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Exemple 2:

Le lever du soleil à Carthage

Ils étaient sur la terrasse. Une masse d'ombre énorme s'étalait devant eux, et qui semblait contenir de vagues amoncellements, pareils aux flots gigantesques d'un océan noir pétrifié.

Mais une barre lumineuse s'éleva du côté de l'orient. A gauche, tout en bas, les canaux de Mégara commençaient à rayer de leurs sinuosités blanches les verdures des jardins. Les toits coniques des temples heptagones, les escaliers, les terrasses, les remparts, peu à peu se découpaient sur la pâleur de l'aube; et tout autour de la péninsule carthaginoise une ceinture d'écume blanche oscillait, tandis que la mer, couleur d'émeraude, semblait comme figée dans la fraîcheur du matin.

Puis à mesure que le ciel rose allait s'élargissant, les hautes maisons inclinées sur les pentes du terrain se haussaient, se tassaient telles qu'un troupeau de chèvres noires qui descend des montagnes. Les rues désertes s'allongeaient; les palmiers, çà et là sortant des murs, ne bougeaient pas; les citernes remplies avaient l'air de boucliers d'argent perdus dans les cours, le phare du promontoire commençait à pâlir. Tout en haut, dans le bois de cyprès, les chevaux, sentant venir la lumière, posaient leurs sabots sur le parapet de marbre et hennissaient du côté du soleil.

Il parut. Tout s'agitait dans une rougeur éperdue, car le Dieu, comme se déchirant, versait à pleins rayons sur Carthage, la pluie d'or de ses veines. Les éperons des galères étincelaient, les toits paraissaient tout en flammes, et l'on apercevait des lueurs au fond des temples dont les portes s'ouvraient. Les grands chariots, arrivant de la campagne, faisaient tourner leurs roues sur les dalles des rues. Des dromadaires, chargés de bagages, descendaient les rampes. Les changeurs, dans les carrefours, relevaient les auvents de leurs boutiques. Des cigognes s'envolèrent, des voiles blanches palpitaient. On entendait dans le bois de Tanit le tambourin des prêtresses, et les fourneaux pour cuire les cercueils d'argile commençaient à fumer.-FLAUBERT.

On ne peut s'empêcher d'admirer cette description, un des chefs-d'œuvre de Flaubert. On remarquera spécialement :

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galères, dromadaires, cercueils

2° L'emploi du mot propre : l'océan noir pétrifié, la mer figée, les voiles palpitaient.

Le plan est plus simple que celui du morceau précédent. Il peut se représenter de la façon suivante :

(a) La nuit: ténèbres.

(b) Les premières lueurs: effets sur canaux, verdure, temples, mer, maisons, rues, animaux.

(c) Apparition du globe de feu.

Exemple 3 :

Un incendie dans une ville du Rhin

Bientôt les pompes sont arrivées, les chaînes de travailleurs se sont formées et je suis monté dans le grenier, énorme enchevêtrement à plusieurs étages de charpentes pittoresques, comme en recouvrent tous ces grands toits d'ardoise des bords du Rhin. Des lucarnes, je plongeais dans la fournaise et j'étais, pour ainsi dire, dans l'incendie même. C'est une effroyable et admirable chose qu'un incendie vu à brûle-pourpoint. Je n'avais jamais eu ce spectacle; puisque j'y étais, je l'ai accepté. Au premier moment, quand on se voit comme enveloppé dans cette monstrueuse caverne de feu où tout flambe, reluit, pétille, crie, souffre, éclate et croule, on ne peut se défendre d'un mouvement d'anxiété; il semble que tout est perdu et que rien ne saura lutter contre cette force affreuse qu'on appelle le feu; mais, dès que les pompes arrivent, on reprend courage.

On ne peut se figurer avec quelle rage l'eau attaque son ennemi. A peine la pompe, ce long serpent qu'on entend haleter en bas dans les ténèbres, a-t-elle passé au-dessus du mur sombre son cou effilé, et fait étinceler dans la flamme sa fine tête de cuivre, qu'elle crache avec fureur un jet d'acier liquide sur l'épouvantable chimère à mille têtes.

Le brasier, attaqué à l'improviste, hurle, se redresse, bondit effroyablement, ouvre d'horribles gueules pleines de rubis et lèche de ses innombrables langues toutes les portes et toutes les fenêtres à la fois. La vapeur se mêle à la fumée; des tourbillons blancs et des tourbillons noirs s'en vont à tous les souffles du vent et se tordent et s'étreignent dans l'ombre sous les nuées. Le sifflement de l'eau répond au mugissement du feu. Rien n'est plus terrible et plus grand que cet ancien et éternel combat de l'hydre et du dragon. V. HUGO.

Nous laissons, à dessein, à l'élève le soin de lire attentivement ce morceau et celui qui suit et de dresser un plan analogue à ceux qui précèdent, tout en remarquant les traits les plus caractéristiques de la description.

Exemple 4:

Le boléro

Représentez-vous bien, ami lecteur, l'attente passionnée de deux jeunes Français enthousiastes et romantiques qui vont voir pour la première fois une danse espagnole . . . en Espagne !

Enfin la toile se leva sur une décoration qui avait des velléités, non suivies d'effet, d'être enchanteresse et féerique; les cornets à piston soufflèrent avec plus de fureur que jamais la fanfare déjà décrite et le baile nacional1 s'avança sous la figure d'un danseur et d'une danseuse armés tous deux de castagnettes.

Je n'ai rien vu de plus triste et de plus lamentable que ces deux grands débris qui "ne se consolaient pas entre eux. Le théâtre à quatre sous n'a jamais porté sur ses planches vermoulues un couple plus usé, plus éreinté, plus édenté, plus chassieux, plus chauve et plus en ruine.

La pauvre femme qui s'était plâtrée avec du mauvais blanc, avait une teinte bleue de ciel qui rappelait à l'imagination les images d'un cadavre de cholérique ou d'un noyé peu frais; les deux taches rouges qu'elle avait plaquées sur le 1 Danse nationale.

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haut de ses pommettes osseuses, pour rallumer un peu ses yeux de poisson cuit, faisaient avec ce bleu le plus singulier contraste; elle secouait avec ses mains veineuses et décharnées des castagnettes fêlées qui claquaient comme les dents d'un homme qui a la fièvre, ou les charnières d'un squelette en mouvement. De temps en temps, par un effort désespéré, elle tendait les ficelles relâchées de ses jarrets, et parvenait à soulever sa pauvre vieille jambe taillée en balustre, de manière à produire une petite cabriole nerveuse, comme une grenouille morte soumise à la pile de Volta, et à faire scintiller et fourmiller une seconde les paillettes de cuivre du lambeau douteux qui lui servait de basquine.

Quant à l'homme il se trémoussait sinistrement dans son coin; il s'élevait et retombait flasquement comme une chauvesouris qui rampe sur ses moignons; il avait une physionomie de fossoyeur s'enterrant lui-même; son front ridé comme une botte à la hussarde; son nez de perroquet, ses joues de chèvre lui donnaient une apparence des plus fantastiques; et si, au lieu de castagnettes, il avait eu en main un rebec gothique, il aurait pu poser pour le coryphée de la danse des morts sur la fresque de Bâle.

Tout le temps que la danse dura, ils ne levèrent pas une fois les yeux l'un sur l'autre ; on eût dit qu'ils avaient peur de leur laideur réciproque et qu'ils craignaient de fondre en larmes en se voyant si vieux, si décrépits et si funèbres. L'homme surtout fuyait sa compagne, et semblait frissonner d'horreur dans sa vieille peau parcheminée, toutes les fois qu'une figure de la danse le forçait de s'en rapprocher. Ce boléro macabre dura cinq ou six minutes, après quoi la toile tombant mit fin au supplice de ces deux malheureux et au nôtre. Voilà comme le boléro apparut à deux pauvres voyageurs épris de couleur locale. TH. GAUTIER.

Applications

Sans vouloir planer à la même hauteur que les écrivains précédents, il nous faut maintenant appliquer leurs principes et leur vocabulaire. Les idées doivent être nôtres et les devoirs suivants sont destinés précisément à en favoriser l'éclosion en habituant l'élève à se passer progressivement de l'aide qui lui est généreusement donnée au début. Les sujets relatifs à la description se diviseront en trois groupes principaux :

1° Description de choses vues.

2o Description de choses connues ou qu'on peut étudier. 3o Description de sujets purement imaginaires.

1° Description de choses vues :

1er Sujet : L'Alouette

Où rencontre-t-on

Il s'agit de décrire cet oiseau bien connu. des alouettes? Quand se montrent-elles de préférence ? Le matin, à midi, ou le soir? Au printemps ou en hiver? Qu'estce qu'une alouette? Un animal, un oiseau ? Quelles sont: sa taille, sa couleur, ses habitudes, sa voix? Toutes ces questions et d'autres encore devront se poser, mais, en y répondant, on se gardera bien de montrer trop de science pure et d'écrire comme un naturaliste en herbe de ma connaissance: "L'alouette est un passereau conirostre . . . etc." Quels sont, parmi les traits les plus caractéristiques de l'oiseau, ceux qui demandent un développement plus approfondi ?

Sa voix? Pourquoi ?

Son vol? Qu'est-ce qui le caractérise ?

Son caractère? Est-il comparable à celui du hibou ?

Sa réputation? Relire Buffon (Histoire des Oiseaux) et
Michelet (L'Oiseau.)

Lorsque nous aurons élucidé ces questions et d'autres encore, nous pourrons établir notre plan qui comprendra, entre autres, les idées suivantes.

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