Entreprît de tracer, d'une main criminelle, Moi done, qui connais peu Phébus et ses douceurs Le mal est qu'en rimant ma muse, un peu légère, Au moindre bruit qui court qu'un auteur les menace De jouer des bigots la trompeuse grimace; : Ton bras va, la foudre à la main. Il faut être poëte, disait Boileau, et sen tir les beautés de la poésie, pour justifier cette faute, qui n'en est pas une. 2 Démocrite disait que la vérité était dans le fond d'un puits, et que personne ne l'en avait encore pu tirer. (BOIL.) Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux, C'est offenser les lois, c'est s'attaquer aux cieux : D'un nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule; Et, quelque grand que soit ton pouvoir souverain, Mais lorsque je te vois, d'une si noble ardeur, La France sous tes lois maîtriser la Fortune, Et nos vaisseaux, domptant l'un et l'autre Neptune, 1 Molière, environ vers ce temps-là, tit jouer son Tartufe. (BOIL.) La defense de jouer Tartufe, composé en 1664, ne fut levée qu'en 1669. 2 Le roi se fit faire satisfaction, dans ce temps-là, des deux insultes faites à ses ambassadeurs à Rome et à Londres ; et ses troupes envoyees au secours de l'empereur défirent les Turcs sur les bords du Raab. (BOIL.) 3 Allusion à la victoire remportée en 1665 par le duc de Beaufort sur les corsaires de l'Afrique. Nous aller chercher l'or, malgré l'onde et le vent, Et, sans passer plus loin, finissant mon ouvrage, SATIRES. DISCOURS SUR LA SATIRE. 1668. Quand je donnai pour la première fois mes satires au public, je m'étais bien préparé au tumulte que l'impression de mon livre a excité sur le Parnasse. Je savais que la nation des poëtes, et surtout des mauvais poëtes', est une nation farouche qui prend feu aisément, et que ces esprits avides de louanges ne digéreraient pas facilement une raillerie, quelque douce qu'elle pût être. Aussi oserais-je dire, à mon avantage, que j'ai regardé avec des yeux assez stoïques les libelles diffamatoires qu'on a publiés contre moi. Quelques calomnies dont on ait voulu me noircir, quelques faux bruits qu'on ait semés de ma personne, j'ai pardonné sans peine ces petites vengeances au déplaisir d'un auteur irrité qui se voyait attaqué par l'endroit le plus sensible d'un poëte, je veux dire par ses ouvrages. Mais j'avoue que j'ai été un peu surpris du chagrin bizarre de certains lecteurs' qui, au lieu de se divertir d'une querelle du Parnasse dont ils pouvaient être spectateurs indifférents, ont mieux aimé prendre parti et s'affliger avec les ridicules, que de se réjouir avec les honnêtes gens. C'est pour les consoler que j'ai composé ma neuvième satire, où je pense avoir montré assez clairement que, sans blesser l'État ni sa conscience, on peut trouver de méchants vers méchants, et s'ennuyer de plein droit à la lecture d'un sot livre. Mais puisque ces messieurs ont parlé de la liberté que je me suis donnée de nommer, comme d'un attentat inoui et sans exemple, et que des exemples ne se peuvent pas mettre en rimes, il est bon d'en dire ici un mot, pour les instruire d'une chose qu'eux seuls veulent ignorer, et leur faire voir qu'en comparaison de tous mes confrères les satiriques, j'ai été un poëte fort retenu. 1 Ceci regarde particulièrement Cotin, qui avait publié une satire contre l'autrur. (BOIL.) 2 Le duc de Montausier. Et, pour commencer par Lucilius, inventeur de la satire,' quelle liberté, ou plutôt quelle licence ne s'est-il point donnée dans ses ouvrages? Ce n'était point seulement des poëtes et des auteurs qu'il attaquait; c'étaient des gens de la première qualité de Rome; c'étaient des personnes consulaires. Cependant Scipion et Lélius ne jugèrent pas ce poëte, tout déterminé rieur qu'il était, indigne de leur amitié et vraisemblablement, dans les occasions, ils ne lui refusèrent pas leurs conseils sur ses écrits, non plus qu'à Térence. Ils ne s'avisèrent point de prendre le parti de Lupus et de Métellus, qu'il avait joués dans ses satires; et ils ne crurent pas lui donner rien du leur en lui abandonnant tous les ridicules de la république : En effet, Lucilius n'épargnait ni petits ni grands; et souvent des nobles et des patriciens il descendait jusqu'à la lie du peuple : Primores populi arripuit, populumque tributim. (Ibidem.) On me dira que Lucilius vivait dans une république où ces sortes de libertés peuvent être permises. Voyons donc Horace, qui vivait sous un empereur, dans les commencements d'une monarchie, où il est bien plus dangereux de fire qu'en un autre temps. Qui ne nomme-t-il point dans ses satires? et Fabius le grand causeur, et Tigellius le fantasque, et Nasidiénus le ridicule, et Nomentanus le débauché, et tout ce qui vient au bout de sa plume. On me répondra que ce sont des noms supposés. Oh! la belle réponse! comme si ceux qu'il attaque n'étaient pas des gens connus d'ailleurs! comme si l'on ne savait pas que Fabius était un chevalier romain qui avait composé un livre de droit; que Tigellius fut en son temps un musicien chéri d'Auguste; que Nasidiénus Rufus était un ridicule célèbre dans Rome; que Cassius Nomentanus était un des plus fameux débauchés de l'Italie! Certainement il faut que ceux qui parlent de la sorte aient fort peu lu les anciens, et ne soient pas fort instruits des affaires de la cour d'Auguste. Horace ne se contente pas d'appeler les gens par leur nom; il a si peur qu'on ne les méconnaisse, qu'il a soin de rappor ter jusqu'à leur surnom, jusqu'au métier qu'ils faisaient, jusqu'aux |