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I. PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1666 A 1669.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

Ces satires dont on fait part au public n'auraient jamais couru le hasard de l'impression, si l'on eût laissé faire leur auteur. Quelques applaudissements qu'un assez grand nombre de personnes amoureuses de ces sortes d'ouvrages ait donnés aux siens, sa modestie lui persuadait que, de les faire imprimer, ce serait augmenter le nombre des méchants livres, qu'il blame en tant de rencontres, et se rendre par là digne lui-même, en quelque façon, ďavoir place dans ces satires. C'est ce qui lui a fait souffrir fort longtemps, avec une patience qui tient quelque chose de l'héroïque dans un auteur, les mauvaises copies qui ont couru de ses ouvrages, sans être tenté pour cela de les faire mettre sous la presse. Mais enfin toute sa constance l'a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui en a paru 2 depuis peu. Sa tendresse de père s'est réveillée à l'aspect de ses enfants ainsi défigurés et mis en pièces, surtout lorsqu'il les a vus accompagnés de cette prose fade et insipide que tout le sel de ses vers ne pourrait pas relever : je veux dire de ce JUGEMENT SUR LES SCIENCES3, qu'on a cousu si peu judicieusement à la fin de son livre. Il a eu peur que ces satires n'achevassent de se gåter en une si méchante compagnie : et il a cru enfin que, puisqu'un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l'imprimeur, il valait mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu'on avait déjà fait malgré lui. Joint que ce galant homme, qui a pris le soin de la première édi

L'édition des OEuvres de Boileau donnée par M. Berriat-Saint-Prix (Paris, 1830-1834, 4 vol. in-8°) est, sans aucun doute, la meilleure que l'on ait; aussi c'est le texte de cette édition que nous avons reproduit.

2 A Rouen, en 1663.

3 Petit Discours de Saint-Évremond, qui se trouve joint aux OEuvres de Despréaux dans l'édition de 1668.

I

tion, y a mêlé les noms de quelques personnes que l'auteur honore, et devant qui il est bien aise de se justifier. Toutes ces considérations, dis-je, l'ont obligé à me confier les véritables originaux de ses pièces, augmentées encore de deux autres 1, pour lesquelles il appréhendait le même sort. Mais en même temps il m'a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués de la liberté qu'il s'est donnée de parler de leurs ouvrages en quelques endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant; que le sentiment d'un seul homme ne fait point de loi; et qu'au pis aller, s'ils se persuadent qu'il ait fait du tort à leurs ouvrages, ils s'en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne jusqu'aux points et aux virgules. Que si cela ne les satisfait pas encore, il leur conseille d'avoir recours à cette bienheureuse tranquillité des grands hommes comme eux, qui ne manquent jamais de se consoler d'une semblable disgrâce par quelque exemple fameux, pris des plus célèbres auteurs de l'antiquité, dont ils se font l'application tout seuls. En un mot, il les supplie de faire réflexion que, si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d'être censurés; et que, s'ils sont bons, tout ce qu'on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais 2. Au reste, comme la malignité de ses ennemis s'efforce depuis peu de donner un sens coupable à ses pensées même les plus innocentes, il prie les honnêtes gens de ne se pas laisser surprendre aux subtilités raffinées de ces petits esprits qui ne savent se venger que par des voies lâches, et qui lui veulent souvent faire un crime affreux d'une élégance poétique.

J'ai charge encore d'avertir ceux qui voudront faire des satires contre les satires, de ne se point cacher. Je leur réponds que l'auteur ne les citera point devant d'autre tribunal que celui des Muses; parce que, si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison; et, si c'est une raillerie délicate, il n'est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu'il doit porter la peine du talion. Qu'ils écrivent donc librement: comme ils contribueront sans doute à rendre l'auteur plus illustre, ils feront le profit

⚫ Les satires met v, qui paraissaient alors pour la première fois. Tout ce qui suit fut ajouté dans la préface de 1668.

du libraire ; et cela me regarde. Quelque intérêt pourtant que j'y · trouve, je leur conseille d'attendre quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir des injures sales et odieuses, cela marque la bassesse de votre àme, sans rabaisser la gloire de celui que vous attaquez; et le lecteur qui est de sens froid 'n'épouse point les sottes passions d'un rimeur emporté. Il y aurait aussi plusieurs choses à dire touchant le reproche qu'on fait à l'auteur d'avoir pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace : mais, tout bien considéré, il trouve l'objection si honorable pour lui, qu'il croirait se faire tort d'y répondre.

II. PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1074 ET 1675.

AU LECTEUR.

J'avais médité une assez longue préface, où, suivant la coutume reçue parmi les écrivains de ce temps, j'espérais rendre un compte fort exact de mes ouvrages, et justifier les libertés que j'y ai prises; mais, depuis, j'ai fait réflexion que ces sortes d'avant-propos ne servaient ordinairement qu'à mettre en jour la vanité de l'auteur, et, au lieu d'excuser ses fautes, fournissaient souvent de nouvelles armes contre lui. D'ailleurs je ne crois point mes ouvrages assez bons pour mériter des éloges, ni assez criminels pour avoir besoin d'apologie. Je ne me louerai donc ici, ni ne me justifierai de rien. Le lecteur saura seulement que je lui donne une édition de mes satires plus correcte que les précédentes, deux épitres nouvelles 2, l'Art poétique en vers, et quatre chants du Lutrin 3. J'y ai ajouté aussi la traduction du Traité que le rhéteur Longin a composé du Sublime ou du merveilleux dans le discours. J'ai fait originairement cette traduction pour m'instruire, plutôt que dans le dessein de la donner au public; mais j'ai cru qu'on ne serait pas fâché de la voir ici à la suite de la Poétique, avec laquelle ce traité a quelque rapport, et où j'ai même inséré plusieurs

1 Brossette a mis de sang-froid; mais les éditions de 1667 à 1672 portent sens froid.

2 Les épitres II et III.

3 Les deux derniers ne parurent qu'en 1663.

· préceptes qui en sont tirés. J'avais dessein d'y joindre aussi quelques dialogues en prose que j'ai composés; mais des considérations particulières m'en ont empêché. J'espère en donner quelque jour un volume à part. Voilà tout ce que j'ai à dire au lecteur. Encore ne sais-je si je ne lui en ai point déjà trop dit, et si, en ce peu de paroles, je ne suis point tombé dans le défaut que je voulais éviter.

III. PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1674 ET 1675, IN-12.

AU LECTEUR.

Je m'imagine que le public me fait la justice de croire que je u'aurais pas beaucoup de peine à répondre aux livres qu'on a publiés contre moi; mais j'ai naturellement une espèce d'aversion pour ces longues apologies qui se font en faveur de bagatelles aussi bagatelles que sont mes ouvrages. Et d'ailleurs ayant attaqué, comme j'ai fait, de gaieté de cœur, plusieurs écrivains célèbres, je serais bien injuste si je trouvais mauvais qu'on m'attaquât à mon tour. Ajoutez que, si les objections qu'on me fait sont bonnes, il est raisonnable qu'elles passent pour telles; et, si elles sont mauvaises, il se trouvera assez de lecteurs sensés pour redresser les petits esprits qui s'en pourraient laisser surprendre. Je ne répondrai donc rien à tout ce qu'on a dit, ni à tout ce qu'on a écrit contre moi; et, si je n'ai donné aux auteurs de bonnes règles de poésie, j'espère leur donner par là une leçon assez belle de modération. Bien loin de me rendre injures pour injures, ils trouveront bon que je les remercie ici du soin qu'ils prennent de publier que ma Poétique est une traduction de la Poétique d'Horace; car, puisque dans mon ouvrage, qui est d'onze cents vers, il n'y en a pas plus de cinquante ou soixante tout au plus imités d'Horace, ils ne peuvent pas faire un plus bel éloge du reste qu'en le supposant traduit de ce grand poëte; et je m'étonne après cela qu'ils osent combattre les règles que j'y débite. Pour Vida ',

1 Marc-Jérôme Vida, né à Cremone en 1470, a composé un Art poétique en vers latins. Il mourut évêque d'Albe en 1866,

dont ils m'accusent d'avoir pris aussi quelque chose, mes amis savent bien que je ne l'ai jamais lu, et j'en puis faire tel serment qu'on voudra sans crainte de blesser ma conscience.

IV. PRÉFACE

POUR LES ÉDITIONS DE 1683, 1685 ET 1694.

Voici une édition de mes ouvrages beaucoup plus exacte que les précédentes, qui ont toutes été assez peu correctes. J'y ai joint cinq épitres nouvelles' que j'avais composées longtemps avant que d'être engagé dans le glorieux emploi 2 qui m'a tiré du métier de la poésie. Elles sont du même style que mes autres écrits, et j'ose me flatter qu'elles ne leur feront point de tort: mais c'est au .ecteur à en juger, et je n'emploierai point ici ma préface, non plus que dans mes autres éditions, à le gagner par des flatteries, ou à le prévenir par des raisons dont il doit s'aviser de lui-même. Je me contenterai de l'avertir d'une chose dont il est bon qu'on soit instruit : c'est qu'en attaquant dans mes satires les défauts de quantité d'écrivains de notre siècle, je n'ai pas prétendu pour cela ôter à ces écrivains le mérite et les bonnes qualités qu'ils peuvent avoir d'ailleurs. Je n'ai pas prétendu, dis-je, que Chapelain, par exemple, quoique assez méchant poëte, n'ait pas fait autrefois, je ne sais comment, une assez belle ode3, et qu'il n'y eût point d'esprit ni d'agrément dans les ouvrages de M. Quinault, quoique si éloignés de la perfection de Virgile. J'ajouterai même, sur ce dernier, que, dans le temps où j'écrivis contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, et qu'il n'avait pas fait alors beaucoup d'ouvrages 4 qui lui ont dans la suite acquis une juste réputation. Je veux bien aussi avouer qu'il y a du génie dans les écrits de Saint-Amand, de Brébœuf, de Scudéri, et de plusieurs autres que j'ai critiqués, et qui sont en effet, d'ailleurs, aussi bien que moi, très dignes de critique. En un mot, avec la même sincérité

1 Les épîtres V, VI, VII, VIII et ix.

? Boileau et Racine avaient été nominés historiographes du roi en 1677.

3 Adressée au cardinal de Richelieu, et recueillie dans la Bibliothèque poetique, t. II, p. 183.

4 Quinault n'était encore connu que par quelques mauvaises tragédics, lorsque Boileau le nomma daus ses satires.

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