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Bientôt, se parjurer cessa d'être un parjure,
L'argent à tout denier se prêta sans usure;
Sans simonie on put, contre un bien temporel,
Hardiment échanger un bien spirituel ;

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Du soin d'aider le pauvre on dispensa l'avare,
Et même chez les rois le superflu fut rare.
C'est alors qu'on trouva, pour sortir d'embarras,
L'art de mentir tout haut en disant vrai tout bas :
C'est alors qu'on apprit qu'avec un peu d'adresse
Sans crime un prêtre peut vendre trois fois sa messe
Pourvu que, laissant là son salut à l'écart,
Lui-même en la disant n'y prenne aucune part :
C'est alors que l'on sut qu'on peut pour une pomme,
Sans blesser la justice, assassiner un homme :
Assassiner! ah! non, je parle improprement;
Mais que, prêt à la perdre, on peut innocemment
Surtout ne la pouvant sauver d'une autre sorte,
Massacrer le voleur qui fuit et qui l'emporte.
Enfin ce fut alors que, sans se corriger,

Tout pécheur... Mais où vais-je aujourd'hui m'engager?
Veux-je d'un pape illustre1, armé contre tes crimes,
A tes yeux mettre ici toute la bulle en rimes;
Exprimer tes détours burlesquement pieux,

Pour disculper l'impur, le gourmand, l'envieux,
Tes subtils faux-fuyants pour sauver la mollesse,
Le larcin, le duel, le luxe, la
paresse;

En un mot, faire voir à fond développés
Tous ces dogmes affreux d'anathèmes frappés,
Que, sans peur débitant tes distinctions folles,
L'erreur encor pourtant maintient dans tes écoles?
Mais sur ce seul projet soudain puis-je ignorer
A quels nombreux combats il faut me préparer ?
J'entends déjà d'ici tes docteurs frénétiques
Hautement me compter au rang des hérétiques,
M'appeler scélérat, traître, fourbe, imposteur,

'Innocent XI qui condamna les cinq propositions extraites ou prétendues extraites de Jansenius.

Froid plaisant, faux bouffon, vrai calomniateur;
De Pascal, de Wendrock' copiste misérable;
Et, pour tout dire enfin, janséniste exécrable.
J'aurai beau condamner, en tous sens expliqués,
Les cinq dogmes fameux par ta main fabriqués;
Blåmer de tes docteurs la morale risible :

C'est,

selon eux,

prêcher un calvinisme horrible;

C'est nier qu'ici-bas, par l'amour appelé,

Dieu pour tous les humains voulut être immolé.

Prévenons tout ce bruit : trop tard, dans le naufrage,
Confus, on se repent d'avoir bravé l'orage.

Halte-là donc, ma plume. Et toi, sors de ces lieux,
Monstre à qui, par un trait des plus capricieux,
Aujourd'hui terminant ma course satirique,
J'ai prêté dans mes vers une âme allégorique.
Fuis, va chercher ailleurs tes patrons bien-aimés,
Dans ces pays par toi rendus si renommés,

Où l'Orne épand ses eaux, et que la Sarthe arrose 2;
Ou, si plus sûrement tu veux gagner ta cause,
Porte-la dans Trévoux 3, à ce beau tribunal
Où de nouveaux Midas un sénat monacal,
Tous les mois, appuyé de ta sœur l'Ignorance,
Pour juger Apollon tient, dit-on, sa séance.

1C'est sous ce nom que Nicole publia sa traduction latinc des Provinciales,

Rivières qui passent par la Normandie. (BOIL.)

3 Petite villc, près de Lyon, sur les bords de la Saône.

FIN DES SATIRES.

3

ÉPITRE I'.

1669.

AVIS AU LECTEUR 2.

Je m'étais persuadé que la fable de l'huître, que j'avais mise à la fin de cette épître au roi, pourrait y délasser agréablement l'esprit des lecteurs, qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer, joint que la correction que j'y avais mise semblait me mettre à couvert d'une faute dont je faisais voir que je m'apercevais le premier; mais j'avoue qu'il y a eu des personnes de bon sens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé longtemps si je l'òterais, parce qu'il y en avait plusieurs qui la louaient avec autant d'excès que les autres la blåmaient; mais enfin je me suis rendu à l'autorité d'un prince 3 non moins considérable par les lumières de son esprit que par le nombre de ses victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette fable, quoique très-bien contée, ne lui semblait pas digne du reste de l'ouvrage, je n'ai point résisté; j'ai mis une nouvelle fin à ma pièce, et je n'ai pas cru, pour une vingtaine de vers, devoir me brouiller avec le premier capitaine de notre siècle. Au reste, je suis bien aise d'avertir le lecteur qu'il y a quantité de pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir sous mon nom, et entre autres une satire contre les maltôtes ecclésiastiques 3. Je ne crains pas que les habiles gens m'attribuent toutes ces pièces, parce que mon style, bon ou mauvais, est aisé à reconnaître ; mais comme le nombre des sots est fort grand, et qu'ils pourraient aisément s'y méprendre, il est bon de leur faire savoir que, hors les onze pièces qui sont dans ce livre, il n'y a rien de moi entre les mains du public, ni imprimé ni en manuscrit.

5

. Cette épître fut présentée au roi par mesdames de Thiange et de Montespan, un an environ après la signature du traité d'Aix-la-Chapelle.

a Cet avis fut inis en 1672 à la tête de la seconde édition de la première épître. 3 Condé.

4 Les quarante derniers vers.

5 On attribue cette pièce au P. Louis Sanlecque, chano ine de Sainte-Geneviève, et prieur de Garnai près de Dreux. Cependant elle ne se trouve pas dans le recueil de ses œuvres.

AU ROI.

Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire,
Pour toi seul désormais j'avais fait vœu d'écrire.
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire : Arrête, insensé; que fais-tu ?
Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?
Cette mer où tu cours est célèbre en naufrages.

Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char,
Je ne pusse attacher Alexandre et César;
Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide,
T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide,
Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil,
Proposer au sultan de te céder le Nil :
Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire ;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différents,
Phébus même aurait peur s'il entrait sur les rangs;
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,
Il faut de mes dégoûts justifier l'audace,

Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.
Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devait des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformait tous?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous '
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban?
De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées ?

Que répondrais-jé alors? Honteux et rebuté,
J'aurais beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique :
Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,

Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,
Et d'aller du récit de ta gloire immortelle

Habiller chez Francœur le sucre et la cannelle.
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J'imite de Conrart 2 le silence prudent;
Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.

Malgré moi toutefois un mouvement secret
Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret.
Quoi! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon roi spectateur inutile,
Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m'exercer
Que ma tremblante voix commence à se glacer?
Dans un si beau projet, si ma muse rebelle
N'ose le suivre aux champs de Lille et de Bruxelle,
Sans le chercher aux bords de l'Escaut et du Rhin,
La paix l'offre à mes yeux plus calme et plus serein.
Oui, grand roi, laissons là les siéges, les batailles :
Qu'un autre aille en rimant renverser des murailles ;
Et souvent, sur tes pas marchant sans ton aveu,
S'aille couvrir de sang, de poussière et de feu.
A quoi bon d'une muse au carnage animée
Échauffer ta valeur, déjà trop allumée ?
Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,
Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.
Pourquoi ces éléphants, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage?
Disait au roi Pyrrhus un sage confident 3,
Conseiller très-sensé d'un roi très-imprudent.

Je vais, lui dit ce prince, à Rome, où l'on m'appelle. —
Quoi faire? - L'assiéger. - L'entreprise est fort belle,

'Fameux épicier. (BOIL.) — Son véritable nom était Claude Julienne, et sa demeure était dans la rue Saint-Honoré, devant la Croix-du-Trahoir, à l'enseigne du Franc-Cœur. Ce surnom avait été donné à un de ses ancêtres par Henri III, dont il était le fruitier.

2 Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. (BOIL.) — Valentin Conrart, né en 1603, mort en 1678, peut être regardé comme l'un des fondateurs de PAcadémie française. Son cabinet servit, pour ainsi dire, de berceau à cette grande institution.

3 Plutarque, dans la Vie de Pyrrhus. (BOIL.)

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