Page images
PDF
EPUB

préparée à la liberté que vous deviez prendre de m'écrire, et je ne saurais m'accoutumer à celle que vous prenez de m'oublier. Vous voyez que je ne vous la donne pas longtemps. J'ai soin de mes intérêts. Je n'ai pas même voulu les mettre entre les mains de madame de Coulanges, pour vous faire ressouvenir de moi. Il m'a paru qu'elle n'était pas propre à vous en faire souvenir agréablement. Il ne faut point confondre tant de rares merveilles, et je ne prendrai point de chemins détournés pour me mettre du nombre de vos amies. Je serais honteuse de devoir cet honneur à d'autres qu'à moi. Je vous marque assez l'envie que j'en ai en faisant un pas comme celui de vous écrire: s'il ne suffit, et que vous ne m'en jugiez pas digne, j'en aurai l'affront; mais aussi ina vanité sera satisfaite si je viens à bout de cette entreprise. Je suis votre servante.

<< M. (Marguerite) DE SÉVIGNÉ.

«Ma mère est votre très-humble servante. >>

Peut-être n'est-il pas au-dessous du soin que le biographe doit prendre de n'omettre aucun des détails qui puissent jeter quelque jour sur les inclinations et les habitudes des temps et des personnages qu'il a entrepris de faire connaître de dire ici que cette lettre de mademoiselle de Sévigné, trouvée à la Bibliothèque royale parmi les papiers de l'archevêque de Reims, avait été close au moyen d'une faveur couleur de rose, retenue aux deux bouts par un double cachet carré, très-petit, en cire roire, portant l'empreinte d'une grenade fermée, avec ces mots italiens Il piv (piu). grato. nasconde: « Ce qu'elle a de meilleur, elle le cache. >> On reconnaît ici le goût, si général alors.

pour les emblèmes et les devises. Les carrousels et les ballets, si fréquents dans les fêtes de la cour depuis le règne du dernier roi, avaient introduit cette mode, qui fut adoptée et propagée par les beaux esprits galants et les précieuses chevaleresques de l'hôtel de Rambouillet. Ce goût était partagé par madame de Sévigné, et elle l'avait communiqué à sa fille. Clément, conseiller à la cour des aides et intendant du duc de Nemours, avait, dans sa riche bibliothèque, réuni les ouvrages sur les emblèmes et les devises publiées en différentes langues, mais plus particulièrement en italien; lui-même composait des devises fort ingénieuses, et avait acquis par là une petite célébrité. Ce fut lui qui donna à mademoiselle de Sévigné la devise gravée sur son cachet, devise que, depuis, madame de Coulanges appliqua à la Dauphine'.

I MICHEL DE MAROLLES, Mémoires, 1755, in-12, t. II, p. 103; et t. III, p. 260. - SÉVIGNÉ (31 mai et 21 juin 1680), t. VII, p. 11, 59, édit. de G.; t. VI, p. 297 et p. 333, édit. M.

L'Histoire de madame de Maintenon (voir son histoire par M. le duc de Noailles, t. II, p. 2, 1848, in-8°) raconte la chose autrement : ce fut madame de Maintenon qui appliqua cette devise à la Dauphine, en faisant présent au Dauphin d'une canne dont la pomme renfermait le portrait de la Dauphine avec cette devise: Il piu grato nasconde.

[merged small][merged small][ocr errors]

Louis XIV s'empare de la Franche-Comté. — Formation de la triple alliance. - Louis XIV avait le génie du gouvernement, mais non le génie militaire. — Avis différents donnés par les généraux et les ministres. — Ces derniers l'emportent. — La paix d'Aix-la-Chapelle est conclue.-Louis XIV rend la Franche-Comté et garde les conquêtes de Flandre. — Fêtes données à Versailles le 18 juillet 1668. — Madame et mademoiselle de Sévigné y étaient. — Relation manuscrite de cette fête par l'abbé de Montigny, ami de madame de Sévigné. Pourquoi cette relation est préférable à celle que Félibien a publiée. — Magnificence des divertissements. — Trois cents dames furent invitées à cette fête. — On y joue, pour la première fois, la comédie de George Dandin, de Molière. — Molière compose aussi les vers des intermèdes et des ballets mis en musique par Lulli. — Madame et mademoiselle de Sévigné soupent à la table du roi. — Bruits qui couraient sur l'inclination de Louis XIV pour mademoiselle de Sévigné. — Le duc de la Feuillade cherchait à faire naître cette inclination. Lettre de madame de Montmorency à Bussy de Rabutin à ce sujet. - Réponse de Bussy. — MADAME favorise la princesse de Soubise auprès du roi. — La froideur de mademoiselle de Sévigné la garantit de la séduction. - L'infidélité de Louis XIV envers la Vallière était la cause de toutes ces intrigues. - Madame de Montespan n'était pas encore maîtresse en titre. A la fête, madame de Montespan n'était point à la table du roi. —A la même table étaient madame de Montespan et madame Scarron. Détails sur madame Scarron. Elle veut s'exiler. - Madame de Montespan la protége, et fait rétablir sa pension. - Madame de Sévigné se rencontrait fréquemment avec elle. Madame Scarron tourne à la grande dévotion. Elle est satisfaite de son sort. Publication des lettres et œuvres inédites de Scarron.

-

De tous côtés on négociait: toutes les puissances voulaient faire cesser la guerre que l'ambition de Louis XIV

1 LOUIS XIV, Œuvres, t. II, p. 344.

avait allumée; toutes voulaient mettre un terme aux agrandissements de la France. Les Espagnols espéraient obtenir des rigueurs de l'hiver une trève que le vainqueur voulait leur faire acheter à trop haut prix. En effet, toutes les opérations militaires étaient suspendues; une partie des troupes qui avaient servi à l'envahissement des Pays-Bas rentraient forcément dans l'intérieur. En même temps, des régiments qui se trouvaient dans le Midi marchaient vers le Nord; mais on savait que leur destination était pour la Bourgogne, et que le prince de Condé, gouverneur de cette province, y devait tenir les états. De fréquents courriers étaient dépêchés par ce prince à un grand nombre d'officiers généraux, avec injonction de se rendre sans délai près de lui à Dijon. Les approvisionnements et les apprêts de tout ce qui était nécessaire pour entrer en campagne étaient hâtés par le roi, au milieu de l'hiver, avec une activité inaccoutumée. On sut que, pour pouvoir suffire à tous les ordres qu'il donnait, il interrompait ses heures de sommeil ; et on vit bien qu'il n'était pas, comme il voulait le faire croire, uniquement occupé des plaisirs de sa cour, des embellissements du château de Saint-Germain et des grandes et étonnantes constructions qui s'exécutaient à Versailles. L'imminence du danger fit sortir de son assoupissement l'indolence espagnole, et bientôt le secret que le roi de France avait dissimulé avec tant de soin fut divulgué, mais trop tard. Par des marches habilement déguisées, une armée, dont les divers corps étaient naguère disséminés dans toutes les parties du royaume, se trouva tout à coup réunie et prête à marcher. Condé, qui n'avait sup

LOUIS XIV, Œuvres, t. II, p. 233; t. III, p. 89.

porté qu'avec douleur le repos auquel il avait été condamné, en prit le commandement. En deux jours, il s'empare de Besançon ; Luxembourg, qui servait sous lui, prend en même temps Salins'. Dôle veut résister : Louis XIV y vient en personne, et, après quatre jours de siége, s'en rend maitre3. Deux jours après, Gray se donne à lui, et toute la Franche-Comté lui fait sa soumission. La conquête de cette grande et belle province fut achevée durant le plus grand froid de l'année, entre le 7 et le 22 février (1668), c'est-à-dire en quinze jours*.

Cependant, aussitôt que les alliés de Louis XIV avaient commencé à pénétrer le secret de ses desseins, ils s'étaient tournés contre lui. Dès le mois de janvier de cette année, l'Angleterre, la Suède et la Hollande avaient projeté entre elles une triple alliance, qui fut confirmée presque aussitôt après la conquête de la Franche-Comté. De concert avec l'Espagne, ces puissances ouvrirent des négociations avec l'ambitieux conquérant, pour le forcer à la paix 5.

Louis XIV ne manquait pas de bravoure ; il était froid et calme au milieu du danger; il savait s'y exposer, pour l'exemple. Il en donna des preuves au siége de Lille, jusqu'à mécontenter sérieusement Turenne; mais ce n'était

[ocr errors]

2

MONGLAT, Mémoires, t. LI, p. 143.

BUSSY, Lettres, t. V, p. 49 (16 février 1668).

3 LOUIS XIV, Œuvres, t. II, p. 349. BUSSY, Lettres, t. III,

p. 82 (16 février 1668).

4 MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 120.—MONGLAT, Mémoires, t. LI, P. 56. - Louis XIV, Euvres, t. II, p. 354. (MONGLAT dit

[ocr errors]

douze jours, Louis XIV quinze.)

5 MONGLAT, Mémoires, t. LI, p. 159-160.

« PreviousContinue »