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du leur, pour fe le rendre à eux tous de jour en jour plus redoutable; les Pices & les Saxons impofent filence aux Bataves, & ceuxcy aux Pices & aux Saxons, tous fe peuvent vanter d'être fes humbles efclaves, & autant qu'ils le fouhaitent. Mais qu'entends-je de certains perfonnages qui ont des couronnes, je ne dis pas des Comtes ou des Marquis dont la terre fourmille, mais des Princes & des Souverains; ils viennent trouver cet homme dés qu'il a fifflé, ils fe découvrent dés fon anti-chambre, & ils ne parlent que quand on les interroge : font-ce là ces mêmes Princes fi pointilleux, fi formalistes fur leurs rangs & fur leurs préféances, & qui confument pour les regler, les mois entiers dans une diette? Que fera ce nouvel Arconte pour payer une fi aveugle soûmiffion, & pour répondre à une fi haute idée qu'on a de luy? S'il se livre une bataille, il doit la gagner, & en personne; fi l'ennemi fait un fiege, il doit le luy faire lever, & avec honte, à moins que tout l'Ocean ne foit entre luy & l'ennemi; il ne sçauroit moins faire en faveur de fes Courtisans: Cefar luy-même ne doit-il pas venir en groffir le nombre? il en attend du moins d'importans fervices; car ou l'Arconte échouëra avec fes alliez, ce qui eft plus difficile qu'impoffible à concevoir; ou s'il réüffit, & que rien ne luy refifte, le voilà tout porté avec ses alliez jaloux

de la religion & de la puiffance de Cefar, pour fondre fur luy, pour luy enlever l'Aigle, & le reduire luy & fon heritier à la fasce d'argent & aux païs hereditaires. Enfin c'en eft fait, ils se font tous livrez à luy volontairement, à celuy peut-être de qui ils devoient se défier davantage Esope ne leur diroit-il pas, La gent volatile d'une certaine contrée prend l'allarme, & s'effraye du voifinage du Lyon, dont le feul rugissement luy fait peur; elle fe refugie auprés de la bête, qui luy fait parler d'accommodement & la prend fous fa protection, qui fe termine enfin à les croquer tous, l'un aprés l'autre.

DE LA MODE.

NE chose folle & qui découvre bien nôtre petiteffe, c'eft l'affujettiffement aux modes quand on l'étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la

fanté & la confcience. La viande noire eft hors de mode, & par cette raifon infipide: ce feroit pécher contre la mode que de guérir de la fiévre par la faignée de même l'on ne mouroit plus depuis long-temps par Theotime; fes tendres exhortations ne fauvoient plus que le peuple, & Theotime a vû fon fucceffeur.

La curiofité n'eft pas un goût pour ce qui eft bon ou ce qui eft beau, mais pour ce qui eft rare, unique, pour ce qu'on a, & ce que les autres n'ont point. Ce n'eft pas un attachement à ce qui eft parfait, mais à ce qui eft couru, à ce qui eft à la mode. Ce n'eft pas un amusement, mais une paffion, & fouvent fi violente, qu'elle ne cede à l'amour & à l'ambition que par la petiteffe de fon objet.

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Ce n'eft pas une paffion qu'on a generalement pour les chofes rares & qui ont cours; mais qu'on a feulement pour une certaine chose qui eft rare, & pourtant à la mode.

Le fleuriste a un jardin dans un Faubourg, il y court au lever du Soleil, & il en revient à fon coucher; vous le voyez planté, & qui a pris racine au milieu de fes tulippes & devant la folitaire, il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus prés, il ne l'a jamais vûë fi belle, il a le cœur épanoüi de joye; il la quitte pour l'orientale, de là il va à la veuve, il paffe au drap d'or, de celle-cy à l'agathe, d'où il revient enfin à la folitaire, où il fe fixe, où il fe laffe, où il s'affit, où il oublie de dîner; auffi eft-elle nuancée, bordée, huilée, à pieces emportées, elle a un beau vafe ou un beau calice; il la contemple, il l'admire, DIEU & la nature font en tout cela ce qu'il n'admire point, il ne va pas plus loin que l'oignon de fa tulippe qu'il ne livreroit pas pour mille écus, & qu'il donnera pour rien quand les tulippes feront negligées, & que les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un culte & une religion, revient chez foy fatigué, affamé, mais fort content de fa journée; il a vû des tulippes.

Parlez à cet autre de la richeffe des moiffons, d'une ample recolte, d'une bonne ven

dange, il eft curieux de fruits, vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas entendre; parlezluy de figues & de melons, dites que les poiriers rompent de fruit cette année, que les pefches ont donné avec abondance, c'eft pour luy un idiome inconnu, il s'attache aux feuls pruniers, il ne vous répond pas; ne l'entretenez pas même de vos pruniers, il n'a de l'amour que pour une certaine espece, toute autre que vous luy nommez le fait fourire & fe mocquer; il vous mene à l'arbre, cüeille artiftement cette prune exquife, il l'ouvre, vous en donne une moitié, & prend l'autre, quelle chair, dit-il, goûtez-vous cela? cela eft-il divin? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs; & là-deffus fes narines s'enflent, il cache avec peine fa joye & fa vanité par quelques dehors de modeftie. O l'homme divin en effet! homme qu'on ne peut jamais affez loüer & admirer! homme dont il fera parlé dans plufieurs fiecles; que je voye fa taille & fon visage pendant qu'il vit, que j'observe les traits & la contenance d'un homme qui feul entre les mortels poffede une telle prune.

Un troifiéme que vous allez voir, vous parle des curieux fes confreres, & fur tout de Diognete. Je l'admire, dit-il, & je le comprends moins que jamais; penfez-vous qu'il cherche à s'inftruire par les medailles, & qu'il les regarde comme des preuves parlantes de cer

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