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Ce qui était digue de remarque, c'est que madame de Montespan, qui avait dans cette fète le rôle principal, ne se trouvait pas à la table du roi. Elle était placée à celle dont la duchesse de Montausier faisait les honneurs, entre la duchesse de Crussol et la duchesse de Gesvres. Il y avait aussi à cette même table madame de Tallemont, madame et mademoiselle de Raré, mademoiselle de Scudéry et enfin madame Scarron. Réduite à l'in digence par la suppression de la pension de deux milles livres que lui faisait la reine mère, pension dont elle avait en vain sollicité le rétablissement, madame Scarron avait refusé d'épouser un homme riche de naissance, mais de mœurs dissolues. Pour ne pas être à charge à ses puissants amis, qui of fraient de la recueillir chez eux, elle avait mieux aimé se résoudre à s'expatrier, et consentir à se mettre à la suite de mademoiselle d'Aumale, princesse de Nemours, qui allait à Lisbonne pour être reine de Portugal. Mais madame de Thianges, qui connaissait avec quelle répugnance madame Scarron avait pris cette résolution, s'opposa à son départ, et la présenta à sa sœur madame de Montespan, qui la prit en amitié. Madame de Montespan, alors au commencement de sa liaison avec le roi, obtint facilement ce que les Richelieu, les Chalais, les d'Albret, les Villeroy et madame d'Heudicourt avaient en vain sollicité1. Malgré la vive opposition de Colbert, la pension de madame Scarron fut rétablie. Louis XIV, habile à donner un plus grand prix à toutes ses grâces par la manière dont il

I MAINTENON, Lettres, t. I, p. 38. — Idem, édit. de Collin, 1806, t. I, p. 36-44 (lettres à madame de Chanteloup, 28 avril, 11 juillet 1666). — CAYLUS, Souvenirs, collect. de Petitot, t. LXVI, p. 443.

Idem, édit. Renouard, 1806, in-12, p. 84.—AVRIGNY, Mém. chronologiques (édit. 1725), t. III, p. 189. — LA BEAUMELLE, Mémoires.

les conférait, tira parti de ses refus et de ses délais mêmes, lorsque madame Scarron, présentée par madame de Montespan, vint lui faire ses remerciments. « Madame, lui dit-il, je vous ai fait attendre longtemps. J'ai été jaloux de vos amis, et j'ai voulu avoir ce mérite auprès de vous'. » Telle fut la première entrevue de deux êtres depuis si intimement unis, séparés alors par un si grand intervalle, qui croyaient n'avoir plus jamais aucune autre occasion de se voir ou au moins de se parler. Pourtant madame de Montespan continua de goûter de plus en plus la société de madame Scarron, qui, toujours prudente et réservée, ne se prodiguait pas, et tournait déjà à la grande dévotion. Madame de Sévigné, qui avait été liée avec Scarron, ne cessa point de voir sa veuve, et la rencontrait souvent chez la maréchale d'Albret, à l'hôtel de Richelieu et chez madame d'Heudicourt. Le public de cette époque n'était pas encore déshabitué du style burlesque mis en crédit par Scarron; et après lui Loret et ses continuateurs avaient, par leurs gazettes du monde élégant, continué à en maintenir la vogue dans la haute société. Aussi les œuvres de Scarron 2, qui furent alors réunies et publiées avec ses lettres inédites, livrées à l'éditeur par d'Elbène, eurent-elles un grand succès. Une de ces lettres, adressée à madame de Sévigné 3, dont nous

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I LA BEAUMELLE, Mémoires de Maintenon, t. I, p. 285.-MAINTENON, Lettres, t. I, p. 43 (lettre à madame de Chanteloup, en date du 11 juillet 1666). Ibid., t. I, p. 40, 41, 48.

2 Œuvres de M. SCARRON, revues, corrigées et augmentées; Paris, Guillaume de Luyne, 1669, in-12.

3 Les dernières Œuvres de M. SCARRON, divisées en deux parties; Paris, Guillaume de Luyne, 1669, in-12, t. I, p. 21, à madame de Sévigny la veuve. (La lettre suivante, à tort intitulée à madame de Sévigny la marquise, est adressée à madame Renaud de Sévigné,

avons déjà parlé à sa date, constatait l'admiration qu'avait eue pour elle ce bel esprit bouffon; et plusieurs autres lettres, de même pour la première fois publiées, démontraient la sollicitude de Scarron pour sa femme, la tendresse et le respect qu'elle avait su lui inspirer, et ajoutaient encore à l'intérêt qu'on prenait à elle. L'ambition de madame Scarron parut comblée lorsqu'on eut rétabli sa pension. Du moins elle écrivit à madame de Chanteloup, son amie: « Deux mille livres! c'est plus qu'il n'en faut pour ma solitude et pour mon salut '. » Par la suite, cette somme ne suffisait pas au salaire d'une de ses femmes de service.

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mère de madame de la Fayette. Conférez la 1re partie de ces Mémoires, chap. xvi, t. I, p. 226.)

' MAINTENON, Lettres, édit. de 1806, in-12, t. I, p. 43 (à madame de Chanteloup, 11 juillet 1666).

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La fête donnée à Versailles ajoute à la célébrité de ce lieu. — La description de Versailles, dans le roman de Psyché, de la Fontaine, contribue au succès de cet ouvrage. Madame de Sévigné lisait tous les écrits de cet auteur. — Elle aimait les divertissements du théâtre. —Elle approuvait Louis XIV d'avoir soutenu le Tartuffe. Chefs-d'œuvre de Molière, de la Fontaine, de Racine et de Boileau qui parurent à cette époque. Ce grand mouvement littéraire exerce de l'influence sur le talent de madame de Sévigné. – L'amour maternel suppléait chez elle à l'amour de la gloire. — Louis XIV fait cesser les persécutions contre les jansénistes, et les rappelle de leur exil. — Madame de Sévigné les revoit chez elle et chez la duchesse de Longueville. — Elle lit les Essais de morale de Nicole. Succès du P. Desmares à Saint-Roch. - Prédiction de madame de Sévigné sur le P. Bourdaloue. Elle se rétracte. — De Bossuet. - Madame de la Fayette fait paraître Zayde ; — Huet, son Traité sur l'origine des romans. — Madame de Sévigné ignorait qu'elle participerait à la gloire du grand siècle. — Elle se mettait au-dessous de toutes les femmes auteurs de son temps. - Les lettres qu'elle écrit à Bussy sont au nombre de ses meilleures.-Bussy les recueille, et les insère dans ses Mémoires. Inscription qu'il met au bas du portrait de madame de Sévigné. — Elle et Bussy se faisaient valoir mutuellement. — Mot de madame de Sévigné à ce sujet.Jugement que Bayle porte des lettres de madame de Sévigné à Bussy.-Poëme d'Hervé de Montaigu sur le style épistolaire. - Éloge qu'il fait de madame de Sévigné. Elle a entretenu une correspondance très-active avec le cardinal de Retz. Retz s'était volontairement retiré à Commercy. Il s'était réconcilié avec Louis XIV, auquel il rendit d'importants services. Il va deux fois à Rome, et contribue à la nomination de deux papes. dame de Sévigné lui écrit pour lui recommander Corbinelli et

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- Ma

une affaire qui intéresse le maréchal d'Albret. -- Réponse qu'elle en reçoit.

L'éclat et la pompe de la grande fète qui eut lieu à Versailles, après la paix d'Aix-la-Chapelle, avaient donné beaucoup de célébrité à cette ville nouvelle, à ce château, à ces jardins, à ce parc, magnifiques créations de Louis XIV, presque aussi rapides et aussi étonnantes que ses conquêtes. La Fontaine fit alors paraître son charmant poëme d'Adonis et son gracieux roman de Psyché. Les descriptions du lieu où l'auteur a placé les interlocuteurs de ce roman nous paraissent avec raison aujourd'hui un hors-d'œuvre; mais alors, au contraire, ces descriptions, où la poésie venait au secours de la prose, contribuèrent beaucoup au succès de l'ouvrage. Versailles était alors si peu connu, et tant de personnes cependant avaient pu récemment admirer ce prodige, tant d'autres n'en avaient rien appris que par des récits vulgaires, que la Fontaine intéressait tous les lecteurs en s'adressant aux souvenirs des uns et à l'imagination des autres. Le sujet de ce volume était encore l'amour, non cet amour sensuel dont l'auteur s'était trop complu à tracer la dangereuse peinture dans ses deux recueils de contes, mais cet amour que l'âme partage et dont il dit que les peines sont plus douces que les plaisirs 2. Un an avant l'apparition de ce roman, la Fontaine s'était acquis une gloire plus du

Les Amours de Psiché (sic) et de Cupidon, par M. DE LA FONTAINE; Paris, chez Claude Barbin, 1669, in-8°. A la page 441 commence le poëme d'Adonis ; le privilége est du 2 mai 1668. – Conférez l'Histoire de la vie et des ouvrages de la Fontaine, 3e édition, p. 172 à 190.

2 « Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines. » Psyché, p. 56, édit. 1669.

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