Page images
PDF
EPUB

fit écrire un billet de vingt-cinq sous pour le surplus. . . Oh! le scélérat! il était déjà homme d'affaires à treize ans. Puis, tirant enfin le cher objet de sa poche: "Tiens, me dit-il, la voilà! . . .”

Je me précipitai sur elle. . . Au bout de quelques secondes, ainsi que je l'avais prévu, je connaissais le secret et je tirais le tendon qui servait de cordon de sonnette aussi bien que Couture. Pendant deux minutes, cela m'amusa follement; après deux minutes, cela m'amusa moins; après trois, cela ne m'amusa presque plus; après quatre, cela ne m'amusa plus du tout. Je tirais toujours, parce que je voulais avoir les intérêts de mon argent .. Puis vint la tristesse, puis le regret, puis la perspective de trois semaines de pain sec, puis le sentiment de ma bêtise. . . et tout cela se changeant peu à peu en amertume, la colère s'en mêla . . et au bout de dix minutes, saisissant avec une véritable haine l'objet de mon amour, je le lançai par dessus la muraille, afin d'être bien sûr de ne plus le revoir!... LEGOUVÉ, Les pères et les enfants au XIXe siècle.

4ème Exemple :

...

Une lettre d'introduction

Le jeune Mergy trouva la cour de l'hôtel encombrée de valets et de chevaux, parmi lesquels il eut de la peine à se frayer un passage jusqu'à une vaste antichambre, remplie d'écuyers et de pages, qui, bien qu'ils n'eussent d'autres armes que leurs épées, ne laissaient pas de former une garde imposante autour de l'amiral.1 Un huissier en habit noir, jetant les yeux sur le collet de dentelle de Mergy et sur une chaîne d'or que son frère lui avait prêtée, ne fit aucune difficulté de l'introduire sur le champ dans la galerie où se trouvait son maître.

Des seigneurs, des gentilshommes, des ministres de l'Évangile, au nombre de plus de quarante personnes, tous debout, la tête découverte et dans une attitude respectueuse, entouraient l'amiral. Il était très simplement vêtu et tout en noir. Sa 1 l'amiral Coligny.

taille était haute, mais un peu voûtée, et les fatigues de la guerre avaient imprimé sur son front chauve plus de rides que les années. Une longue barbe blanche tombait sur sa poitrine. Les joues, naturellement creuses, le paraissaient encore davantage à cause d'une blessure dont la cicatrice enfoncée était à peine cachée par sa longue moustache; à la bataille de Moncontour, un coup de pistolet lui avait percé la joue et cassé plusieurs dents. L'expression de sa physionomie était plutôt triste que sévère, et l'on disait que, depuis la mort du brave Dandelot, personne ne l'avait vu sourire. Il était debout, la main appuyée sur une table couverte de cartes et de plans, au milieu desquels s'élevait une énorme bible in-quarto. Assis au bout de la table, un secrétaire paraissait fort occupé à écrire des lettres qu'il donnait ensuite à l'amiral pour les signer.

A la vue de ce grand homme qui, pour ses coreligionnaires, était plus qu'un roi, car il réunissait en une seule personne le héros et le saint, Mergy se sentit frappé de tant de respect, qu'en l'abordant il mit involontairement un genou en terre. L'amiral, surpris et fâché de cette marque extraordinaire de vénération, lui fit signe de se relever, et prit avec un peu d'humeur la lettre que le jeune enthousiaste lui remit. Il jeta un coup d'œil sur les armoiries du cachet.

66

C'est de mon vieux camarade le baron de Mergy, dit-il, et vous lui ressemblez tellement, jeune homme, qu'il faut que vous soyez son fils."

-"Monsieur, mon père aurait désiré que son grand âge lui eût permis de venir lui-même vous présenter ses respects."

"Messieurs, dit Coligny après avoir lu la lettre et se tournant vers les personnes qui l'entouraient, je vous présente le fils du baron de Mergy qui a fait plus de deux cents lieues pour être des nôtres. Messieurs, je vous demande votre amitié pour ce jeune homme; vous avez tous la plus haute estime pour son père."

Aussitôt Mergy reçut à la fois vingt accolades et autant d'offres de service. MÉRIMÉE.

1er Sujet : Une distribution de prix. Un jeune élève, malade, ne peut aller recevoir le prix qu'il croit avoir gagné. Racontez ses réflexions pendant que ses parents y vont à sa place.

Développement.

Le petit malade, que la fièvre tient encore un peu, est couché dans sa chambrette aux persiennes closes. Il fait déjà lourd, bien qu'il ne soit que dix heures: quelques rayons du soleil pénètrent malgré tout, éclairant la demi-obscurité et faisant danser aux atomes de poussière une sarabande échevelée; les mouches bourdonnent sans discontinuer.

Dans le lit, un petit garçon, au visage pâle, aux yeux cernés, aux traits amaigris, semble rêver, le regard perdu. Il voit la salle où monsieur le sénateur va présider la distribution des prix. Il voit ses professeurs, au grand complet, en robes académiques assis sur l'estrade; sur le côté une pile de beaux livres dorés qui vont être distribués aux lauréats. Et tout va se passer sans lui . . . lui qui devait avoir le prix de "Composition française !"

Il avait pourtant bien travaillé toute l'année, pour faire plaisir à ses pauvres parents et les récompenser des sacrifices. qu'ils s'étaient imposés pour l'envoyer au collège. Et maintenant, ils sont allés, seuls, chercher ce prix qu'il doit avoir gagné. N'est-ce pas une fanfare bruyante qu'il entend tout à coup? il ne rêve pourtant pas ! .. Maintenant que l'ouragan de cuivre est passé, il distingue le brouhaha d'une salle comble; puis tout s'apaise: une seule personne semble lire une succession interminable de mots, que scande de temps à autre un battement de mains. Et tandis qu'il essaie de discerner si ce n'est pas le ronronnement du chat ou le bourdonnement des mouches il s'assoupit . . . il somnole . . . il rêve pour de bon !

Où donc se trouve-t-il maintenant? Ne sont-ce pas ses camarades qui sont assis autour de lui? le professeur qui surveille ? .. C'est bien cela! . . . c'est jour de composition française. Voilà son brouillon, et puis la belle page qu'il vient

de recopier d'une si belle main! Tous ont fini; lui seul est en retard, il a voulu corriger une dernière faute avant de remettre au professeur la composition qui va lui assurer le premier prix.— Voici ... c'est fini . . . il tend sa feuille. Qu'est-ce donc qui lui crève les yeux au moment où le professeur s'en empare? Il ne s'est pas trompé ! il a bien vu rendu! "Elles s'étaient 'rendu' sur la pelouse'

d. . . u

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Il

[ocr errors]

n'y pas d'erreur possible:

du, "rendu!!!" Malheur, tout est perdu! Et

voilà que le "rendu" danse devant ses yeux qui se brouillent, il se multiplie, voici cinq . dix "rendu," une cohue fantastique de "rendu s'agite devant ses yeux. Tous sont maintenant balafrés d'une coupure rouge, d'un rouge de sang; ils s'ébranlent, formant une procession grimaçante et hideuse que le professeur dirige avec sa plume qu'il brandit furieusement.

...

Soudain, il croit se réveiller.-Le voici de nouveau dans la salle où monsieur le sénateur vient de s'asseoir, son discours terminé. La lecture du palmarès commence. Premier prix de version grecque premier prix de thème latin premier prix de composition française . . .-Ah! ce n'est pas son nom! Oh! mais ce n'est pas encore sa classe: tous ces noms qu'il vient d'entendre appartiennent à la "Rhétorique!" Pas d'erreur possible, il lui faut prendre patience, attendre qu'on appelle les noms de la "Seconde Dieu ! que c'est donc long: ce palmarès semble n'avoir pas de fin; il entend des centaines de noms, mais le sien n'est pas du nombre. La fièvre augmente, sa tête est comme une fournaise; il a envie de se lever et d'aller voir

[ocr errors]
[ocr errors]

Tout à coup des pas se font entendre, rapides, dans l'escalier. On monte, les pas se rapprochent, la porte s'ouvre. Enfin ce sont eux! ou plutôt c'est la petite sœur qui est montée de toute la vitesse de ses petites jambes de douze ans. Elle lui apporte le prix tant convoité: deux beaux volumes reliés en chagrin rouge et dorés sur tranches: Les mémoires du général Marbot. Et tandis qu'elle lui pose sur la tête la couronne dorée qui accompagne le prix, les vieux parents arrivent tout essouflés,

[ocr errors]

émus et, dans leurs baisers, le pauvre malade trouve une bien douce récompense de son travail d'une année.

Épuisé par tant d'émotions, il retombe sur son oreiller, tandis qu'un des rayons du soleil qui joue à travers les atomes de poussière, entoure son prix d'une auréole dorée, que le chat continue de ronronner et les mouches de bourdonner.

2ème Sujet : Un moineau qui s'est emparé d'un nid d'hirondelles ne peut en être délogé par celles-ci: aidées d'autres hirondelles, elles murent le spoliateur vivant dans le nid dont il s'est emparé.

Qui ne connaît la voracité et l'avidité proverbiale du moineau ? On est moins au courant de sa paresse qui pourtant est exemplaire, elle aussi, comme on va le voir.

. Un pierrot, qui n'avait pas même eu le courage d'amasser les quelques brindilles généralement suffisantes pour ses congénères, avait passé ses nombreux loisirs à regarder le travail consciencieux de deux hirondelles. Ces dernières s'étaient, pendant plus d'un mois, évertuées à gâcher de petites quantités à la fois d'une espèce de mortier dont elles avaient ensuite bâti sous le rebord du toit un nid très solide et très durable. Que de pensées traversèrent alors son cerveau léger! Il rêvait depuis longtemps d'un abri où il pourrait, loin de la griffe du chat, digérer à loisir le produit de ses rapines dans la basse-cour, le pigeonnier ou les champs nouvellement semés. De là à désirer le nid d'autrui il n'y avait qu'un pas: il fut bientôt franchi.

Un jour que les deux hirondelles s'étaient absentées ensemble pour aller faire leurs dernières emplettes avant la ponte des œufs, il en profita pour s'introduire dans la place et s'y fortifier. Quelle ne fut pas la surprise de la femelle, lorsqu'elle revint la première, de trouver à l'orifice du nid la tête grise d'un vulgaire pierrot. On peut à peine s'imaginer le mépris de l'oiseau au vol rapide qui couvre d'une traite des espaces immenses, pour le pierrot bavard dont les exploits ne dépassent guère les limites de la ferme voisine. Ce mépris empêcha l'hirondelle de s'arrêter un seul

« PreviousContinue »