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complaifances qu'il m'a fallu mettre en vfage, pour m'introduire à fon feruice; fous quel mafque de fympathie, & de rapports de fentimens, ie me déguife, pour luy plaire; & quel perfonnage ie jouë tous les jours auec luy, afin d'acquerir fa tendreffe, l'y fais des progrés admirables; & i'éprouue que pour gagner les Hommes, il n'eft point de meilleure voye, que de fe parer à leurs yeux de leurs inclinations; que de donner dans leurs maximes, encenfer leurs defauts, & aplaudir à ce qu'ils font. On n'a que faire d'auoir peur de trop charger la complaifance; & la maniere dont on les joue, a beau eftre vifible, les plus fins toûjours font de grandes dupes du coflé de la ilaterie; & il n'y a rien de fi impertinent, & de fi ridicule, qu'on ne faffe aualer, lors qu'on l'aflaifonne en louange. La fincérité fouffre vn peu au meftier que ie fais: mais quand on a befoin des Hommes, il faut bien s'ajufter à eux; & puis qu'on ne fçauroit les gagner que par là, ce n'eft pas la faute de ceux qui fiatent, mais de ceux qui veulent eftre flatez.

ELISE.

Mais que ne tâchez-vous auffi à gagner l'appuy de mon Frere, en cas que la Seruante s'auifaft de reuelcr noftre fecret?

VALERE.

On ne peut pas ménager l'vn & l'autre ; & l'efprît du Perc, & celuy du Fils, font des chofes fi oppofées, qu'il eft diificile d'accommoder ces deux confidences enfemble. Mais vous, de voflre part, agiffez aupres de voftre Frere, & feruez-vous de l'amitié

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qui eft entre vous deux, pour le jetter dans nos interefts. Il vient. Ie me retire. Prenez ce temps pour luy parler; & ne luy découurez de noftre affaire, que ce que vous jugerez à propos.

ELISE.

Ie ne fçay fi i'auray la force de luy faire cette confidence.

SCENE II.

CLEANTE, ELISE.

CLEANTE,

Ie fuis bien aife de vous trouuer seule, ma Sœur; k ie brûlois de vous parler, pour m'ouurir à vous d'vn fecret.

ELISE.

Me voila prefte à vous oüir, mon Frere. Qu'auez-vous à me dire?

CLEANTE.

Bien des chofes, ma Sœur, enuelopées dans vn mot. I'aime.

Vous aimez?

ELISE.

CLEANTE.

Oüy, i'aime. Mais auant que d'aller plus loin, ie fçay que ie dépens d'vn Pere, & que le nom de Fils me soumet à fes volontez; que nous ne deuons point engager noftre foy, fans le confentement de ceux dont nous tenons le jour; que ie Ciel les a faits les maiftres de nos vœux, & qu'il nous eft enjoint de n'en difpofer que par leur conduite;

que n'eftans préuenus d'aucune fole ardeur, ils font en eftat de fe tromper bien moins que nous, & de voir beaucoup mieux ce qui nous eft propre; qu'il en faut plutoft croire les lumieres de leur prudence, que l'aueuglement de noftre paffion; & que l'emportement de la jeunesse nous entraifhe le plus fouuent dans des precipices fâcheux. Ie vous dif tout cela, ma Sœur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire: car enfin, mon amour ne veut rien écouter, & ie vous prie de ne me point faire de remontrances.

ELISE.

Vous eftes-vous engagé, mon Frere, auec celle que vous aimez ?

CLEANTE.

Non; mais i'y fuis refolu; & ie vous conjure encor vne fois, de ne me point apporter de raifons pour m'en dissuader.

ELISE.

Suis-je, mon Frere, vne fi étrange perfonne?

CLEANTE.

Non, ma Sœur, mais vous n'aimez pas. Vous ignorez la douce violence qu'vn tendre amour fait fur nos cœurs; & i'apprehende voftre fageffe.

ELISE.

Helas! mon Frere, ne parlons point de ma sagesse. II n'eft perfonne qui n'en manque du moins vne fois en fa vie; & fi ie vous ouure mon cœur, peut-eftre feray-je à vos yeux bien moins fage que

vous.

CLEANTE.

Ah! plût au Ciel que votre âme comme la

mienne...

ELISE.

Finissons auparauant voftre affaire, & me dites qui eft celle que vous aimez.

CLEANTE.

Vne jeune Perfonne qui loge depuis peu cn ces quartiers, & qui femble eftre faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voyent. La Nature, ma Sœur, n'a rien formé de plus aimable; & ie me sentis transporté, dés le moment que ie la vis. Elle fe nomme Mariane, & vit fous la conduite d'vne bonne Femme de Mere, qui eft prefque toûjours malade, & pour qui cette aimable Fille a des fentimens d'amitié qui ne font pas imaginables. Elle la fert, la plaint, & la console auec vne tendreffe qui vous toucheroit i'ame. Elle fe prend d'vn air le plus charmant du monde aux chofes qu'elle fait, & l'on voit briller mille graces en toutes fes actions; vne douceur pleine d'attraits, vne bonté toute engageante, vne honnefteté adorable, vne... Ah! ma Sœur, ie voudrais que vous l'euffiez veuë.

ELISE.

l'en voy beaucoup, mon Frere, dans les chofes que vous me dites; & pour comprendre ce qu'elle eft, il me fuffit que vous l'aimez.

CLEANTE.

I'ay découuert fous main, qu'elles ne font pas fort accommodées, & que leur difcrete conduite a

de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuuent auoir. Figurez-vous, ma Sœur, quelle joye ce peut eftre, que de relouer la fortune d'vne Perfonne que l'on aime; que de donner adroitement quelques petits fecours aux modestes neceffitez d'vne vertueuse Famille; & conceuez quel déplaifir ce m'eft, de voir que par l'auarice d'vn Pere, ie fois dans l'impuiffance de goufter cette joye, & de faire éclater à cette Belle aucun témoignage de mon amour.

ELISE.

Oüy, ie conçois affez, mon Frere, quel doit eftre voftre chagrin.

CLEANTE.

Ah! ma Sœur, il eft plus grand qu'on ne peut croire. Car enfin, peut-on rien voir de plus cruel, que cette rigoureuse épargne qu'on exerce fur nous? que cette fechereffe étrange où l'on nous fait languir? Et que nous fentira d'auoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne ferons plus dans le bel âge d'en jouir? & fì pour m'entretenir mefme, il faut que maintenant ie m'engage de tous coftez; fi ie fuis reduit aucc vous à chercher tous les jours le fecours des Marchands, pour auoir moyen de porter des habits raifonnables? Enfin i'ay voulu vous parler, pour m'aider à fonder mon Pere fur les fentimens où ie fuis; & fi ie l'y trouue contraire, i'ay refolu d'aller en d'autres lieux, auec cette aimable Perfonne, jouir de la fortune que le Ciel voudra nous offrir. Ie fais chercher par tout pour ce deffein, de l'argent

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