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reste en déroute, et lançoient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattans; trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyoit porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés; le Prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier; mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Enghien que le

combat.

Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge met les nôtres en furie. On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que ce grand Prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes, et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avoit plus de salut pour eux que dans les bras du vainqueur! De quels yeux regardèrent-ils le jeune Prince, dont la victoire avoit relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutoit de nouvelles grâces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines ! Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savoit pas que le Prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régimens à la journée de Rocroi, en devoit achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le Prince fléchit le genou; et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées, la gloire qu'il lui envoyoit. Là on célébra Rocroi délivrée, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la Régence affermie, la France en repos, et un règne qui devoit être si beau, commencé par un si heureux présage. BOSSUET.

'cet autre Alexandre, that new Alexander. restoit, there remained. 3relevé, exalted. contenance, mien.- que-volontiers, how willingly.

SEA FIGHT OF DUGUAY-TROUIN.

Duguay-Trouin s'avance, la victoire le suit.

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La ruse

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et l'audace, l'impétuosité de l'attaque et l'habileté de la manœuvre l'ont rendu maître du vaisseau commandant. Cependant, l'on combat de tous côtés; sur une vaste étendue de mer règne le carnage. On se mêle: les proues heurtent contre les proues; les 'manœuvres sont entrelacées dans les manœuvres; les foudres se choquent et retentissent. Duguay-Trouin observe d'un œil tranquille la face du combat, pour porter des secours, réparer des défaites, ou achever des victoires. Il aperçoit un vaisseau armé de cent canons défendu par une armée entière. C'est là qu'il porte ses coups; il préfère à un triomphe facile l'honneur d'un combat dangereux. Deux fois il ose l'aborder, deux fois l'incendie qui s'allume dans le vaisseau ennemi l'oblige de s'écarter. Le Devonshire, semblable à un volcan allumé, tandis qu'il est consumé au-dedans, vomit au-dehors des feux encore plus terribles. Les Anglois, d'une main lancent des flammes, dé l'autre tâchent d'éteindre celles qui les environnent. DuguayTrouin n'eût désiré les vaincre que pour les sauver. fut un horrible spectacle pour un cœur tel que le sien, de voir ce vaisseau immense brûlé en pleine mer, la lueur de l'embrasement réfléchie au loin sur les flots, tant d'infortunés errans en furieux, ou palpitans immobiles au milieu des flammes, s'embrassant les uns les autres, ou se déchirant eux-mêmes, levant vers le ciel des bras consumés, ou précipitant leurs corps fumans dans la mer; d'entendre le bruit de l'incendie, les hurlemens des mourans, les vœux de la religion mêlés aux cris du désespoir et aux imprécations de la rage, jusqu'au moment terrible où le vaisseau s'enfonce, l'abime se referme, et tout disparoît. Puisse le génie de l'humanité mettre souvent de pareils tableaux devant les yeux des Rois qui ordonnent les guerres! Cependant Duguay-Trouin poursuit la flotte épouvantée. Tout fuit, tout se disperse. La mer est couverte de débris; nos ports se remplissent de dépouilles; et tel fut l'événement de ce combat, qu'aucun des vaisseaux qui portoient du secours ne passa chez

les ennemis. Les fruits de la bataille d'Almanza furent assurée; l'Archiduc 3vit échouer ses espérances, et Philippe V. put se flatter que son trône seroit un jour affermi. THOMAS.

1manœuvres, tackling. 2puisse, may. 3vit échouer, &c. witnessed

the failure of, &c.

THE MONKS OF MOUNT ST. BERNARD.

A la fin d'avril 1755, j'allois au Piémont par la route du grand Saint-Bernard. Vers les quatre heures de l'après-midi, la petite caravane avec laquelle j'avois gravi ce dangereux passage parvint au sommet de la montagne ; et, après avoir réparé ses forces dans l'hospice élevé au milieu de ce désert, elle se remit en marche, pour coucher le même soir à la vallée d'Aost. Déjà le soleil avoit perdu sa chaleur, et le ciel même sa sérénité des nuages commençoient à se trainer le long des cimes des rochers, et s'amonceloient dans les gorges étroites de cette solitude. Au sommet des Alpes, une soirée nébuleuse amollit le courage; je me décidai à passer la nuit avec les religieux hospitaliers qui partageoient mes pressentimens.

Ils ne nous trompèrent point. A six heures, ce plateau glacé fut presque enseveli dans les ténèbres; les nuées, poussées par un vent de nord-ouest avec la rapidité d'une flèche, tourbillonnoient autour de l'enceinte des rochers; déjà retentissoit le bruit lointain des avalanches; et des atômes de neige serrée, divisée comme la poussière, soit en se détachant des montagnes, soit en tombant du ciel, en interceptoient la foible lumière, et voiloient tous les objets d'alentour.

Tandis qu'auprès d'un bon feu je questionnois le supérieur du couvent sur les suites de l'ouragan, les religieux hospitaliers étoient allés remplir leurs devoirs de circonstance, ou plutôt exercer leurs vertus de tous les jours: chacun avoit pris son poste de dévouement dans ces Thermopyles glaciales, non pour y repousser des ennemis,

mais pour y tendre une main secourable aux voyageurs perdus, de tout rang, de toute nation, de tout culte, et même aux animaux chargés de leur bagage. Quelques uns de ces sublimes solitaires gravissoient les pyramides de granit qui bordent leur chemin, pour y découvrir un convoi dans la détresse, et pour répondre aux cris de secours; d'autres frayoient le sentier enseveli sous la neige fraîchement tombée, au risque de se perdre euxmêmes dans les précipices, tous bravant le froid, les avalanches, le danger de s'égarer, presque aveuglés par les tourbillons de neige, et prêtant une oreille attentive au moindre bruit qui leur rappeloit la voix humaine.

Leur intrépidité égale leur vigilance; aucun malheureux ne les appelle en vain, ils le retirent étouffé sous les débris des avalanches, ils le raniment agonisant de froid et de terreur, ils le transportent sur les bras, tandis que leurs pieds glissent sur la glace, ou plongent dans les neiges la nuit, le jour, voilà leur ministère. Leur pieuse sollicitude veille sur l'humanité, dans ces lieux maudits de la nature, où ils présentent le spectacle habituel d'un héroïsme qui ne sera jamais célébré par nos flatteurs.

:

Depuis une heure entière, cinq religieux et leurs domestiques étoient sur la trace des voyageurs, lorsque l'aboiement des chiens nous annonça leur retour. Compagnons intelligens des courses de leurs maîtres, ces dogues bienfaisans vont à la piste des malheureux; ils devancent les guides, et le sont eux-mêmes: à la voix de ces fidèles auxiliaires, le voyageur transi reprend l'espérance, il suit leurs vestiges toujours sûrs. Lorsque les éboulemens de neige, aussi prompts que l'éclair, engloutissent un passager, les dogues du Saint-Bernard le découvrent sous l'abîme, et y conduisent les religieux qui retirent le cadavre, et souvent le rendent à la vie.

Bientôt l'hospice s'ouvrit à dix personnes épuisées de froid, de lassitude et de frayeur. Leurs conducteurs oublièrent leurs propres fatigues; et, depuis le linge le plus blanc jusqu'aux liqueurs les plus restaurantes, tout ce que l'hospitalité la plus attentive peut offrir de secours, tout ce qu'on ne rassembleroit qu'à force d'argent dans les auberges de nos villes, fut prêt dans l'instant, distri

bué sans distinction, employé avec autant d'adresse que de sensibilité. MALLET DU PAN.

1se remetre en marche, to set out again. religieux, monks. perform that office,

3le sont,

PATHETIC PIECES.

SECTION I.

DEATH OF VIRGINIA.

Tout présageoit l'arrivée prochaine d'un ouragan. Les nuages qu'on distinguoit au zénith étoient à leur centre d'un noir affreux, et cuivrés sur leurs bords. L'air retentissoit des cris des 'paillencus, des 'frégates, des 'coupeurs d'eau, et d'une multitude d'oiseaux de marine, qui, malgré l'obscurité de l'atmosphère, venoient de tous les points de l'horizon chercher des retraites dans l'ile.

Vers les neuf heures du matin, on entendit du côté de la mer des bruits épouvantables, comme si des torrens d'eau, mêlés à des tonnerres, eussent roulé du haut des montagnes. Tout le monde s'écria: "Voilà l'ouragan!" Et dans l'instant, un tourbillon affreux de vent enleva la brume qui couvroit l'ile d'Ambre et son canal. Le Saint Géran parut alors à découvert, avec son pont chargé de monde, ses vergues et ses mâts de hune amenés sur le tillac, son pavillon ‘en berne, quatre câbles sur son avant, et un de retenue sur son arrière. Il étoit mouillé entre l'île d'Ambre et la terre, en-deçà de la ceinture de récifs qui entoure l'ile de France, et qu'il avoit franchie par un endroit où jamais vaisseau n'avoit passé avant lui. Il présentoit son avant aux flots qui venoient de la pleine mer, et, à chaque lame d'eau qui s'engageoit dans le canal, sa proue se soulevoit tout entière, de sorte qu'on en voyoit la carène en l'air; mais, dans ce mouvement, sa poupe

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