Ce fait, le loup le vient arraisonner; Comment, dit-il, seigneur plein d'excellence, Il est loisible à un prince de faire Puis, que souvent, trouvant en lieu champétre Enfin qu'il a, en suivant sa coutume, Sur ce répond (en faisant bonne mine) 'C'est-à-dire quelqu'un peut-il te faire la loi, lorsque tu es plus puissant que la loi? Les auteurs des Annales poétiques (t. V, p. 18) se sont permis de changer ces deux vers sans en prévenir, et ils ont mis: 2 Eh! qui pourra te donner quelque loi, Lorsque sur nous tu as toute puissance? Moutons enfermés pendant la nuit dans des parcs. Dans les Annales poétiques, on a mis à tort en clos et parcs. Ta coutume est d'ainsi faire, n'est pas? Puis dit à l'âne: Or, conte-nous ta vie, L'âne, craignant de recevoir nuisance', Quelque temps fut que j'étois en servage Le jour advint d'une certaine foire, Marri 3 j'en fus (car celui qui travaille Je la mangeai sans le su de mon maître. 'Si tu me trompes, je ne te manquerai pas. Le mot faux vient de l'ancien verbe falloir, tromper; et le mot faudrai, du verbe faillir, manquer. 1 Peine, préjudice. 3 Triste, fâché. 4 Les auteurs des Annales poétiques ont mis sans rien dire à mon maître. C'est une singulière manie que celle d'altérer le texte d'un auteur à son détriment. Dont je requiers pardon très humblement, O quel forfait ! ô la fausse pratique!, Ce dit le loup fin et malicieux ; Que le brigand ou larron domestique. Comment! la paille aux souliers demeurée Sa tendre chair eût été dévorée. Pour abréger, dit le lion à l'heure, Plus tôt ne fut la sentence jetée Que mattre loup le pauvre âne étrangla ; Puis de sa chair chacun d'eux se soûla. Voilà comment cl' fut exécutée. Parquoi appert que des grands on tient compte, Mais les petits sont toujours méprisés, Et les fait-on souvent mourir de honte. Il est sans doute fort inutile de faire remarquer à mes lecteurs ce que La Fontaine a su ajouter à la fable de Gueroult; mais, en reconnoissant le mérite d'un chef-d'œuvre que tout le monde sait par cœur, on ne pourra s'empêcher d'avouer que notre fabuliste est redevable à son devancier de plusieurs des beautés qui s'y trouvent. Quoique La Fontaine ait changé le fait qui concerne le vol de l'âne, il est évident que c'est dans Gueroult qu'il a pris l'idée du dis cours qu'il lui fait tenir, et de la réponse du loup. Ces deux vers, Et si le pied eût été là-dedans, Sa tendre chair eût été dévorée. sont un trait d'hypocrisie du plus excellent comique, quand on se rappelle que le loup, qui les prononce, vient d'avouer qu'il ravissoit le berger avec son troupeau pour s'en repaître. Quoique Philibert Hegemon soit de près d'un demi-siècle postérieur à Corrozet et à Gueroult, il n'égale pas, du moins dans l'apologue, ces deux auteurs; cependant les vingt-deux fables qu'il a composées n'ont pas toutes été inutiles à La Fontaine. Nous allons transcrire une des meilleures, afin qu'on puisse la comparer à celle de notre fabuliste, qui a aussi traité le même sujet. FABLE'. D'un Loup, d'une Femme, et son Enfant. Un loup, cherchant sa proie avec ardeur, La mère aussi, laquelle le tançoit, 'Philibert Hegemon, fab. xIII, dans la Colombière ou Maison rustique. Paris, chez Robert Le Fizelier, 1583, in-12, pag. 54. (Voyez La Fontaine, liv. IV, fab. xvI.) Quelques pièces de vers, adressées à différentes personnes par Philibert Hegemon, se terminent par ces mots en lettres capitales: Dieu pour guyde. De là certains auteurs ont cru que Philibert Hegemon se nommoit Guyde ou Guide. 2 Du toit. Le menaçant de le donner au loup; Mais à la fin la mère, oyant qu'il pleure, Beaucoup de gens ont une langue double, Le lecteur aura remarqué dans cette fable ce trait de nature si précieux du prompt retour chez la mère d'un mouvement d'impatience à sa tendresse pour son cher nourrisson. La Fontaine, avec son tact ordinaire, n'a pas manqué d'en profiter: mais il est resté dans cet endroit au-dessous de son original. Ces vers, Quand la mère, apaisant sa chère géniture, Lui dit: Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons, ne valent pas, suivant nous, ceux-ci : Mais à la fin la mère, oyant qu'il pleure, Le caressant, et l'appaisant, disoit : Depuis Philibert Hegemon jusqu'à La Fontaine, il n'y eut pas un seul fabuliste qui écrivit en vers françois. Dans cet intervalle de temps, qui fut de près |