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S'il fe trouvoit des plaifirs nouveaux, vous confoleriés-vous jamais de n'avoir pas été réservé pour vivre dans les derniers temps où vous euffiés profité des découvertes de tous les Siécles? Pour les connoiffances nouvelles, je fai que vous ne les envierés pas à ceux qui les

auront.

API. J'entre dans votre fentiment, il favorife mes inclinations plus que je ne croyois. Je vois que ce n'eft pas un grand avantage que les connoiffances, puifqu'elles font abandonnées à ceux qui veulent s'en faifir, & que la Nature n'a pas pris la peine d'égaler fur cela les hommes de tous les Siécles; mais les plaisirs font de plus grand prix. Il y auroit eu trop d'injuftice à fouffrir qu'un Siécle en pût avoir plus qu'un autre, & par cette raifon le partage en a été égal.

DIALOGUE IV.

PLATON, MARGUERITE

V

D'ECOSSE.

M. D'E COSSE.

Enés à mon fecours, divin Platon, venés prendre mon parti, je vous en conjure.

PLATON. De quoi s'agit-il?

M. D'E. Il s'agit d'un baifer que je donnai avec affés d'ardeur à un favant homme fort laid. J'ai beau dire encore à préfent pour ma juftification ce que je dis alors, que j'avois voulu baiser cette bouche d'où étoient forties tant de belles paroles ; il y a là je ne fai combien d'Ombres qui fe moquent de moi, & qui me foutiennent que de telles faveurs ne font que pour les bouches qui font belles, & non pour celles qui parlent bien, & que la fcience ne doit point être payée en même monnoie que la

* Alain Chartier.

beauté. Venés apprendre à ces Cmbres, que ce qui eft véritablement digne de cauter des paffions échape à la vûe, & quon peut être charmé du beau, même au travers de l'envelope d'un corps très-laid dont il fera revêtu.

PLA. Pourquoi voulés-vous que j'aille débiter ces chofes-là? Elles ne font pas vraies.

M. D'E. Vous les avés déja débitées mille & mille fois.

PLA. Oui, mais c'étoit pendant ma vie. J'étois Philofophe, & je voulois parler d'amour; il n'eût pas été de la bienféance de mon caractére que j'en euffe parlé comme les Auteurs des Fables Milefiennes ; je couvrois ces matiéres-là d'un galimatias philofophi que, comme d'un nuage, qui empêchoit que les yeux de tout le monde ne les reconnuffent pour ce qu'elles étoient.

M. D'E. Je ne crois pas que vous fongiés à ce que vous me dites. Il faut bien que vous ayés parlé d'un autre amour que de l'amour ordinaire, quand vous avés décrit fi pompeufement ces yoya

* Romans de ce temps-là,

ges que les Ames aîlées font dans des chariots fur la derniere voûte des Cieux, où elles contemplent le beau dans fon effence; leurs chûtes malheureufes d'un lieu fi élevé jufque fur la terre, par la faute d'un de leurs chevaux qui eft très-mal aifé à mener; le froiffement de leurs aîles; leur féjour dans les corps, ce qui leur arrive à la rencontre d'un beau visage qu'elles reconnoiffent pour une copie de ce beau qu'elles ont vû dans le Ciel; leurs aîles qui fe réchauffent, qui recommencent à pouffer, & dont elles tâchent de fe fervir pour s'envoler vers ce qu'elles aiment; enfin cette crainte, cette horreur, cette épouvante dont elles font frappées à la vûe de la beauté qu'elles favent qui eft divine, cette fainte fureur qui les tranfporte, & cette envie qu'elles fentent de faire des facrifices à l'objet de leur amour, comme on en fait aux Dieux.

PLA. Je vous affure que tout cela bien entendu & fidélement traduit, veut feulement dire que les belles perfonnes font propres à inspirer bien des transports.

M. D'E. Mais, felon vous, on ne s'arrête point à la beauté corporelle, qui ne fait que rappeller le louvenir d'une beauté infiniment plus charmante. Seroit-il poffible que tous ces mouvemens fi vifs que vous aviés dépeints, ne fuffent cautés que par de grands yeux, une petite bouche, & un teint frais? Ah! donnés-leur pour objet la beauté de l'ame, fi vous voulés les juftifier, & vous juftifier vous-même de les avoir dépeints.

PLA. Voulés-vous que je vous dise la vérité? La beauté de l'efprit donne de l'admiration, celle de l'âme donne de l'eftime, & celle du corps de l'amour. L'eftime & l'admiration font affés tranquilles ; il n'y a que l'amour qui foit impétueux.

M. D'E. Vous êtes devenu libertin depuis votre mort; car non-feulement pendant votre vie vous parliés un autre langage fur l'amour, mais vous mettiés en pratique les idées fublimes que vous en aviés conçues. N'avésvous pas été amoureux d'Arquéanaffe de Colophon, lorfqu'elle étoit vieille ? Ne fites-vous pas ces Vers pour elle!

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