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Le meilleur résultat des lettres de madame de Sévigné est de nous la bien faire connaître.-La plupart des lettres qu'elle avait écrites semblent perdues.. De la correspondance qu'elle avait entrete

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nue avec M. de Pomponne. Détails sur ce ministre. De la correspondance de madame de Sévigné avec d'Hacqueville. Comment elle trace le caractère de celui-ci lorsqu'il devient amoureux de la fille du maréchal de Gramont.-De la correspondance de madame de Sévigné avec Corbinelli. Avec madame de la Fayette et M. de la Rochefoucauld. — Détails sur l'une et sur l'autre. De la correspondance de madame de Sévigné avec M. et madame de Coulanges. - Détails sur l'un et sur l'autre.

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De

la correspondance de madame de Sévigné avec son fils. Caractère de celui-ci. - Ses travers de jeunesse. Sa tendresse pour sa mère.

- Nouveaux détails sur la correspondance de madame de Sévigné avec sa fille

Poursuivons le sujet commencé dans le précédent chapitre; et avant de conduire madame de Sévigné aux états de Bretagne et de lui faire entreprendre son grand voyage en Provence, avant de rechercher ce que les lettres qui nous restent d'elle nous apprennent sur l'histoire et les mœurs de son temps, voyons ce qu'elles nous font connaître sur elle-même ; étudions-la ( elle en vaut la peine), étudions-la dans ses confidences les plus intimes, dans ses plus grandes indiscrétions, dans ses aveux les plus imprudents, et nous trouverons que, malgré ses faiblesses, peu de femmes peuvent lui être comparées pour l'élévation de l'âme, les qualités du cœur, les lumières de l'esprit et le talent d'écrire. Qu'on ne s'y méprenne pas; elle eut

de bonne heure le sentiment de son talent épistolaire; et quoique jamais elle ne fût prise de la vanité de croire qu'elle pût, comme son amie madame de la Fayette, faire un livre et occuper les imprimeurs, elle savait que les moyens de plaire que lui donnait dans la société sa belle et vive imagination se retrouvaient en elle plus forts et plus séduisants encore au bout de sa plume et dans le silence du cabinet. Née pour le grand monde avant d'être absorbée par sa passion maternelle, avant que son amourpropre, son ambition, son orgueil fussent concentrés dans sa fille, elle était coquette partout et toujours. Elle voulait se montrer aimable à tous ceux qui lui plaisaient et à qui elle plaisait. Seule, et en leur absence, elle se rendait présente à eux par ses lettres et le charme de son esprit; aussi devons-nous beaucoup regretter ce qu'elle écrivit dans son bel âge, lorsqu'elle-même en butte aux séducteurs elle s'intéressait aux intrigues galantes dont elle était entourée. Quelques courtes lettres écrites à Ménage, à Bussy, deux billets à Lenet', un billet en italien à la marquise d'Uxelles 2, voilà tout ce qui nous reste d'elle de ces premiers temps; mais cela suffit pour nous montrer que dès lors même elle croyait pouvoir se rendre digne de la louange que Ménage lui avait donnée dans les vers qu'il composa sur son portrait :

1 Lettres inédites de madame DE SÉVIGNÉ, publiées par M. Vallet de Viriville dans la Revue de Paris, 28 décembre 1844. (Dans la première de ces lettres, datée de minuit, ces mots : « Si je n'étais prête d'aller aux Quinze-Vingts, » veulent dire, Si je n'étais prête à fermer les yeux et à me coucher.)

2 Billet italien de madame DE SÉVIGNÉ à la marquise d'Uxelles, suivi d'une lettre de madame de Grignan à la même, publié par M. Monmerqué; Paris, 1844, p. 10-13.

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Ch' ogni cor prende, e, come vuol, l'aggira '.

Malheureusement le plus grand nombre des lettres qu'elle avait écrites à toutes les époques semblent perdues pour toujours.

De toutes les correspondances que madame de Sévigné avait engagées avec diverses personnes, les plus regrettables sont celles avec son fils, avec M. et madame de Coulanges, avec madame de la Fayette et le duc de la Rochefoucauld, avec le cardinal de Retz, avec Corbinelli, avec d'Hacqueville et avec M. de Pomponne.

Ce fut une grande joie pour madame de Sévigné lorsque de Pomponne, qui était ambassadeur en Suède, fut rappelé de son ambassade et fait secrétaire d'État des affaires étrangères en remplacement de M. de Lionne, décédé. L'opinion de son mérite et son intégrité avaient pu seules déterminer le roi à faire ce choix; car de Pomponne, ainsi que nous l'avons fait connaître, avait été, comme ami de Fouquet, pendant quelque temps en disgrâce 3; et de plus il appartenait à une famille dont tous les membres s'étaient en quelque sorte illustrés par leur dévouement au jansénisme. Aussi tous ceux qui tenaient à ce parti célébrèrentils son avénement au pouvoir comme un triomphe; l'un d'eux fit à ce sujet les vers suivants :

Élevé dans la vertu

Et malheureux avec elle,

' ÆGIDI MENAGII Poemata, 8o édit., p. 325. Sopra il ritratto della marchesa di Sevigni, sonetto II.

2 SÉVIGNÉ, Lettres (13 septembre 1671), t. II, p. 189, édit. de M.; t. II, p. 225, édit. de G. de S.-G.

3 Conférez ci-dessus, chap. ì, p. 14, et la deuxième partie de ces Mémoires, p. 265 et 269.

Je disais: A quoi sers-tu,
Pauvre et stérile vertu?

Ta droiture et tout ton zèle,
Tout compté, tout rabattu,
Ne valent pas un fétu.

Mais voyant que l'on couronne
Aujourd'hui le grand Pomponne,
Aussitôt je me suis tu.

A quelque chose elle est bonne '.

De Pomponne, devenu ministre, mit plus d'empressement que jamais à resserrer les nœuds d'amitié qui l'unissaient à madame de Sévigné; voici comment elle en écrit à sa fille : « J'eus hier une heure de conversation avec M. de Pomponne; il faudrait plus de papier qu'il n'y en a dans mon cabinet pour vous dire la joie que nous eûmes de nous revoir; il sait écouter aussi bien que répondre, il me donne toujours de l'esprit; le sien est tellement aisé qu'on prend sans y penser une confiance qui fait qu'on parle heureusement de tout ce qu'on pense : je connais mille gens qui font le contraire. Enfin, ma fille, sans vouloir m'attirer de nouvelles douceurs, dont vous êtes prodigue pour moi, je sortis avec une joie incroyable, dans la pensée que cette liaison avec lui vous serait trèsutile. Nous sommes demeurés d'accord de nous écrire; il aime mon style naturel et dérangé, quoique le sien soit comme celui de l'éloquence même2. »

Madame de Sévigné ne se trompa pas. Par M. de Pomponne elle obtint sur les affaires de la Provence une influence heureuse pour son gendre, et dont celui-ci fut

'SÉVIGNÉ, Lettres, t. II, p. 368, édit. de G. de S.-G.; t. II, p. 312, édit. de M., en note.

SÉVIGNÉ, Lettres (3 février 1673), t. II, p. 368; t. II, p. 312 · édit. de M.

reconnaissant. Il est certain que, si l'on retrouvait les lettres qu'elle écrivit à ce ministre pendant ces deux années, nous verrions qu'elles sont au nombre des plus correctes et des mieux faites de toutes celles qu'elle a écrites 1.

1

La correspondance de madame de Sévigné avec le cardinal de Retz, pendant qu'il était dans sa retraite de Commercy, devait être très-active, et nous aurait appris beaucoup de particularités intéressantes sur elle-même. Cette correspondance était très-intime: Retz avait contribué au mariage de madame de Sévigné; il fut le parrain de Pauline de Grignan, et dans tous les temps il donna à toute la famille des preuves d'affection et d'amitié.

Mais une des correspondances perdues de madame de Sévigné qui semblait nous promettre le plus de particularités sur elle-même et sur les personnages de son temps est celle qu'elle entretenait avec d'Hacqueville, ce confident des affaires les plus secrètes de ses amis, cet ami inépuisable, si actif à obliger qu'il semblait se multiplier, si bien qu'on ne parlait de ses actes qu'en mettant son nom au pluriel, et en disant les d'Hacquevilles. Mais son écriture était indéchiffrable, et madame de Sévigné · n'avait aucun plaisir à recevoir de ses lettres; elle ne devait donc lui écrire que par nécessité, et fort brièvement: les lettres qu'elle lui adressait étaient peu remarquables; mais elle s'intéressait beaucoup à lui, et il lui a fourni dans sa correspondance avec sa fille une des pages les plus piquantes qu'elle ait écrites. Madame de Sévigné avait mandé à madame de Grignan que ce d'Hacqueville, dont ses amis redoutaient l'austère sagesse, était devenu

'SÉVIGNÉ, Lettres (6 et 20 novembre 1672), t. III, p. 129, 144, 145, édit. de M.; t. III, p. 209, 228 à 230, édit. de G. de S.-G.

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