Page images
PDF
EPUB

pas crier à propos: Vive le Roi! Vive la Ligue! nous ne crions rien du tout; et cette politique nous avait réussi jusqu'au jour où Fouquet passa-devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m'étonne qu'on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter: tout autre eût été plus plausible; et je trouve qu'on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l'hérésie de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

Toutefois vous voyez que Luynes n'est point, Messieurs, comme vous l'auriez pu croire, un centre de rébellion, un de ces repaires qu'on livre à la vengeance publique, mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le Royaume. Il était tel du moins, avant qu'on y eût allumé, par de criantes iniquités, des ressentimens et des haines qui ne s'éteindront de longtemps. Car, je dois vous le dire, Messieurs, ce pays n'est plus ce qu'il était; s'il fut calme pendant des siècles, il ne l'est plus maintenant. La terreur à présent y règne, et ne cessera que pour faire place à la vengeance. Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée; elle est augmentée depuis, et cela chez des gens qui jusqu'à ce moment n'avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L'injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magistrats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les pro

téger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n'ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtez-vous, Messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du Roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu.

P.-L. COURIER, propriétaire.

Paris, le 10 décembre 1816.

PROCÈS

DE

PIERRE CLAVIER-BLONDEAU

POUR PRÉTENdus outrages FAITS A M. LE MAIRE DE VÉRETZ, département d'Indre-et-Loire.

A SON EXCELLENCE

PLACET

MONSEIGNEUR LE MINISTRE.

[1819]

MONSEIGNEUR,

Es persécutions que j'éprouve dans le département d'Indre-et-Loire seraient longues à raconter. En voici les principaux traits.

Le 12 décembre dernier, on coupa et enleva, dans ma forêt de Larçai, quatre gros chênes baliveaux de quatre-vingts ans. Mon garde fit sa plainte légale, et requit le maire de Véretz de permettre, suivant la loi, la recherche des bois volés. On savait où ils étaient. Le maire s'y refusa malgré la lecture qu'on lui fit de la loi qui l'oblige, sous peine de destitution, d'accompagner lui-même

le garde dans cette recherche. Tout cela est constaté par des procès-verbaux.

Quelque temps après, les mêmes gens coupèrent, dans la même forêt, dix-neuf chênes les plus gros et les plus beaux de tous. Procès-verbal fut fait, plainte portée au maire et au procureur du Roi, qui menaça de sa surveillance, non les voleurs, mais le garde et moi.

Dernièrement on a encore coupé, dans la même forêt, un seul gros baliveau de soixante et quinze ans. On a tenté de mettre le feu en différens endroits. Les auteurs de ces délits sont connus, et non-seulement nulle poursuite n'a été faite contre eux, mais on s'oppose constamment à la recherche légale des bois enlevés.

Le nommé Blondeau, l'un de mes gardes, est chargé par moi, cette année, de différentes exploitations que je fais faire par nettoiement. On l'a laissé abattre et façonner tout le bois, mais au moment de la vente, on le fait condamner, sous les plus absurdes prétextes, à un mois de prison, sans grâce ni délai. Le voilà ruiné totalement, et moi, en partie. On l'accuse dans le procès-verbal fait contre lui en apparence, mais réellement contre moi, d'avoir dit à M. le maire (dont il a une peur mortelle): Allez vous faire f........ C'est là le crime qu'on lui suppose, et pour lequel on va détruire toute l'existence et la fortune d'un père de famille de soixante ans, qui a toujours vécu sans reproche. Je ne vous parle point, Monseigneur, des procès

I.

risibles qu'on me fait, dans lesquels je succombe toujours. Chaque fois que je suis volé, je paie des dommages et intérêts. Si on me battait, je paierais l'amende. On menace maintenant de me brûler. Si cela arrive, je serai condamné à la peine des incendiaires.

Ce n'est pas qu'on me haïsse dans le pays. Je vis seul et n'ai de rapports ni de démêlés avec personne. Tout cela se fait pour faire plaisir à M. le maire et à MM., les juges, à M. le procureur du Roi et à M. le préfet, gens que je n'ai jamais vus et dont j'ignore les noms.

Enfin il est notoire, dans le département, qu'on peut me voler, me courir sus, et chaque jour on use de cette permission. Je suis hors de la loi pour avoir défendu avec succès des gens qu'on voulait faire périr, il y a deux ou trois ans. Voilà, disent quelquesuns, le vrai motif du mal qu'on me fait à présent.

Je supplie Votre Excellence d'ordonner que tous ceux qui me pillent ou m'ont pillé soient légalement poursuivis, et qu'on me laisse en repos à l'avenir. C'est malgré moi que j'ai recours à l'autorité quand les lois devraient me protéger. Mais la chose presse, et je crains que mes bois ne soient bientôt brûlés. Je suis avec respect, Monseigneur,

de Votre Excellence,

le très-humble et très-obéissant serviteur.

P.-L. COURIER,

Ancien Chef d'escadron,

Membre de la Légion d'honneur.

Paris, le 30 mars 1819.

« PreviousContinue »