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cela, vous ne laiffâtes pas d'époufer Théodofe le jeune.

AT. Si j'euffe eu devant les yeux un exemple comme le vôtre, j'euffe eu grande peur. Mon pere, après avoir fait de moi une fille fort favante & fort fpirituelle, me deshérita, tant il fe tenoit fûr qu'avec ma fcience & mon bel efprit, je ne pouvois manquer de faire fortune; & à dire le vrai, je le croyois comme lui. Mais je vois préfentement que je courois un grand hafard, & qu'il n'étoit pas impoffible que je demeuraffe fans aucun bien, & avec la feule Philofophie en partage.

ICA. Non affurément; mais par bonheur pour vous, mon aventure n'étoit pas encore arrivée. Il feroit affés plaifant que dans une occafion pareille à celle où je me trouvai, quelque autre qui fauroit mon Hiftoire, & qui voudroit en profiter, eût la fineffe de ne laiffer point voir d'efprit, & qu'on fe moquât d'elle.

AT. Je ne voudrois pas répondre que cela lui réufsît, fi elle avoit un deffein; mais bien fouvent on fait par hafard les plus heureuses fotifes du monde. N'avés-vous pas oüi parler d'un Peintre

qui avoit fi bien peint des grapes de rai fin, que des oifeaux s'y tromperent, & les vinrent becqueter? Jugés quelle réputation 'cela lui donna. Mais les raifins étoient portés dans le tableau par un petit Païfan: on difoit au Peintre, qu'à la vérité il falloit qu'ils fuffent bien faits, puifqu'ils attiroient les oifeaux; mais qu'il falloit auffi que le pe tit Païfan fut bien mal fait, puifque les oiseaux n'en avoient point de peur. On avoit raison. Cependant fi le Peintre ne fe fût pas oublié dans le petit Païfan, les raifins n'euffent pas eu ce fuccès prodigieux qu'ils eurent.

ICA. En vérité, quoi qu'on faffe dans le monde, on ne fait ce que l'on fait ; & après l'aventure de ce Peintre, on doit trembler même dans les affaires où l'on fe conduit bien, & craindre de n'avoir pas fait quelque faute qui eût été néceffaire. Tout eft incertain. II femble que la Fortune ait foin de donner des fuccès differens aux mêmes chofes, afin de fe moquer toujours de la raifon humaine, qui ne peut avoir de regle affurée.

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ble.

P. ARETIN.

UI, je fus bel efprit dans mon fiécle, & je fis auprès des Princes une fortune affés confidéra

AUGUSTE. Vous compofâtes donc bien des Ouvrages pour eux ?

P. ARE. Point du tout. J'avois penfion de tous les Princes de l'Europe, &

čela n'eût pas pû être, fi je me fuffe amufé à louer. Ils étoient en guerre les uns avec les autres; quand les uns battoient, les autres étoient battus ; il n'y avoit pas moyen de leur chanter à tous Ieurs louanges.

Au. Que faifiés-vous donc ?

P. ARE. Je faifois des vers contre eux. Ils ne pouvoient pas entrer tous dans un Panegyrique, mais ils entroient bien tous dans une Satire. J'avois fi bien répandu la terreur de mon nom, qu'ils me payoient tribut pour pouvoir faire des fotifes en fûreté. L'Empereur Charles V. dont affurément vous avés entendu parler ici bas, s'étant allé faire battre fort mal-à-propos vers les Côtes d'Afrique, m'envoya auffi-tôt une affés belle chaîne d'or. Je la reçus, & la regardant triftement: Ah! c'est là bien peu de chofe, m'écriai-je, pour une auffi grande folie que celle qu'il a faite.

Au. Vous aviés trouvé là une nouvelle maniere de tirer de l'argent des Princes.

P. ARE. N'avois-je pas fujet de concevoir l'efpérance d'une merveilleufe fortune, en m'établiffant un revenu fur les fotifes d'autrui! C'est un bon

fonds, & qui rapporte toujours bien? Au. Quoi que vous en puiffiés dire, le métier de louer eft plus fûr, & par conféquent meilleur.

P. ARE. Que voulés-vous? Je n'étois pas affés imprudent pour louer.

Au. Et vous l'étiés bien' affés pour faire des Satires fur les Têtes couronnées.

P. ARE. Ce n'eft pas la même chose. Pour faire des Satires, il n'eft pas toujours befoin de méprifer ceux contre qui on les fait; mais pour donner de certaines louanges fades & outrées, il me femble qu'il faut méprifer ceux mêmes à qui on les donne, & les croire bien dupes. De quel front Vir gile ofoit-il vous dire qu'on ignoroit quel parti vous prendriés parmi les Dieux, & que c'étoit une chofe incertaine, fi vous vous chargeriés du foin des affaires de la Terre; ou fi vous vous feriés Dieu marin, en époufant une fille de Thétis, qui auroit volontiers acheté de toutes fes eaux l'honneur de votre alliance; ou enfin fi vous voudriés vous loger dans le Ciel auprès du fcorpion, qui tenoit la place de deux fignes, & qui en votre confidération

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