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Deux syndics de la corporation des libraires de Paris, avertis par Foppens qu'il allait faire paraître cette édition, en instruisirent Bussy dans sa prison. Bussy se hâta d'écrire à Colbert à ce sujet, et il employa en même temps un habile commissaire de police pour découvrir ceux qui vendaient sous son nom l'Histoire amoureuse de France.

Deux libraires surpris en flagrant délit furent saisis et mis à la Bastille. Bussy apprit, par l'interrogatoire qu'on fit subir à Maugé, que cet homme l'avait déjà dénoncé en 1663, comme lui ayant troqué deux exemplaires du Testament du cardinal Mazarin. Ce fait fut trouvé faux d'après les propres déclarations de Maugé, qui fut mis au cachot pour sa calomnie. Il en sortit deux jours après, ce qui parut suspect à Bussy; car il sut en même temps alors, d'après cette dénonciation, qu'on avait été sur le point de l'arrêter, lui Bussy, quand la cour allait à Vincennes en 1664, et qu'on en fut empêché par l'entretien qu'il avait eu à Fontainebleau avec le roi. Bussy, dans cet entretien, se justifia non pas de ce qui concernait la dénonciation faite contre lui, puisqu'il l'ignorait alors, mais Maximes d'amour, MDCLXVI, petit in-12 (sans nom de lieu ni d'imprimeur). Le récit de la débauche pendant la semaine sainte est à la page 190; le Cantique, p. 195 et 197; l'Histoire de madame de Sévigné, à la page 200. Autre édition, sans nom d'auteur, intitulée Histoire amoureuse des Gaules, édition nouvelle; à Liége, 1666 (avec la sphère), 260 pages. L'Histoire de madame de Chanville (Sévigné) est à la page 216. Autre édition, et sans nom d'auteur, intitulée Histoire amoureuse de France; Amsterdam, chez Isaac Van-Dyck, 1 vol. in-12, MDCLXXVII. Le Cantique est aux pages 198 à 200; l'Histoire de madame de Sévigné, à la page 202. Il y a de plus, dans cette édition, la Lettre au duc de Saint-Aignan, en date du 12 novembre 1665, qui est dans le Discours de Bussy à ses enfants, page 382.

d'être l'auteur des couplets ou des plaisanteries qu'on lui attribuait faussement. Le roi déclara au duc de SaintAignan qu'il était désabusé et satisfait des explications qui lui avaient été données par Bussy1.

Quand parut l'édition de l'Histoire amoureuse de France avec l'ignoble cantique et le nom de Bussy, Louis XIV n'eut pas besoin d'une nouvelle explication pour ajouter foi aux protestations de Bussy. Il ne douta pas un instant qu'il ne pouvait avoir part à cette édition ni au cantique. Par le manuscrit que lui avait remis Bussy, Louis XIV connaissait le cantique chanté à Roissy, et il savait que ni Bussy ni aucun de ceux qui, dans leur débauche, avaient pendant la semaine sainte fait parade d'impiété n'avaient pu proférer les paroles qu'on leur prêtait. Les disciples des Petit2, des Théophile, des auteurs du Parnasse satirique, d'où partaient de telles attaques, se cachaient dans de honteux galetas, et ne hantaient pas les palais. L'homme de cour ne se croyait pas moins un honnête homme en affichant l'incrédulité en religion et le libertinage des mœurs; mais il aurait cru renoncer à jamais à ce titre s'il avait employé, en vers ou en prose, l'argot crapuleux de la débauche et le langage de la canaille. Bussy, qui passait pour un des plus beaux esprits de la cour et un des plus délicats, quoiqu'un des plus mordants, pouvait, moins qu'un autre, être soupçonné d'un si honteux travers. S'il inséra dans

Sur cette entrevue du roi, conférez Bussy, Mémoires, Amsterdam, 1721, t. II, p. 283, et Discours du comte DE BUSSY-RABUTIN à ses enfants; Paris, chez Anisson, directeur de l'Imprimerie royale, 1694, p. 365-367.

2 Conférez les Œuvres diverses du sieur D***; Amsterdam, 1714, t. II, p. 229.

son roman historique le malin cantique chanté à Roissy, il ne le laissa certainement pas tel qu'il avait été improvisé, et il le supprima dans la copie qui fut communiquée à madame de la Baume. Les plaintes qu'il forma sur le tort que lui faisaient ses ennemis par l'édition de Bruxelles furent entendues et accueillies. Sa femme ayant alors demandé qu'il fût relâché pour se faire traiter d'une maladie dont il était atteint, Louis XIV envoya aussitôt Vallot, son premier médecin, et Félix, son premier chirurgien, pour visiter le prisonnier', et donna ordre de l'élargir. Bussy sortit enfin de la Bastille, pour n'y plus rentrer. Il avait écrit le 10 mars (1665) pour prier Colbert de faire arrêter les libraires qui débitaient l'édition de Bruxelles. Le 22 avril, la comtesse de Bussy avait adressé sa demande au roi, et le 17 mai Bussy était libre. Ces dates en disent plus que tous les arguments sur les couplets intercalés. Dans sa retraite, le duc de Saint-Aignan, le duc de Noailles et un grand nombre de personnages comblés des faveurs de Louis XIV continuèrent à correspondre avec Bussy, et s'honoraient d'être de ses amis. Mais ils ne purent jamais le faire rentrer au service, quoique la reine mère elle-même eût souvent intercédé pour lui lorsqu'il était en prison 2.

Nous savons que, lors de l'accusation intentée à Bussy pour avoir composé des écrits offensants contre le roi et la reine mère, le vendredi 17 avril 1665 au matin, le chevalier du guet Testu se transporta chez Bussy, et, d'après les ordres qu'il avait reçus, s'empara de tous ses papiers,

'Bussy, Mémoires; Amsterdam, 1721, t. II, p. 301. Discours du comte DE BUSSY-RABUTIN à ses enfants, 1694, in-12, p. 404. 2 Bussy, Mémoires, t. II, p. 337.

et même le fouilla. Au nombre des manuscrits que Testu saisit était celui de l'Histoire amoureuse des Gaules, le même que Bussy avait prêté au roi. Après que le lieutenant de justice criminel eut pris connaissance de ce manuscrit et de tous les papiers de Bussy, qu'il l'eut interrogé juridiquement et qu'on eut fait un rapport au roi sur le résultat de cette enquête, le roi déclara que Bussy n'avait rien écrit contre sa personne ni contre celle de la reine, et permit à ceux qui s'intéressaient à lui de parler en sa faveur. Mais cependant le roi dit en même temps qu'il retiendrait encore Bussy en prison, pour le dérober à la fureur des ennemis qu'il s'était faits par son libelle, parce que, sans cette précaution, ils le feraient assassiner; ce que Bussy confirme lui-même, puisqu'il avoue que, sur les avis qui lui furent donnés, il ne sortait plus qu'avec deux pistolets dans sa voiture, et qu'il se faisait suivre de quatre hommes à cheval, également armés 1. On sut bientôt que c'était sur la dénonciation du prince de Condé, et non par suite d'aucun ressentiment du roi, que Bussy avait été arrêté 2. Par les lettres du duc de Saint-Aignan, nous apprenons que ce fut le même motif qui força Louis XIV à exiler Bussy dans ses terres et qui l'empêchait de lui permettre de revenir à Paris et d'employer ses talents pour la guerre.

Malgré la protection de la reine mère, de MADAME, de MADEMOISELLE; malgré les vives sollicitations du duc de Saint-Aignan, du duc de Noailles, du comte de Gra

'Bussy, Discours à ses enfants, p. 375. - BARRIÈRE, la Cour et la Ville, p. 46. — Ménagiana, t. IV, p. 215. MENAGII Poemata, octava editio; Amstolodani, Ep. p. 147, epigram. CXXXVIII.

2 Lettres, GU-PATIN (18 août 1665), t. III, p. 153; lettre 354. Ibid., Bussy, Mémoires; Amsterdam, 1721, t. II, p. 300.

mont et de beaucoup d'autres, Bussy ne put être rappelé de son exil que dans l'âge où il n'était plus propre à faire le métier de courtisan et à recommencer celui de guerrier. Ces mêmes lettres du duc de Saint-Aignan nous disent que dans le cantique qui se trouvait dans le manuscrit remis au roi, d'après lequel Bussy avait fait ses lectures confidentielles, deux femmes d'un haut rang étaient diffamées, et que Turenne et Condé, qui prenaient à elles un vif intérêt, fortement courroucés contre l'auteur, s'opposaient toujours à ce qu'il reprit du service. Eux et leurs adhérents continuaient à attribuer à Bussy les nouveaux couplets et les épigrammes qui circulaient de temps à autre contre les généraux, le roi et sa cour. Le mécontentement de Bussy ne pouvait que donner crédit à cette accusation. L'édition de son libelle, réimprimé avec un titre plus clair, avec tous les noms et avec l'intercalation des Alleluia, en accrut encore le succès, et redonna à cette œuvre malheureuse le piquant de la nouveauté. Dans tous les temps, le public oiseux a aimé le scandale. Jamais la calomnie n'abandonne entièrement celui qui, par ses vices et ses travers, a prêté le flanc à ses coups: les blessures qu'elle lui fait sont incurables, et semblent être la juste punition de ses méfaits ignorés. Bussy remarque lui-même que les premières copies de l'Histoire amoureuse des Gaules, qui n'étaient pas falsifiées, furent mises de côté quand celles qui l'étaient parurent, parce que, dit-il, chacun court à la satire la plus forte, et trouve fade la véritable 2. Chaque fois qu'on

Bussy, Lettres, t. III et V, passim.

2 Bussy, De l'usage des adversités, t. III, p. 269; des Mémotres. - BAYLE, Dictionnaire, p. 2957.

1.

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