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ment fustigés, on me les conduise tous, sans différer, droit aux bords du fleuve de Léthé 1. Puis, lorsqu'ils y seront arrivés, qu'on me les jette tous, la tête la première, dans l'endroit du fleuve le plus profond, eux, leurs billets doux, leurs lettres galantes, leurs vers passionnés, avec tous les nombreux volumes, ou, pour mieux dire, les monceaux de ridicule papier où sont écrites leurs histoires. Marchez donc, faquins, autrefois si grands héros. Vous voilà arrivés à votre fin, ou, pour mieux dire, au dernier acte de la comédie que vous avez jouée si peu de temps.

CHOEUR DE HÉROS, s'en allant chargés d'escourgées. Ah! la Calprenède! Ah! Scudéri!

PLUTON.

Eh! que ne les tiens-je! que ne les tiens-je! Ce n'est pas tout, Minos. Il faut que vous vous en alliez tout de ce pas donner ordre que la même justice se fasse sur tous leurs pareils dans les autres provinces de mon royaume.

MINOS.

Je me charge avec plaisir de cette commission.

MERCURE.

Mais voici les véritables héros qui arrivent, et qui demandent à vous entretenir. Ne voulez-vous pas qu'on les introduise?

PLUTON.

Je serai ravi de les voir; mais je suis si fatigué des sottises que m'ont dites tous ces impertinents usurpateurs de leurs noms, que vous trouverez bon qu'avant tout j'aille faire un somme.

FRAGMENT D'UN DIALOGUE

CONTRE LES MODERNES

QUI FONT DES VERS LATINS.

APOLLON, HORACE, DES MUSES ET DES POETES.

HORACE.

Tout le monde est surpris, grand Apollon, des abus que vous

laissez régner sur le Parnasse.

'Fleuve de l'oubli. (BOIL.)

APOLLON.

Et depuis quand, Horace, vous avisez-vous de parler français?

HORACE.

Les Français se mêlent bien de parler latin. Ils estropient quelques-uns de mes vers; ils en font de même à mon ami Virgile; et quand ils ont accroché, je ne sais comment, disjecti membra poetæ 1, ainsi que je parlais autrefois, ils veulent figurer avec

nous.

APOLLON.

Je ne comprends rien à vos plaintes. De qui donc me parlezvous?

HORACE.

Leurs noms me sont inconnus. C'est aux Muses de nous les apprendre.

APOLLON.

Calliope, dites-moi qui sont ces gens-là. C'est une chose étrange que vous les inspiriez, et que je n'en sache rien.

CALLIOPE.

Je vous jure que je n'en ai aucune connaissance. Ma sœur Érato sera peut-être mieux instruite que moi.

ÉRATO.

Toutes les nouvelles que j'en ai, c'est par un pauvre libraire, qui faisait dernièrement retentir notre vallon de cris affreux. Il s'était ruiné à imprimer quelques ouvrages de ces plagiaires, et il venait se plaindre ici de vous et de nous, comme si nous devions répondre de leurs actions, sous prétexte qu'ils se tiennent au pied du Parnasse!

APOLLON.

Le bonhomme croit-il que nous sachions ce qui se passe hors de notre enceinte? Mais nous voilà bien embarrassés pour savoir leurs noms. Puisqu'ils ne sont pas loin de nous, faisons-les monter pour un moment. Horace, allez leur ouvrir une des portes.

CALLIOPE.

Si je ne me trompe, leur figure sera réjouissante, ils nous donneront la comédie.

HORACE.

Quelle troupe! nous allons être accablés s'ils entrent tous. Messieurs, doucement : les uns après les autres.

'Lib: 1, sat. IV, V. 62.

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Laissez vos compliments, et dites-nous d'abord vos noms.

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Et ce vieux bouquin que je vois parmi vous, comment s'appel le-t-il ?

TEXTOR.

Je me nomme Ravisius Textor2. Quoique je sois en la compagnie de ces messieurs, je n'ai pas l'honneur d'être poëte; mais ils veulent m'avoir avec eux, pour leur fournir des épithètes au besoin.

UN POETE.

Latonæ proles divina, Jovisque........ Jovisque.... Jovisque.... Heus tu, Textor! Jovisque....

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Bicornis optime. Jovisque bicornis.

1 Ménage, Dupérier, Santeul, poëtes latins modernes.

⚫ Jean Teissier, seigneur de Ravisi, auteur d'un Delectus Epithetorum.

Latona proles divina, Jovisque bicornis.

APOLLON.

Vous avez donc perdu l'esprit ? Vous donnez des cornes à mon père?

LE POETE.

C'est pour finir le vers. J'ai pris la première épithète que Textor m'a donnée.

Pour finir le vers,

APOLLON.

fallait-il dire une énorme sottise? Mais vous,

Horace, faites aussi des vers français.

HORACE.

C'est-à-dire qu'il faut que je vous donne aussi une scène à mes dépens et aux dépens du sens commun.

APOLLON.

Ce ne sera qu'aux dépens de ces étrangers. Rimez toujours.

HORACE.

Sur quel sujet? Qu'importe? Rimons, puisqu'Apollon l'ordonne. Le sujet viendra après.

Sur la rive du fleuve amassant de l'arène...

UN POETE.

Alte là. On ne dit point en notre langue : sur la rive du fleuve, mais sur le bord de la rivière. Amasser de l'arène ne se dit pas non plus; il faut dire du sable.

HORACE.

Vous êtes plaisant. Est-ce que rive et bord ne sont pas des mots synonymes aussi bien que fleuve et rivière? Comme si je ne savais pas que dans votre cité de Paris la Seine passe sous le PontNouveau! Je sais tout cela sur l'extrémité du doigt.

UN POETE.

Quelle pitié! Je ne conteste pas que toutes vos expressions ne soient françaises; mais je dis que vous les employez mal. Par exemple, quoique le mot de cité soit bon en soi, il ne vaut rien où vous le placez: on dit la ville de Paris. De même on dit le PontNeuf, et non pas le Pont-Nouveau; savoir une chose sur le bout du doigt, et non pas sur l'extrémité du doigt.

HORACE.

Puisque je parle si mal votre langue, croyez-vous, messieurs les faiseurs de vers latins, que vous soyez plus habiles dans la notre? Pour vous dire nettement ma pensée, Apollon devrait

vous défendre aujourd'hui pour jamais de toucher plume ni papier.

APOLLON.

Comme ils ont fait des vers sans ma permission, ils en feraient encore malgré ma défense. Mais, puisque dans les grands abus il faut des remèdes violents, punissons-les de la manière la plus terrible. Je crois l'avoir trouvée. C'est qu'ils soient obligés désormais à lire exactement les vers les uns des autres. Horace, faitesleur savoir ma volonté.

HORACE.

De la part d'Apollon, il est ordonné, etc.

SANTEUL.

Que je lise le galimatias de Dupérier! Moi! je n'en ferai rien. C'est à lui de lire mes vers.

DUPÉRIER.

Je veux que Santeul commence par me reconnaitre pour son maître, et après cela je verrai si je puis me résoudre à lire quelque chose de son phébus.

Ces poëtes continuent à se quereller; ils s'accablent réciproquement d'injures, et Apollon les fait chasser honteusement du Parnasse.

ARRÊT BURLESQUE

Donné en la grand'chambre du Parnasse, en faveur des maîtres-ès-arts, médecins et professeurs de l'Université de Stagyre, au pays des Chimères, pour le maintien de la doctrine d'Aristote.

1

Vu par la cour la requête présentée par les régents, maîtresès-arts, docteurs et professeurs de l'Université, tant en leurs noms que comme tuteurs et défenseurs de la doctrine de maitre en blanc Aristote, ancien professeur royal en grec dans le collége du Lycée, et précepteur du feu roi de querelleuse mémoire, Alexandre dit le Grand, acquéreur de l'Asie, Europe, Afrique, et autres lieux; contenant que, depuis quelques années, une inconnue, nommée la Raison, aurait entrepris d'entrer par force dans les écoles de ladite Université; et pour cet effet, à l'aide de certains quidams factieux, prenant les surnoms de Gassendistes,

1 L'Université avait presente requête au parlement pour empêcher qu'on n'enseignât la philosophie de Descartes: La requête fut supprimée, et Bernier en fit Imprimer une de sa façou.

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