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foit à Chantilly, à Auteuil ou à la Comédie; & il ferait étonnant que la parenté d'efprit & d'émulation vers les mêmes sujets ne les ait point rapprochés. Les critiques de La Bruyère fur Molière au chapitre Des Ouvrages de l'esprit & au chapitre De la Mode prouvent furtout, felon nous, l'extrême attention qu'il prêtait à l'examen des œuvres de fon émule en peinture des mœurs.

Page 13, 1. 1. Que d'honnêtes femmes qui... avoient leurs maifons ouvertes à ceux qui payoient pour y entrer.

C'était l'usage alors, non-feulement dans la bourgeoisie, mais dans le grand monde & à la cour même, de donner à jouer en acceptant des joueurs une rétribution pour la dépense des cartes & du luminaire. Boileau, dans sa satire Xo, a fait le portrait de la femme brelandière,

Qui des joueurs chez foi fe fait cabaretière.

Il ajoute en note : « Il est des femmes qui donnent à souper aux joueurs de peur de ne les plus revoir s'ils fortoient de leurs maisons.» Nous renverrons à ce fujet le lecteur au premier épisode du Roman Bourgeois de Furetière, Hiftoire de Lucrèce, où l'on voit la femme d'un avocat tenant table de jeu ouverte pour attirer du monde à sa maison & pourvoir fa nièce de prétendants : « Quand elle avoit gagné au jeu, elle faifoit l'honorable, & faifoit venir une tourte & un poupelin avec une taffe de confitures, dont elle donnoit la collation à la compagnie... Elle paffoit par ce moyen dans le voisinage pour être fort splendide. Sa maison étoit appelée une maison de grande chère, & il me souvient d'avoir oüy une greffière du quartier qui difoit d'elle en enrageant : << Il n'appartient qu'à ces advocates à faire les magnifiques. >> Quant à la nièce : « Elle aymoit, fur tous fes galans, les joueurs de discrétions: car dans fa perte elle payoit d'un fifflet ou d'un ruban, & dans le guain elle fe faifoit donner de beaux bijoux & de bonnes nippes. Elle n'eftoit vêtuë que des bonnes fortunes du jeu ou de la fottife de fes amans. Le bas de foye qu'elle avoit aux jambes eftoit une difcrétion; sa cravatte de point de Gênes, autre discrétion; fon collier & mefme fa jupe, encore autre difcrétion; enfin depuis les pieds jusqu'à la tefte, ce n'eftoit que difcrétion. Cependant

elle joua tant de fois des difcrétions, qu'elle perdit à la fin la fienne... &c., &c. » Ce petit aperçu des mœurs bourgeoises, copie en caricature de celles de la nobleffe, fuffirait à donner une idée de la fureur du jeu au xvire fiècle. Les Lettres de Mme de Sévigné & les Mémoires de Gourville en difent autant qu'on peut défirer d'en apprendre fur les scandales du jeu à la cour de Louis XIV. On y trouve auffi la confirmation de l'usage attefté par La Bruyère. « Laisser cent piftoles aux cartes, » dit Duffaulx qui réfume ces renseignements, « par égard pour le maître de la maison; le racquitter lorfqu'il perd, & lorsqu'on avoit affaire à quelque fubalterne l'abîmer de fond en comble, lui faire figner fa perte fur le tapis voilà ce qu'on applaudiffoit, voilà ce qui faifoit rechercher un homme & lui procuroit le titre de beau-joueur. >> Il raconte ailleurs que les valets d'une grande maison déclarèrent un jour qu'en vingt ans, les profits des cartes étaient montés, pour leur vieille maîtresse, à plus de cinq cent mille livres. Mazarin paffe, au dire des historiens modernes, pour avoir importé le goût du jeu à la cour de France. On voit pourtant par les Mémoires de Baffompierre, de d'Aubigné, de Sully, que ce goût était déjà très-violent dès le règne de Henri IV. La vérité est que Mazarin était grand joueur, & se servait de son habileté au jeu pour sa fortune. Une anecdote de fa jeuneffe, rapportée par le biographe italien récemment traduit par M. C. Moreau1, témoigne qu'il était du moins aussi beau joueur que grand joueur, & en même temps révèle un usage galant d'où peut-être eft venue l'habitude reprochée par La Bruyère aux dames de fon temps, de tirer profit du jeu fans y prendre part. L'autorité d'ailleurs eft grande, puifqu'il s'agit d'une reine qui ne répugnait pas accepter en préfent l'argent gagné au jeu. Mazarin donc jouait un foir au Louvre, & fi heureusement, qu'en fe levant de table il avait gagné quatre-vingt ou quatre-vingt-dix mille écus d'or. « Il en diftribua dix ou douze mille aux dames & aux gentilshommes qui l'entouroient, &

1. Hiftoire anecdotique de Mazarin, traduite de l'italien par C. Moreau, auteur de la Bibliographie des Mazarinades, Paris, Techener, 1863. Nous croyons avoir reconnu le nom de l'auteur italien de ce document fur un manufcrit de la Bibliothèque Mazarine. Voyez Bulletin du Bibliophile, juin 1863, pp. 299-301.

il en envoya cinquante mille à la Reine qui étoit partie pour aller raconter cette aventure au Roi, qui s'en montra fort content. Sa Majesté refusa le cadeau; mais Mazarin étant furvenu, il la fupplia fi instamment, avec des paroles fi bien choifies, avec un accent fi fuave, qu'elle fe laiffa vaincre & qu'elle accepta ce grand régal. »

Page 18, 1. 4.

Les Pensées de cauld.

Deux ouvrages de morale.

Pafcal & les Maximes de La Rochefou

LES

CARACTERES DE THEOPHRASTE.

LE COMPLAISANT.

Page 37, note 3.

Dans les fept premières éditions, connu & regardé. Connus & regardés dans la neuvième, dans toutes les éditions de Hollande & même dans celle de Cofte. En corrigeant ce pluriel, ainfi qu'on l'a fait dans les éditions modernes, nous nous demandons pourtant fi La Bruyère, en changeant le nominatif de la phrase, n'a pas confidéré le verbe être comme mot collectif.

Page 53, 1. 1.

DE L'IMPUDENT.

L'impudent eft facile à définir.

L'Impudence, dans les sept premières éditions; l'Impudent, dans les huitième & neuvième, & dans les éditions poftérieures, y compris celle de Walckenaër. M. G. Servois,

à l'exemple de M. Deftailleurs, a corrigé le titre suivant les fept premières éditions. Il remarque au chapitre du Complaisant (ci-deffous) que « dans le grec le titre eft toujours le nom du défaut, & que La Bruyère aurait pu, comme il a fait à quelques chapitres (le Complaisant ou de l'Envie de plaire), indiquer des variantes du genre de celle-ci partout où au vice il a substitué le vicieux » (t. Ier, P. 43). Mais La Bruyère ne l'a pas fait.

D'UN HOMME INCOMMODE.

Page 72, 1. dernière.

bonnes legumes.

- Qu'il croît dans fon jardin de

Le genre de ce mot n'était pas fixé au xvii fiècle.

« C'est à tort, dit Walckenaër, que les éditeurs modernes ont mis bons légumes. La Bruyère a voulu mettre légume au féminin. On trouve légumage ou légume dans Nicot, 1606, in-fo. Il ne dit pas le genre & traduit par legumen. Richelet dans fon Dictionnaire, en 1680, fait ce mot masculin. L'Académie, en 1694, fait auffi ce mot masculin. Le Dictionnaire de Trévoux, édit. de 1752, fait auffi légume masculin: mais il remarque que le P. Bouhours fait le mot féminin dans la vie de faint François-Xavier: « Des racines fort amères & des légumes cuites à l'eau. » L'abbé de la Trappe dit auffi: « La règle ne permet que quelques fruits, quelques herbes ou quelques légumes crues. » Walckenaër aurait pu ajouter que Furetière (édition de 1691) dit que le mot ne s'emploie guère qu'au pluriel, ce qui accroît l'incertitude. M. Littré, dans ses citations historiques, ne cite point d'exemple décisif fur le genre du mot avant le xvii fiècle.

Page 77,

1.

DE L'AVARICE.

19. Qui ballie le matin fa chambre.

Walckenaër a été le premier à réclamer contre les innovations orthographiques des éditeurs modernes de La Bruyère,

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& à comprendre l'importance d'un texte reftitué conformément aux intentions de l'auteur. On l'a vu par l'exemple précédent; en voici deux autres : « Les éditeurs modernes, dit Walckenaër, ont fubftitué balaye à ballie, » & il reprend dans les Dictionnaires de Nicot & de Richelet l'histoire du mot & de fes variations. Dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie on lit : Balayer, verbe actif, &c.; même orthographe, dans Furetière (édit. 1691); mais le Dictionnaire de Trévoux (1752) dit : « Balayer, v. a., prononcez baleyer; il y en a même qui difent ballier, comme plus doux à l'oreille. » Ménage, dans ses Observations (1675), se contente de dire, pour toute règle, que balier comme écrit Nicot, eft la prononciation des provinces, & baleyer l'usage de Paris. Plus loin, p. 83, l. 12 (De la Peur, ou du défaut de courage), à propos du mot naviger : « Tous ceux qui navigent avec lui... » Walckenaër relève encore la fubftitution de naviguent à navigent dans les éditions modernes. Il cite làdeffus non-feulement Nicot & Richelet, mais Vaugelas, Thomas Corneille & Ménage, qui tous reconnaissent que naviger eft la bonne orthographe, l'orthographe des gens bien élevés & des gens de lettres, & naviguer la prononciation des matelots & des gens de mer. Walckenaër eût pu citer encore les exemples de La Fontaine, de Boileau & de Montefquieu qui, en 1734, écrivait encore naviger. Voir Littré, vbo Naviguer.

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