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de confiance que vous avés aux marques de tendreffe qu'on vous donne, & qu'on ne trouve mauvais de n'être pas crue fur fa parole, quand on vous dit qu'on vous aime. Il faut qu'un Amant tombe d'accord qu'il eft aimé forfqu'il l'eft; mais s'il veut abfolument fe plaindre, il peut fe réferver une petite matiere de plaintes fur le plus ou le moins de tendreffe. Encore faut-il faire ces fortes de reproches avec des transports doux, & non pas avec des airs de chagrin. C'est toujours un mauvais Personnage que celui d'un Homme qui fe plaint; on fe montre par des endroits foibles, dont on doit tâcher à épargner la vûe aux Gens de qui on veut être aimé. Les plus infupportables de toutes les plaintes, ce font celles qui partent d'un caractere jaloux. Si 'étois Femme, toutes ces petites jaloufies qui ne fignifient rien, me feroient jetter un Homme par les fenêtres. Pour moi, ou j'eftime affés celles que j'aime pour ne point croire qu'elles puiffent partager leur coeur ni changer, ou je les eftime affés peu pour ne m'inquiéter point qu'elles le partagent ni qu'elles changent, & par conféquent je ne fuis

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jamais jaloux. Je fai bien qu'abfolument parlant, ce que j'aime peut m'échapper; mais enfin on prend de certaines affurances, & on dort. Si vous croyés que l'amour doive être une frénésie, & qu'il faille que deux Personnes, fous prétexte de s'aimer, fe tourmentent perpétuellement, & foient des ombres vengereffes attachées aux pas l'une de l'autre, je ne vous conteste plus rien. Mais moi, j'ai des idées plus douces ; je voudrois accorder l'amour avec un peu de repos. Et ne croyés point que l'on vous tienne toujours compte de vos inquiétudes, comme d'autant de marques de tendreffe. L'amour en auroit l'honneur fi elles arrivoient rarement; mais fi elles font fréquentes, on ne les attribuera qu'à votre chagrin naturel. Il faut un certain milieu en toutes choses, même en amour, quoiqu'il ne s'y trouve pas trop de raifon.

A MONSIEUR le M. de C...

LETTRE XXIII.

IL faut que je vous confie mes mal

heurs, mon cher Marquis. J'aimois comme vous favés, Madame de L. M. & je ne l'aime plus. Elle m'en fait des reproches; je n'entens que des plaintes perpétuelles. Où font mes proteftations de conftance & de fidélité? Que font devenues mes premieres manieres? Cela me met au défefpoir; car de bonne foi, est-ce ma faute fi je ne l'aime plus? Qu'elle me rende mon amour, je ne demande pas mieux. Je ferois trop heureux d'aimer encore. Je me livre, je m'abandonne à fes charmes ; qu'elle faffe des bleffures mortelles à mon coeur, j'y aiderai de tout mon pouvoir. Puis-je faire davantage? J'ai encore pour elle les mêmes foins & les mêmes affiduités que j'avois auparavant. Mais, dit-elle, ce n'eft plus le même air. Voilà le malheur. Je ne lui puis dire de nouvelles de cet air-là, je

ne

ne fai ce qu'il eft devenu. Elle m'appelle ingrat, & fort mal-à-propos, ce me femble. Ce que je fais à préfent pour elle me coûte beaucoup, & elle devroit m'en tenir compte, au lieu qu'auparavant elle me tenoit compte de ce qui ne me coûtoit rien. On ne fait guére en ce monde-ci le véritable prix des chofes. Je commençai de l'aimer fans favoir pourquoi, & je fais cent efforts pour recommencer de l'aimer, qui ne partent que d'une confidération extrême que j'ai pour elle. Souvent je préviens mes yeux fur fa beauté avant que de la voir; je la compare à mille & mille Femmes qui ne font pas fi belles ; j'étudie l'agrément de fes manieres, pour y être fenfible; je trouve, ou je mets de l'efprit dans les moindres chofes que je lui entens dire; enfin après avoir bien excité mon coeur, il me femble que je l'aime, je feris je ne fai quoi pendant un inftant; mais dans l'inftant qui fuit, il eft fûr que je ne fens rien. Mon pauvre Marquis, pourquoi faut-il qu'on aime, ou qu'on n'aime pas toujours, ou qu'on n'aime pas tous deux en même temps, pour finir en même temps? Je fuis fi chagrin contre l'amour, qu'à Tome I.

Gg

l'heure qu'il eft je voudrois l'extermi ner du monde.

AU MESME.

LETTRE XXIV.

ENfin, Madame de L. M. & moi,

nous avons pris une forme de vie, nous fommes convenus de ne fonger plus l'un à l'autre fur le pied d'amour, & de vivre en bonne amitié. J'étois fort content de ce traité-là, cependant je vous affure qu'il n'est pas fi aifé à exécuter que je l'avois cru; non que j'aye des tentations de recommencer le perfonnage d'Amant, mais c'eft que le perfonnage d'un Homme qui a été Amant, & qui ne veut plus être qu'A mi, eft très-difficile. Je ne fai comment parler de nouvelles à une Femme à qui j'ai tant parlé de tendreffe; nos converfations me paroiffent d'un ennui mortel, pour peu que je me fouvienne de ces converfations vives que nous avions; & par malheur je ne puis m'empêcher de m'en fouvenir. Je ne

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