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rousse. Ce duc (car, quoique de Pomponne ne lui donne que le titre de marquis, en sa qualité d'Avignonais il était, depuis quelque temps, duc de la façon du pape Alexandre VII '); ce duc, dis-je, avant d'épouser mademoiselle de Guénégaud, avait recherché en mariage mademoiselle de Sévigné. Nous ignorons les causes qui ont empêché la conclusion de cet hymen, mais nous verrons par la suite que madame de Sévigné dut se féliciter d'avoir échappé au malheur d'une telle union 2. Celle qui devait être la victime de cet homme immoral fut, par une bizarrerie du sort, mariée en même temps que lui. La jeune de Montmort, alors amie de mademoiselle de Sévigné, épousa le fils de ce M. de Bertillac qui s'était montré si dévoué aux intérêts de M. de Pomponne3.

Madame de Guénégaud avait plusieurs motifs pour rappeler autour d'elle les plaisirs trop longtemps bannis de son séjour par le malheur qui avait frappé son mari. Enfin ce mari lui était rendu; et son gendre, âgé de vingt ans, beau, aimable, dont rien n'indiquait les inclinations vicieuses, devait, d'après les conventions de son contrat, être pendant deux ans, avec sa femme, l'hôte et le commensal de son beau-père et de sa belle-mère. Aussi, cette année, les divertissements furent fréquents à Fresnes,

'Une des trois parties de la seigneurie de Caderousse fut érigée en duché par bulle du pape du 18 septembre 1663. Voyez le Dictionnaire de la France, par D'EXPILLY, in-folio, t. II, p. 4, article CADEROUSSE.

2 SÉVIGNÉ, Lettres en date du 1er août 1667, t. I, p. 117; du 9 août 1671, t. II, p. 149; t. III, p. 73, et t. VI, p. 123 et 153, éd. de Monmerqué.

3 Voyez ci-dessus, p. 14; et SÉVIGNÉ, Lettres du 7 août 1675 et du 24 janvier 1680, t. III, p. 367, édit. M.; t. VI, p. 321 de l'édit. de G. de S.-G.; ou t. VI, p. 124 et 153 de l'édit de Monmerqué. - Mémoires de COULANGES, p. 383 et 395. Ce mariage eut lieu le 17 décembre 1665.

et la société y fut très-animée. Ce château de Fresnes, situé un peu au delà de Claye, près du confluent que forme la Beuvronne en se jetant dans la Marne, avait été, d'après les ordres de M. de Guénégaud, presque entièrement reconstruit par François Mansaid. Les environs de Paris, si riches en magnifiques demeures, n'en offraient aucune qui surpassat Fresnes par la beauté des points de vue, la facilité qu'il présentait aux promeneurs de jouir sans fatigue de tous les agréments d'une belle nature, enfin par la commodité et la splendeur des appartements. Fresnes, par la grandeur et la magnificence du parc et des jardins, rappelait Vaux, cette splendide création de Fouquet. Par l'amabilité, l'esprit cultivé de madame de Guénégaud, on pouvait à Fresnes se croire encore à l'hôtel de Rambouillet, mais avec cette gaieté, ce sans-gêne que permettent les résidences à la campagne et que n'admettent point les salons de la ville. Madame de Sévigné, quand elle n'allait point à Livry, cédait volontiers aux invitations de madame de Guénégaud, et passait avec sa fiile une partie de l'été à Fresnes. Les hôtes habitués de ce charmant séjour avaient gardé la coutume de l'hôtel de Rambouillet, de se désigner mutuellement par des noms empruntés aux romans ou à la mythologie, ou par des sobriquets baroques. Madame de Guénégaud était connue sous le nom d'Amalthée', sans doute à cause de l'abondance qu'elle faisait régner autour d'elle; M. de Pomponne portait le nom de Clidamant et M. Duplessis-Guénégaud celui d'Alcandre; Timanes

1 Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes; Cologne, Pierre Marteau, t. II, p. 79.

2 Lettres de M. DUPLESSIS-GUÉNÉGAUD et Lettres de POMPONNE, dans les Mémoires de COULANGES, p. 396-398, 402-404.

est certainement M. de la Rochefoucauld; et quant aux autres personages, Aniandre, Méliande, Cléodon, il est difficile de déterminer avec certitude ceux que ces noms servaient à désigner. Cet usage est cause que plusieurs des allusions qu'on trouve dans les lettres qui nous restent de M. de Pomponne sont aujourd'hui inexplicables. Il fait mention, dans une de ces lettres, des espiègleries que mademoiselle de Sévigné 1 s'était permises envers quelques-uns des Quiquoix : c'était le nom jovial par lequel on désignait ceux qui fréquentaient habituellement le château de Fresnes et l'hôtel de Nevers. Enfin, tous les Quiquoix, lorsqu'ils étaient à Fresnes, femmes et hommes, se considéraient comme les nymphes et les tritons de la Beuvronne 2.

I

Ces Quiquoix étaient des hôtes fort gais, très-aimables et très-spirituels, si nous en jugeons par les pièces de vers qu'adressèrent quatre d'entre eux à madame de Guénégaud, chez laquelle, pendant le carnaval, ils avaient, déguisés en muets du Grand Seigneur et masqués, dansé un ballet, sans avoir été reconnus. Ils supposent qu'ils en étaient morts de douleur et qu'ils lui écrivent des enfers:

Du noir cabinet de Pluton,
Et d'un des fuseaux de Clothon,

Nous vous écrivons cette lettre,
Qu'un Songe vient de nous promettre

1 POMPONNE, Lettre en date du 5 juin 1667. GES, p. 405.

Mém. de CoULAN

2 POMPONNE, Lettre en date du 17 avril 1666, p. 402. Pomponne écrit toujours Brévone, et peut-être est-ce le véritable nom de cette petite rivière, nommée Beuvronne sur nos cartes modernes.

De vous porter dès cette nuit
Sans vous faire ni peur ni bruit.

Sous mille formes différentes, Nos ombres, vos humbles servantes, D'un vol prompt quittant les enfers, Vont droit à l'hôtel de Nevers; Les beautés des champs Élysées Pour ce beau lieu sont méprisées : Månes, fantômes et lutins, Esprits plus follets que malins, Un caprice nous y transporte Par la fenêtre et par la porte. Là, comme de notre vivant, Tantôt, derrière un paravent, Nous prenons grand plaisir d'entendre Un entretien galant et tendre; Tantôt, du coin du cabinet, Nous observons ce qui se fait; Tantôt, sous le tapis de table, Nous jugeons d'un conte agréable; Tantôt, sous les rideaux du lit, Nous rions lorsque quelqu'un rit.

Quoique nos ombres amoureuses
Aiment les heures ténébreuses,
Et qu'elles vous fassent leur cour
La nuit plus souvent que le jour,
Pour n'être pas toutes contentes,
Elles ne sont pas déplaisantes.

Le mal, à ne rien celer,

Est que nous ne saurions parler.

Quiconque en l'empire nocturne
Descend muet et taciturne
N'y devient pas fort éloquent,
Ou ce miracle est peu fréquent;
La mort prend tout, et la friponne

Ne rend la parole à personne :
Ainsi notre unique recours

Est de vous écrire toujours.
Lisez donc, charmante Amalthée,

Une lettre qui fut dictée

Du pays d'où nul ne revint,

L'an mil six cent soixante-cinq 1.

Peut-être ces vers étaient-ils de M. de Pomponne: il en avait fait beaucoup dans sa jeunesse. Deux des madrigaux de la fameuse Guirlande de Julie d'Angennes sont signés DE BRIOTE, qui était son premier nom, et on a imprimé de lui une ode qui prouve un vrai talent pour la poésie2.

Mais il était occupé, au temps dont nous traitons, d'affaires plus sérieuses. La cessation des rigueurs du pouvoir fut pour de Pomponne le commencement d'une haute faveur. Le maréchal de Gramont et de Lionne, tous deux ses amis, parvinrent à le faire rentrer dans les emplois publics. Louis XIV le nomma ambassadeur extraordinaire en Suède à la fin de cette même année 16653. Le jeune roi était attentif à s'entourer de tous les hommes capables, et il ne se laissait dominer par aucune prévention quand il s'agissait de l'intérêt de l'État. Non-seulement il avait permis au cardinal de Retz de rentrer, mais il traitait avec égard cet ancien chef de la Fronde, parce qu'il prévoyait en avoir besoin“. Le

Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes; Cologne, chez Pierre Marteau, 1667, in-18, 2o partie, p. 80-83.

2 Recueil de poésies diverses, par M. DE LA FONTAINE, 1671, in-12, II, p. 113 et 114. Guirlande de Julie, à la suite des Mémoires de M. le duc DE MONTAUSIER, p. 193 et 199.

3 L'abbé ARNAULD, Mém., t. XXXIV, p. 18. graphie universelle, t. XXXIV, p. 318.

4 LOUIS XIV, Lettres, t. V, p. 395.

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