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pas plû à beaucoup de perfonnes biert fenfées.

ALE. Que ces perfonnes bien fenfées en difent tout ce qu'il leur plaira. Si j'avois ufé fi fagement de ma valeur & de ma fortune, on n'auroit prefque point parlé de moi.

PHRI. Ni de moi non plus, fi j'avois ufé trop fagement de ma beauté. Quand on ne veut que faire du bruit ce ne font pas les caractéres les plus raifonnables qui y font les plus propres.

DIALOGUE II.

MILON, S MINDIRIDE.

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SMIND I RIDE.

U es donc bien glorieux, Milon, d'avoir porté un boeuf fur tes épaules aux Jeux Olimpiques.

MILON. Affurément l'action fut fort belle. Toute la Gréce y applaudit, & l'honneur s'en répandit jufque fur la Ville de Crotone ma patrie, d'où font fortis une infinité de braves Athletes,

Au contraire, ta Ville de Sibaris fera décriée à jamais par la molleffe de fes Habitans, qui avoient banni les coqs de peur d'en être éveillés, & qui prioient les gens à manger un an avant le jour du repas, pour avoir le loifir de le faire auffi délicat qu'ils le vouloient.

SMIN. Tu te moques des Sibarites ; mais toi, Crotoniate groffier, crois-tu que fe vanter de porter un boeuf, ce ne foit pas fe vanter de lui reffembler beaucoup?

MI. Et toi, crois-tu avoir reffemblé à un homme, quand tu t'es plaint d'avoir paffé une nuit fans dormir, à cause que parmi les feuilles de rofes dont ton lit étoit femé, il y en avoit eu une fous toi qui s'étoit pliée en deux?

SMIN. Ileft vrai que j'ai eu cette délicateffe; mais pourquoi te paroît-elle Li étrange?

MI. Et comment fe pourroit-il qu'elle ne me le parût pas?

SMIN. Quoi n'as-tu jamais vû quelque Amant, qui étant comblé des faveurs d'une Maîtreffe à qui il a rendu des fervices fignalés, foit troublé dans la poffeffion de ce bonheur par la crainte qu'il a que la reconnoiffance n'agiffe

dans le coeur de la Belle, plus que l'in

clination?

MI. Non, je n'en ai jamais vû. Mais quand cela fefoit?

SMIN. Et n'as-tu jamais entendu párfer de quelque Conquérant, qui au retour d'une expédition glorieufe, fe trouvåt peu fatisfait de fes triomphes, parce que la fortune y auroit eu plus de part que fa valeur, ni fa conduite, & que fes deffeins auroient réussi sur des mesures fauffes & mal prifes?

MI. Non, je n'en ai point entendu parler. Mais encore une fois, qu'en veuxtu conclure?

SMIN. Que cet Amant & ce Conquérant, & généralement prefque tous les hommes, quoique couchés fur des fleurs, ne fauroient dormir, s'il y en a une feule feuille pliée en deux. Il ne faut rien pour gâter les plaifirs. Ce font des lits de rofes, où il eft bien difficile que toutes les feuilles fe tiennent étendues, & qu'aucune ne fe plie; cependant le pli d'une feule fuffit pour incommoder beaucoup.

MI. Je ne fuis pas fort favant fur ces matiéres-là; mais il me femble que toi, & l'Amant, & le Conquérant que

tu fupposes, & tous tant que vous ètes, vous avés extrêmement tort, Pourquoi vous rendés-vous fi délicats?

SMIN. Ah! Milon, les gens d'efprit ne font pas des Crotoniates comme toi; mais ce font des Sibarites encore plus rafinés que je n'étois.

MI. Je vois bien ce que c'eft. Les gens d'efprit ont affurément plus de plaisirs qu'il ne leur en faut, & ils permettent à leur délicateffe d'en retrancher ce qu'ils ont de trop. Ils veulent bien être fenfibles aux plus petits désagrémens, parce qu'il y a d'ailleurs affés d'agrémens pour eux; & fur ce pied-là je trouve qu'ils ont raison.

SMIN. Ce n'eft point du tout cela. Les gens d'efprit n'ont point plus de plaifirs qu'il ne leur en faut.

MI. Ils font donc fous de s'amufer à être fi délicats?

SMIN. Voilà le malheur. La délicateffe eft tout-à-fait digne des hommes; elle n'eft produite que par les bonnes qualités & de l'efprit, & du coeur; on fe fait bon gré d'en avoir; on tâche à en acquérir quand on n'en a pas; cependant la délicateffe diminue le nom

bre des plaifirs, & on n'en a point trop. Elle eft caufe qu'on les fent moins vivement, & d'eux-mêmes ils ne font point trop vifs. Que les hommes font à plaindre! Leur condition naturelle leur fournit peu de chofes agréables, & leur raifon leur apprend à en goûter

encore moins.

DIALOGUE III.

DIDON, STRATONICE.

DIDON.

HELAS! ma pauvre Stratonice,

que je fuis malheureuse! Vous savés comme j'ai vécu. Je gardai une fidélité fi exacte à mon premier Mari, que je me brûlai toute vive, plutôt que d'en prendre un fecond. Cependant je n'ai pû être à couvert de la médifance. Il a plû à un Poëte nommé Virgile de changer une Prude auffi févére que moi, en une jeune Coquette qui fe laiffe charmer de la bonne mine d'un Etranger dès le premier jour qu'elle le voit. Toute

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