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plit la belle et difficile tâche que lui léguait son maitre : plein d'ame et de science, éloquent et penseur, philosophe avec amour, enthousiaste de bien et de vérité, il ne perdit pas, si l'on peut ainsi parler, cette clientèle des consciences qu'il avait reçue avec tant d'honneur; il la conserva entière, 'agrandit et la popularisa; il eut à lui toute la jeunesse. Ainsi rien ne fut en défaut. Mais ensuite M. RoyerCollard, en passant à la politique, n'en continua pas moins à parler pour cette philosophic, qui n'était moins bonne à mettre dans la législation que dans les intelligences. La tribune ne fut guère pour lui qu'une autre chaire. Il y parut comme un docteur de la loi, comme un père de notre église constitutionnelle. Au milieu des fausses interprétations ou des perfides attaques dont ses doctrines devaient être l'objet, elle avait grand besoin d'un de ces hommes à voix puissante et d'imposant génie, dont l'autorité la défendît contre les sophismes ou les mauvais desseins de ses ennemis. Ce fut là le rôle de M. Royer-Collard, et il le remplit dignement. En toute occasion, confesseur dévoué de la liberté, il en plaida la cause avec cet éclat d'évidence et cette vigueur de logique qui emportent les convictions. Mais ce fut surtout à mesure que les vérités politiques dont la liberté est le principe furent successivement mises en question et menacées, que sa parole, que sa raison s'émut, s'éleva, grandit, pour accabler de ses reproches et de ses démonstrations la malhabileté, l'erreur ou le mensonge de ses adversaires. I

eut dès lors une des plus belles attributions dont l'opinion publique puisse honorer un citoyen. Il fut une sorte de précepteur national et de moraliste public, aux discours duquel tout le pays eut foi, comme aux leçons d'un sage selon son cœur et d'un élu de ses voeux. Nous devons nous féliciter plus que d'autres, nous amis de la philosophie, de voir un de ses principaux représentants dans notre siècle investi de cette espèce de magistrature de conscience, qui confère de si beaux droits à celui qui l'exerce. Dans un temps où l'enseignement moral manque partout en France soit de liberté, soit de dignité, il est heureux qu'il trouve des organes à la tribune politique; il est heureux qu'entravé, timide, réduit à rien dans les chaires universitaires, sans lumières et sans influence au sein de l'église, il puisse reprendre dans nos chambres législatives son caractère et son autorité. Honneur aux hommes qui nous rendent cet éminent service. Ils font la force et l'espoir du pays. S'ils ne peuvent lui donner les lois qu'ils voudraient, ils peuvent au moins lui donner les croyances qu'ils jugent bonnes. Ils en ont le gouvernement moral, et avec celui-là on produit du bien malgré tout (1).

(1) M. Royer-Collard n'a publié, en fait de philosophie, qu'un discours d'ouverture de cours en 1813; mais bientôt la plupart de ses leçons paraîtront dans une traduction de Ried que M. Jouffroy imprime en ce moment.

M. COUSIN.

En quittant la chaire qu'il avait occupée avec tant de force et d'éclat, M. Royer-Collard se fit remplacer par un jeune professeur qui répondit d'autant mieux aux espérances de son maître, qu'il avait par son âge et son âme plus de sympathie avec la génération à laquelle il s'adressait. M. Cousin dans ses leçons eut un moyen de succès bien simple et bien puissant, ce fut l'éloquence que lui donnèrent sa jeunesse et sa pensée. Cette manière qu'il avait d'être possédé de ses idées, cette facilité de mettre en tableaux des abstractions métaphysiques, ces vivacités d'esprit, ces élans de coup-d'oeil, ces explosions de conscience dont se composaient ses improvisa-tions à la fois si animées et si sérieuses, si faciles et si imposantes; tout captivait et touchait ses nombreux auditeurs. Avec un grand fonds d'érudition et de théories positives, son enseignement se distinguait par une sorte de poésie, de cette poésie qui fait le charme de Platon et de Mallebranche, et qu'on aime à voir se répandre sur les pensées philosophiques, pour leur prêter la lumière, le mouvement et la vie. Il faisait vivre, en l'exposant, la vérité qu'il sentait. Comme il n'était pas un simple démonstrateur, un froid témoin des choses, mais un observateur animé et un maître enthousiaste, philo

sophe-orateur, dans sa chaire et hors de sa chaire, à l'École normale, et dans ces entretiens de l'intimité auxquels il était toujours prêt pour ses jeunes amis, il prêchait la science avec ce mouvement de coeur, cette gravité passionnée, cette élévation de vues, qui remuent et entraînent les esprits. Il y avait dans ses leçons autre chose que de la doctrine: il y avait le travail qui la prépare, la méthode qui y conduit, l'amour et le zèle qui la font chercher ; et tout cela passait de son âme dans celle de ses élèves; il les inspirait de sa philosophie. Ce qu'il y avait d'excellent dans sa manière, c'est qu'il faisait école sans lier ses disciples; c'est qu'après leur avoir donné l'impulsion et une direction, il les laissait aller et se plaisait à les voir user largement de leur indépendance. Nul n'a moins tenu que lui à ce qu'on jurât sur ses paroles. Il voulait des hommes qui aimassent à penser par eux-mêmes, et non des dévots qui n'eussent d'autre foi que celle qu'il leur donnait ; il le voulait d'autant plus, qu'il savait bien, surtout en commençant, qu'il n'avait point un système assez arrêté pour prendre sur lui de dogmatiser et de formuler un credo. Comme chaque jour il avançait et changeait en avançant, et qu'il ne pouvait prévoir où le mènerait cette suite de changements et de progrès, il se serait fait scrupule de dire à ceux qui le suivaient, Arrêtez-vous là, car c'est là la vérité; il disait plutôt, Venez et voyez. Rien de moins réglémentaire que son enseignement; c'était la liberté et la franchise même. L'École normale, cette école bien-aimée,

selon l'expression dont il se sert, eut surtout à se féliciter de l'influence qu'il exerça sur les élèves qu'elle lui confiait. Quelque branche d'enseignement que par la suite ils aient embrassée, ils y ont toujours porté, en les appliquant avec sagesse, les excellentes doctrines qu'ils avaient puisées à ses leçons. Toute l'école se sentit de lui; il en fut l'âme tant qu'elle dura; détruite, il la rappela et l'honora par ses travaux (1).

(1) Qu'il nous soit permis de citer un passage de ses Fragments, où il rend compte de sa manière de travailler avec ses élèves: « Tous les élèves de la troisième année suivaient mon cours, mais il était particulièrement destiné au petit nombre de ceux qui se vouaient à la carrière philosophique. C'étaient ceux-là qui portaient le poids des travaux de la conférence; c'étaient eux aussi qui en faisaient tout l'intérêt. Ils assistaient à mes leçons de la faculté des lettres, où ils pouvaient recueillir des idées plus générales, respirer le grand air de la publicité et y puiser le mouvement et la vie. Dans l'intérieur de l'école, l'enseignement était plus didactique et plus serré; le cours portait le nom de conférence et le méritait: car chaque leçon donnait matière à une rédaction, sur laquelle s'ouvrait une polémique à laquelle tout le monde prenait part. Formés à la méthode philosophique, les élèves s'en servaient avec le professeur comme avec eux-mêmes; ils doutaient, résistaient, argumentaient avec une entière liberté, et par là s'exerçaient à cet esprit d'indépendance et de critique qui, j'espère, portera ses fruits. Une confiance vraiment fraternelle unissant le professeur et les élèves, si les élèves se permettaient de discuter l'enseignement qu'ils recevaient, le professeur aussi s'autorisait de ses devoirs, de ses intentions et de son amitié, pour être sévère. Nous aimons tous aujourd'hui à nous rappeler ce temps de

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