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Mais déja on avoit entrepris une autre édition des OEuvres de La Fontaine en seize volumes in-18, dont j'avois consenti à revoir les deux derniers volumes. J'avois aussi publié, en un volume in-8°, l'Histoire de la vie et des ouvrages de Jean de La Fontaine, dont on fit une seconde édition in-18, pour la joindre aux OEuvres complètes qu'on venoit de publier sous ce format.

M. Lefèvre, ayant connu par-là que je m'étois occupé de La Fontaine, au lieu de réimprimer simplement une troisième fois l'édition qu'il avoit donnée de cet auteur,, m'engagea à entreprendre un travail sur toutes les productions de notre fabuliste, de les revoir, de les mettre en ordre, de les accompagner des notes nécessaires, afin de rendre la nouvelle édition qu'il préparoit plus régulière, plus exacte, et plus complète. Les deux premières éditions qu'il avoit publiées étoient précédées d'une Vie de La Fontaine par M. Auger; et si ce savant académicien s'étoit rendu éditeur des œuvres de l'auteur qu'il avoit si bien apprécié, il m'auroit épargné un long travail, et le public y auroit beaucoup gagné. Mais malheureusement il n'en étoit pas ainsi : un avis qui se trouve en tête de l'édition de 1814, et qui a été retranché dans celle de 1818, nous apprend que le libraire, qui avoit conçu le premier l'idée de donner une édition complète de La Fontaine, étoit seul resté chargé du soin de la diriger; et quoiqu'il se soit acquitté de sa tâche avec zèle et discernement, il s'est facilement aperçu qu'il restoit encore à cet égard quelque chose à faire.

Je me suis donc laissé trop facilement persuader peutétre qu'il pourroit étre utile aux lettres et agréable au public que je me rendisse éditeur de La Fontaine ; et je publiai, en 1822 et 1823, une nouvelle édition de ce poëte, revue, mise en ordre, et accompagnée de notes, en six volumes in-8°.

Cette édition eut plus de succès que je n'eusse desiré; car on n'a cessé, depuis qu'elle a paru, de la réimprimer, en tout ou en partie, avec des retranchements plus ou moins considérables, soit dans les notes, soit dans les préfaces.

C'est cette même édition que je reproduis avec des additions et des améliorations nombreuses; mais, n'ayant rien changé au plan que je m'étois formé, je dois reproduire aussi l'exposé que j'en ai fait primitivement.

J'ai classé les œuvres de mon auteur d'après les recherches qui m'étoient propres ; j'ai ajouté quelques pièces inédites, ou qui ont été inconnues à tous les éditeurs précédents. Je me suis attaché sur-tout à donner un texte pur et fidèle; et, pour cet effet, il m'a paru indispensable de rassembler toutes les éditions des diverses productions de La Fontaine qui ont été publiées par lui ou de son vivant. Je n'ai pu les trouver réunies dans aucune bibliothèque publique ou particulière, et plusieurs d'entre elles étoient ou mal connues ou totalement inconnues des bibliographes avant la collection que j'en ai formée. J'ai collationné avec soin le texte qui devoit servir de copie à l'imprimeur avec ces éditions originales. Ce travail doit être la base de toute bonne édition; il est sur-tout essentiel pour ceux qui s'adonnent à la critique littéraire. Ainsi il est arrivé plusieurs fois à Voltaire de condamner, dans les vers de Corneille, des fautes que notre grand tragique n'avoit point commises, qui ne se trouvoient point dans les éditions imprimées sous ses yeux, et qui n'étoient dues qu'à l'incurie ou à l'ignorance de ses éditeurs. Qu'il me soit permis de citer encore à ce sujet un fait de moindre importance, mais plus récent. J'avois remarqué que, du temps de Louis XIV, les poëtes se permettoient quelquefois de changer l'orthographe des mots pour les assujettir à la rime. Un jeune et savant critique a cru réfuter mon

assertion en citant un vers de La Fontaine qui donnoit un exemple semblable à celui que j'avois allégué, sans se douter le moins du monde que sa citation prouvoit l'assertion qu'il prétendoit réfuter, puisque ce vers n'étoit pas tel qu'il le citoit, et qu'au contraire, dans deux éditions successives imprimées sous les yeux de La Fontaine, l'orthographe du mot dont il est question s'y trouvoit altérée exactement de la même manière que dans l'exemple que j'avois rapporté.

J'ai donné au bas des pages toutes les variantes qui m'ont été fournies par la comparaison de ces éditions originales ou des manuscrits de l'auteur; et la plupart de ces variantes sont nouvelles, et ne se trouvoient dans aucune édition.

Je n'ai point prétendu écrire un commentaire sur La Fontaine, et je n'ai point eu l'intention de hasarder des jugements et des remarques critiques sur ses diverses productions; mais j'ai pensé qu'il étoit du devoir d'un éditeur de faire bien connoître le texte de son auteur, et de donner aux lecteurs instruits tous les moyens de le bien comprendre. C'est ce qui n'a forcé de consigner dans mes notes quelques explications grammaticales pour indiquer les variations du langage, les mots hors d'usage ou inventés par notre auteur, et aussi les locutions qui lui sont particulières, ou celles qui sont surannées, afin qu'on ne soit pas tenté, comme il est arrivé fréquemment, de les considérer comme des fautes d'imprimeur, et de corrompre le texte en croyant le corriger. C'est par la même raison que j'ai donné des éclaircissements sur les personnes et les choses dont il est fait mention dans les œuvres de La Fontaine, ou auxquelles il fait allusion; car cela est nécessaire pour l'intelligence de son texte, et même aussi pour en assurer l'exactitude.

Enfin j'ai mis en tête de chaque division des OEuvres

de La Fontaine des préfaces qui indiquent aux lecteurs les diverses éditions que j'ai eues sous les yeux, et dans lesquelles je discute, au besoin, les points principaux de bibliographie ou d'histoire littéraire auxquels peuvent donner lieu les productions que ces préfaces concernent. J'ajouterai qu'il m'est quelquefois arrivé, dans mes préfaces ou dans mes notes, d'avancer que telle pièce se trouvoit publiée dans mon édition pour la première fois, ou que telle remarque n'avoit point été faite avant moi. Ces assertions sont exactes, si on les rapporte à ma première édition; mais elles cessent de l'être pour cette seconde édition, qui se produit non seulement après la première, mais encore après toutes les réimpressions qu'on en a faites.

L'Éloge de La Fontaine par Chamfort précède ici les œuvres de notre auteur. C'est peut-être le meilleur ouvrage de ce genre. Mais ce genre a l'inconvénient d'exclure, par ses formes oratoires, les faits et les dates nécessaires à la connoissance de l'histoire des individus, et à l'histoire littéraire, comme à celle des états. C'est pour suppléer à cette lacune que j'ai rappelé, dans une courte notice, les principales dates relatives à la vie de La Fontaine et à la publication de ses ouvrages. Ceux qui desireroient plus de détails sur ce sujet pourront avoir recours à l'Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, dont j'ai déja fait mention, et à laquelle j'ai dû souvent renvoyer mes lecteurs, pour ne pas trop allonger les notes de cette édition.

Je n'ai pas cru outre-passer les droits d'éditeur en me permettant de mettre en tête de mon édition un Essai sur la fable et les fabulistes avant La Fontaine. Je desire qu'il ne soit pas jugé indigne de la place que je lui ai assignée.

NOTICE

SUR LA FONTAINE.

JEAN DE LA FONTAINE naquit à Château-Thierry le 8 juillet 1621. Il eut d'abord du penchant pour la vie religieuse, et entra au séminaire à l'âge de vingt ans. Après y avoir séjourné un an, il en sortit, et se passionna pour le monde, les plaisirs, et la poésie. A vingt-six ans son père lui transmit sa charge de maître particulier des eaux et forêts, et lui fit épouser Marie Héricart. Après quelques années d'une union peu paisible il quitta sa femme, et vécut ensuite dans l'oubli le plus absolu des liens dont on avoit voulu l'enchaîner. Il se débarrassa aussi de sa charge, qu'il n'exerçoit pas, ou qu'il exerçoit mal. En 1654 il fit paroître l'Eunuque, comédie imitée de Térence, production qui montroit plutôt le desir que le talent de marcher sur les traces des anciens.

Il vint à Paris, se lia avec le surintendant Fouquet, qui ne connut toute la force de son affection qu'après être tombé dans le malheur. La Fontaine écrivit alors son Élégie adressée aux nymphes de Vaux, et dut le premier chef-d'œuvre de sa plume aux douleurs de l'amitié. Il fit en 1663 un voyage

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