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réimprimait ce livre ', comme on fit en 1671 et en 1677, il renouvelait les ressentiments qu'il avait excités lors de sa première apparition; et peut-être est-ce à cette cause que nous devons attribuer ces retours d'aigreur que madame de Sévigné manifeste quelquefois envers son cousin, après avoir déclaré qu'elle lui avait pardonné. Tandis que, dans son exil, Bussy était au milieu des ouvriers et des décorateurs de son château, madame de Sévigné, dans les fêtes et les cercles où elle conduisait sa fille, s'enivrait des jouissances de l'orgueil maternel, et augmentait le nombre de ses amis et de ses admirateurs.

Cette cour, ce monde, où brillaient madame de Sévigné et sa fille, acquéraient chaque jour plus d'éclat par l'influence du jeune roi qui présidait aux destinées de la France. Ce n'est pas que nous soyons encore à l'époque la plus remarquable de son règne, mais nous sommes arrivés à celle qui est la plus utile à étudier pour l'historien et pour l'homme d'État. C'est pendant les années 1665 et 1666 que Louis XIV a consolidé les bases de son gouvernement, préparé les combinaisons de sa politique, arrêté

1 Histoire amoureuse de France; Amsterdam, Van-Dyck, 1671,

Ibid., 1677. — Une 3o édition, Bruxelles, chez Pierre Dobeleer, 1708, petit in-12; une 4° édition, par M***, chez Adrian Mœtjens, 1710, in-12. Cette dernière est celle que j'ai citée et que je croyais la première avec ce titre. La Lettre de Bussy au duc de Saint-Aignan est à la fin, après le Cantique. J'ai tenu l'édition de 1666, avec le nom de Bussy; mais je ne connais que par la mention qu'en fait Barbier (t. II, p. 60, Dictionnaire des Anonymes) l'édition de Van-Dyck, 1677, et l'édition de Bruxelles, 1708. Je possède l'Histoire amoureuse des Gaules, édition nouvelle; Liége, 1666, avec la sphère, sans nom d'auteur; et les deux éditions de Liége, sans date ni nom d'auteur ni d'imprimeur; une, avec une croix de Saint-André (Elzevier): ces deux éditions ont précédé toutes les autres.

pour lui-même les règles de conduite qui ont fait sa grandeur '. Tant qu'il les a suivies, ses succès furent constants; il n'éprouva de revers que lorsque ses fortes facultés eurent ployé sous le poids des années, et quand, fasciné par ses victoires et par le long exercice du pouvoir, il eut perdu cette volonté ferme qui l'astreignait aux maximes que lui-même s'était prescrites. Jusque-là il a pu dire avec vérité : « L'État, c'est moi; » car il était la pensée vivifiante de la monarchie, celui dont la main puissante comprimait toutes les ambitions coupables, dont les regards encourageaient tous les talents, dont les paroles dispensaient la fortune, les honneurs et la gloire.

C'est en effet au temps dont nous traitons qu'on vit apparaître, comme par enchantement, plusieurs des grands écrivains qui devaient illustrer ce siècle. C'est dans les années 1665 à 1666 que la Fontaine, le conteur, fit paraître son premier volume 2, la Rochefoucauld ses Maximes 3, Boileau son Discours au roi et sept de ses satires 4, Racine sa tragédie d'Alexandre 5; que Molière mit le sceau à sa réputation par le Tartuffe et le Misanthrope 6.

Il est une chose digne de remarque relativement aux

' Louis XIV, Instructions pour le Dauphin, dans ses Œuvres, t. III, p. 189.

2 Contes et nouvelles en vers de M. DE LA FONTAINE; Paris, 1665, in-12, chez Claude Barbin.

3 Réflexions ou Sentences et Maximes morales; Paris, 1665, in-12, chez Claude Barbin.

4 Satires du sieur D***; Paris, 1666, in-12, chez Claude Barbin. 5 Alexandre le Grand, tragédie; Paris, 1666, in-12, chez Pierre Trabouillet.

6 Mademoiselle, Mémoires, t. XLIII, p. 127, de la collection de Les frères PARFAICT, Histoire du théâtre françois.

Petitot.

brillants athlètes qui s'élançaient simultanément dans l'arène littéraire : c'était leur audace; c'était leur dessein avoué de censurer en tout la société de cette époque; c'étaient leurs vives agressions contre les célébrités qui y primaient, contre les ridicules les plus en crédit, contre les ouvrages les plus prônés, les illusions les plus douces, les réputations les mieux établies, les doctrines les plus respectées. Le livre des Maximes tendait à faire disparaître ces idées chevaleresques, cette croyance à la sympathie des âmes et à l'amour platonique qui jusqu'alors avait souvent paré d'un semblant de vertu les vices d'une société dont ce livre était une amère satire. Molière et Boileau osaient, par de piquantes personnalités, donner plus de sel et de saveur à leurs redoutables sarcasmes. Racine, dédiant au roi sa tragédie d'Alexandre, dans une préface qu'il supprima depuis, s'attaque à Corneille, et lance des traits malins contre les admirateurs de ce grand homme. La comédie des Plaideurs parut la même année que la grande ordonnance sur la procédure civile (1667); et les maîtres, les protecteurs de la jeunesse du poëte irritable ayant osé blâmer ceux qui travaillaient pour le théâtre, il reversa I sur eux les traits acérés du ridicule, dont Pascal s'était servi pour les défendre. Lorsque ces pieux solitaires, par leurs nombreux prosélytes, avaient mis en crédit la réforme qu'ils projetaient dans la religion et dans les mœurs, les licencieux récits de l'auteur de Joconde paraissent avec privilége, et sont lus sans scrupule.

Madame de Sévigné avait, plus qu'aucune femme de

I Conférez les Euvres de RAJINE et les frères PARFAICT, Histoire du théâtre françois, t. X, p. 226.

son temps, l'instruction et le genre d'esprit nécessaires pour apprécier des génies de la trempe des Molière, des Boileau, des Racine et des la Fontaine; mais lorsque leurs premiers écrits parurent, elle était entièrement adonnée à l'éducation de ses enfants, et, sincèrement pieuse, elle faisait ses délices et son profit des traités de Nicole sur la morale. Quoiqu'elle ne se fût point interdit les fêtes, les spectacles et les plaisirs du monde, elle ne pouvait donner son approbation à des productions où Chapelain, Ménage, Saint-Pavin, Montreuil et tant d'autres de ses amis étaient personnellement offensés. L'odieux libelle de Bussy, où madame de Sévigné était outragée, avait fait explosion en même temps que les vers du satirique; et ce fut encore alors que, dans le Voyage de MM. Chapelle et de Bachaumont, qu'on venait de publier, la rail‣lerie avait été poussée, à l'égard de « ce pauvre d'Assoucy 2; » à un degré de cynisme que Voltaire seul, à sa honte, a depuis surpassé 3.

Nous en avons assez dit pour faire comprendre pour

Las « de grossir impunément les feuillets d'un recueil, » Montreuil venait de publier ses Œuvres; Paris, 1666, in-12, chez Billaine. Conférez p. 5, 107 et 472 de cette édition, pour les lettres et les vers relatifs à madame de Sévigné.

2 Voyez la Lettre de D'Assoucy à Chapelle, datée de Rome le 25 juillet 1665. Dans les Aventures de M. D'Assoucy; Paris, 1677, in-12, chez Claude Audinet, t. II, p. 254 et 260-264; et le chapitre X, p. 283, intitulé Ample Réponse de D'Assoucy au Voyage de M. Chapelle.

3 Voyages de Messieurs BACHAUMONT et CHAPELLE, dans le Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes, 1663 ou 1667, p. 64-75; Voyage de Messieurs LE COIGNEU DE BACHAUMONT et CL. EMMAN. LUILLIER CHAPELLE; 1732, la Haye, in-12, p. 81 à 82. C'est la meilleure édition de toutes celles qu'on a publiées avant et après.

quoi madame de Sévigné éprouvait de la répulsion pour les jeunes poëtes dont la réputation commençait à s'établir. Mais elle avait un sentiment trop vif des beautés littéraires pour ne pas goûter leurs vers: comme elle ne voulait pas les admettre dans son intimité, elle aimait à se rendre dans les assemblées où ils les lisaient. Ainsi nous la trouvons avec sa fille chez son amie madame Duplessis de Guénégaud, écoutant Boileau réciter plusieurs de ses satires et Racine trois actes et demi de sa tragédie d’Alexandre, le 3 février 1665. Ce jour-là même arrive aussi chez madame de Guénégaud, après un long exil, M. de Pomponne, cet ami intime de madame de Sévigné, celui auquel elle avait assidûment écrit pour le mettre au courant de toutes les vicissitudes de crainte et d'espérance que lui avaient fait éprouver les interrogatoires du procès de Fouquet. On conçoit la joie de cette assemblée à l'aspect inattendu d'un tel hôte. Mais laissons de Pomponne s'expliquer lui-même. Il écrit le lendemain à son père, Arnauld d'Andilly, auprès duquel il s'était rendu et qu'il venait de quitter; il lui annonce son arrivée à Paris; il dit qu'il a d'abord été voir madame Ladvocat, sa belle-mère; ensuite M. de Bertillac, trésorier général de la reine, qui avait beaucoup contribué à son retour; qu'il avait reçu la visite de Hacqueville; et ensuite il continue ainsi :

« Monsieur de Ladvocat me descendit à l'hôtel de Nevers [l'hôtel Guénégaud ]2, où le grand monde que j'appris qui était en haut ne m'empêcha point de paraître en

'Lettres de M. DE POMPONNE, à la suite des Mémoires de CoULANGES, 1820, in-8°, p. 383.

2 Voyez notre Seconde partie des Mém. de madame DE SÉVIGNÉ, p. 497; les Mémoires de CoULANGES, p. 383, note 2 de M. MONMERQUÉ.

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