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qu'il vous plaira, faites-vous revenir quelqu'un de fon premier Jugement? Perfonne du monde. Et puis, pourquoi feroit on revenir les gens? Leur premier Jugement a jouvent été fort bon. Pour la facilité, vous demeurerés d'accord qu'on en a affés à découvrir les défauts d'autrui. Tout pareffeux que je fois, je voudrois être gagé pour critiquer tous les Livres qui fe font. Quoique l'emploi paroiffe affés étendu, je fuis affuré qu'il me refteroit encore du temps pour ne rien faire. Auffi n'admire-t-on pas beaucoup la pénétration avec laquelle un Critique démêle ce que l'on peut condamner dans un Ouvrage. Ou bien on n'en avoit pas encore apperçu les défauts, & alors on ne convient pas avec lui qu'ils y foient; ou bien on les avoit apperçus, & on lui ôte la gloire de fa remarque. En un mot, ou il a été prévenu par fon Lecteur n'en eft pas fuivi. A ce compte, pourquoi ai je fait une critique? Eft-ce pour m'oppofer au fuccès des Dialogues des Morts ! Je n'ai pas tant d'autorité auprès du Public. Eft-ce pour montrer qu'il fe trouve des défauts partout? Ce ne feroit rien de furprenant. Eft-ce enfin pour donner à entendre que je ferois quelque chofe de meilleur que ce que je critique? Moins encore cela que tout le refte. Quoi donc ? je ne fai fi onvo udra bien croire que

ou il

cette mauvaife Critique des Dialogues des Morts que nous lûmes en Manufcrit, vous & moi, cette Critique qui ne critiquoit rien, mais qui en récompenfe difoit des injures, nous donna l'idée d'en faire une plus févere à l'égard de l'Ouvrage, & plus honnête à l'égard de l'Auteur. Nos premieres penfées nous réjouirent, & vous voulûtes que je travaillafje. Je l'ai fait. Si je l'ai fait fans fuccés, je ferai affés payé de la peine que j'ai prife, par le plaifir de vous avoir prouvé que je fuis,

MONSIEUR,

Votre très-humble & trèsobéiffant Serviteur

D. H.

JUGEMENT

217

JUGEMENT

DE

PLUTON

SUR

LES DIALOGUES

DES MORTS.

PREMIERE PARTIE.

J

AMAIS il n'y eut tant de défordre dans les Enfers. C'eft une confufion incroyable. Il y avoit auparavant différens quartiers, où l'on mettoit ensemble tous les Morts de même condition. Ils s'y entretenoient de ce qui leur étoit convenable, ou bien ils ne difoient mot; Tome I.

T

mais depuis qu'ils ont lû les Dialogues qu'on leur fait faire, tout eft renversé ; les Courtifanes fe font jettées dans le quartier des Héros, & leur ont dit cent fotifes, dont la gravité de ces Meffieurs a été fort offenfée; les Savans qui faifoient la cour aux Princes, les ont traités comme les Princes devoient traiter les Savans; les rangs qui étoient réglés entr'eux felon l'ordre naturel, ont été troublés, & l'on a vû Charles V. qui marchoit à la fuite d'Erafme & qui le traitoit de Majefté. Si Pluton a affaire d'un Mort, il ne fait plus où le prendre. L'autre jour il fit chercher Aretin par tout l'Enfer. Comme on ne le trouvoit point, on croyoit qu'il fe fût évadé, & on n'avoit garde de s'imaginer qu'il étoit avec Augufte. Pluton rencontra par malheur Anacréon & Ariftote qui parloient ensemble ; & dans le temps qu'il pouffoit l'un par les épaules dans le quartier des Poëtes, & l'autre dans celui des Philofophes, il apperçut de-là Homere & Elope qui étoient fortis chacun de leur demeure pour le faire des complimens, & puis pour fe dire des injures, & un peu plus loin l'Empereur Adrien & Marguerite

d'Autriche qui étoient venus des deux bouts de l'Enfer dans le deffein de fe battre. Il vit bien qu'il feroit difficile de remédier à ce mal, & en attendant qu'il pût remettre l'ordre dans fon Empire, il voulut décharger fa mauvaise humeur fur le Livre qui avoit causé tant de trouble. Il réfolut d'en faire la critique publiquement; mais comme il n'eft pas trop fin fur ces matieres & qu'il n'a qu'un fens commun affés droit, mais peu délicat, il jugea à propos de recevoir les accufations de tout le monde contre les Dialogues des Morts, & de former fur cela fon Jugement. Il fit donc publier dans les Enfers, qu'à tel jour on jugeroit.ce Livre dans fon Palais; que pour Lucien & les trente-fix Morts intéreffés dans les dix-huit Dialogues, ils n'y manquaffent pas abfolument.

Le jour venu, l'Affemblée fut nombreuse, Pluton étoit affis fur fon Trône, avec un air fort chagrin. Il bâilloit à chaque moment, parce qu'il venoit de lire ce Livre, & il fe plaignoit même d'une groffe migraine, qui lui étoit venue de ce qu'il l'avoit lû avec application. Eaque & Rhadamante étoient

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