theyss et furent mis heureusement sous les ordres d'un nouveau chef, l'habile Klapka. Schlick se vit alors repoussé par Klapka des rives de la Theyss, suivi de près et refoulé vers les montagnes. Cependant le gouvernement de Débrecsin avait été si effrayé de la proximité du corps ennemi de Schlick, qu'il avait dépêché à Görgei l'ordre de venir immédiatement sur la haute Theyss rejoindre Klapka.

Quand cet ordre parvint à Görgei, il était piteusement acculé au fond d'une vallée des Carpathes, à Neusohl, où nous l'avons laissé, et devait s'estimer heureux s'il parvenait à en sortir. Il se mit en marche sur deux colonnes, conduisant l'une en personne, et ayant confié l'autre au colonel Guyon. Il était menacé sur différents points par trois brigades ennemies aux ordres des généraux Gætz,

Deym et Jablonowski, sans parler du landsturm slovaque; l'ennemi se flattait de le renfermer dans les montagnes plus hermétiquement que Fabius ne l'avait pu faire avec Annibal. C'est pendant cette retraite qu'un émissaire du prince Windischgrætz vint offrir à Görgei s'il livrait son armée, «< amnistie et une existence aisée hors de l'empire. Le général fit entrer ses officiers dans la chambre, les mit au fait de la trame et renvoya l'émissaire avec un exemplaire lithographié de sa proclamation de Weizen. Maintien de la constitution et fidélité au roi dans ces limites, tel était l'ultimatum.

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Guyon était un chef audacieux mais négligent; une colonne ennemie le surprit à Iglo dans la nuit du 2 au 3 février, faillit lui enlever son parc d'artillerie, et couvrit son camp de fusées à la congrève. C'est la seule fois que les Hongrois se laissèrent surprendre par les Autrichiens dans cette guerre. Cette nation est vive, alerte et apte à supporter de grandes fatigues, aussi les Autrichiens ne purent rattraper Görgei, qui marchait vite et rompait les ponts derrière lui. Cependant, arrivé devant le défilé de Branyisko, il le trouva occupé par une partie des forces de Schlick, et c'est alors qu'il se vit exposé à être pris comme dans une souricière de montagnes par les ennemis qui le suivaient, si l'armée ne faisait pas un grand effort. Il fallait s'emparer de ce défilé pour pouvoir descendre dans les plaines de la Theyss. Le général choisit les plus mal famés de ses bataillons et chargea Guyon de les réhabiliter, s'il le pouvait, en leur faisant forcer le défilé sans s'inquiéter des ravages quelconques que ferait le feu de l'ennemi dans les rangs; il leur gardait une dent pour la fuite de Hodrics et d'autres cas honteux. Lui-même forma une réserve avec le reste des troupes dont il était sûr, afin

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