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¶ Il me femble qu'un Predicateur devroit faire choix dans chaque difcours d'une verité unique, mais capitale, terrible ou inftructive, la manier à fond & l'épuiser; abandonner toutes ces divifions fi recherchées, fi retournées, fi remaniées, & fi differentiées; ne point fuppofer ce qui eft faux, je veux dire que le grand ou le beau monde sçait sa Religion & fes devoirs, & ne pas apprehender de faire ou à ces bonnes têtes ou à ces efprits si raffinez des catechifmes; ce temps fi long que l'on ufe à compofer un long ouvrage, l'employer à se rendre fi maître de fa matiere, que le tour & les expreffions naissent dans l'action, & coulent de fource; fe livrer aprés une certaine préparation à fon genie & au mouvement qu'un grand fujet peut inspirer : qu'il pourroit enfin s'épargner ces prodigieux efforts de memoire qui reffemblent mieux à une gageure qu'à une affaire serieuse, qui corrompent le gefte & défigurent le vifage; jetter au contraire par un bel entoufiafme la perfuafion dans les efprits & l'allarme dans le cœur; & toucher fes Auditeurs d'une toute autre crainte que de celle de le voir demeurer court.

¶ Que celuy qui n'eft pas encore assez parfait pour s'oublier foy-même dans le ministere de la parole fainte, ne fe décourage point par les regles aufteres qu'on luy prefcrit, comme fi elles luy ôtoient les moyens de faire montre

de fon efprit, & de monter aux dignitez où il afpire quel plus beau talent que celuy de prêcher apoftoliquement, & quel autre mérite mieux un Evêché? FENELON en étoit-il indigne? auroit-il pû échaper au choix du Prince, que par un autre choix?

DES ESPRITS FORTS.

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ES Efprits forts fçavent-ils qu'on les appelle ainfi par ironie! quelle plus grande foibleffe que d'être incertain quel eft le principe de fon être, de fa vie, de fes fens, de fes connoiffances, & quelle en doit être la fin? Quel découragement plus grand que de douter fi fon ame n'eft point matiere comme la pierre & le reptile, & fi elle n'eft point corruptible comme ces viles creatures? N'y a-t-il pas plus de force & de grandeur à recevoir dans nôtre efprit l'idée d'un être fuperieur à tous les Etres, qui les a tous faits, & à qui tous fe doivent rapporter; d'un être fouverainement parfait, qui eft pur, qui n'a point commencé & qui ne peut finir, dont nôtre ame eft l'image, & fi j'ofe dire, une portion comme efprit, & comme immortelle ?

Le docile & le foible font fufceptibles d'impreffions, l'un en reçoit de bonnes, l'autre de mauvaises, c'eft-à-dire que le premier

eft perfuadé & fidele, & que le second est entêté & corrompu; ainfi l'efprit docile admet la vraye religion, & l'efprit foible, ou n'en admet aucune ou en admet une fauffe: or l'efprit fort ou n'a point de religion ou fe faitune religion, donc l'efprit fort, c'est l'esprit foible.

¶ J'appelle mondains, terreftres ou groffiers, ceux dont l'efprit & le cœur font attachez à une petite portion de ce monde qu'ils habitent, qui eft la terre; qui n'eftiment rien, qui n'aiment rien au-de-là, gens auffi limitez que ce qu'ils appellent leurs poffeffions ou leur domaine que l'on mefure, dont on compte les arpens, & dont on montre les bornes. Je ne m'étonne pas que des hommes qui s'appuyent fur un atome, chancellent dans les moindres efforts qu'ils font pour fonder la verité; fi avec des vûës fi courtes ils ne percent point à travers le Ciel & les Aftres jusques à Dieu-même; fi ne s'appercevant point ou de l'excellence de ce qui eft efprit, ou de la dignité de l'ame ils reffentent encore moins combien elle eft difficile à affouvir, combien la terre entiere eft au deffous d'elle, de quelle neceffité luy devient un être fouverainement parfait qui eft DIEU, & quel befoin indispenfable elle a d'une religion qui le luy indique, & qui luy en est une caution fûre. Je comprends au contraire fort aisément qu'il est

naturel à de tels efprits de tomber dans l'incredulité ou l'indifference; & de faire fervir Dieu & la religion à la politique; c'est-à-dire, à l'ordre & à la decoration de ce monde, la feule chofe felon eux qui mérite qu'on y pense.

¶ Quelques-uns achevent de fe corrompre par de longs voyages, & perdent le peu de religion qui leur reftoit; ils voyent de jour à autre un nouveau culte, diverfes mœurs, diverfes ceremonies: ils reffemblent à ceux qui entrent dans les magasins indéterminez fur le choix des étoffes qu'ils veulent acheter, le grand nombre de celles qu'on leur montre les rend plus indifferens, elles ont chacune leur agréement & leur bienséance; ils ne fe fixent point, ils fortent fans emplette.

Il y a des hommes qui attendent à être devots & religieux, que tout le monde fe declare impie & libertin; ce fera alors le parti du vulgaire, ils fçauront s'en dégager; la fingularité leur plaît dans une matiere fi ferieuse & fi profonde, ils ne fuivent la mode & le train commun que dans les chofes de rien & de nulle suite qui fçait même s'ils n'ont pas déja mis une forte de bravoure & d'intrepidité à courir tout le rifque de l'avenir? il ne faut pas d'ailleurs que dans une certaine condition, avec une certaine étenduë d'efprit, & de certaines

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