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Là, ma douleur trop forte a brouillé ces images;
Le sang de Polyeucte a satisfait leurs rages.

Je ne sais ni comment ni quand ils l'ont tué,
Mais je sais qu'à sa mort tous ont contribué.
Stratonice cherche en vain à la rassurer; malgré tout elle craint 5
des chrétiens les complots et les charmes,

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Et que sur mon époux leur troupeau ramassé
Ne venge tant de sang que mon père a versé.
STRAT. Leur secte est insensée, impie et sacrilège,
Et dans son sacrifice use de sortilège :
Mais sa fureur ne va qu'à briser nos autels ;
Elle n'en veux qu'aux dieux, et non pas aux

mortels.

On ne peut les charger d'aucun assassinat.

10

Dans la scène IV, Félix annonce à Pauline que Sévère n'est pas 15 mort, qu'il est le favori de l'empereur Décie, et qu'il vient...

PAUL.

Ah! sans doute, ma fille, il vient pour t'épouser :
L'ordre d'un sacrifice est pour lui peu de chose,
C'est un prétexte faux dont l'amour est la cause.
Que ne permettra-t-il à son ressentiment?
Il nous perdra, ma fille.

Il est trop généreux.

FÉLIX. Tu veux en vain flatter un père malheureux :
Il nous perdra, ma fille. Ah! regret qui me tue
De n'avoir pas aimé la vertu toute nue!

Ah! Pauline, en effet, tu m'as trop obéi :
Ton courage était bon, ton devoir l'a trahi,
Que ta rébellion m'eût été favorable!

Qu'elle m'eût garanti d'un état déplorable!

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25

Si quelque espoir me reste, il n'est plus aujourd'hui 30
Qu'en l'absolu pouvoir qu'il te donnait sur lui ;
Ménage en ma faveur l'amour qui le possède,
Et d'où provient mon mal fais sortir le remède.

PAUL, Moi! moi! que je revoie un si puissant vainqueur Et m'expose à des yeux qui me percent le cœur ! Mon père, je suis femme et je sais ma faiblesse : Je ne le verrai point.

5 FÉLIX.

Rassure un peu ton âme.

PAUL. Il est toujours aimable, et je suis toujours femme ; Je ne le verrai point.

FÉLIX.

Il faut le voir, ma fille,

Ou tu trahis ton père et toute ta famille.

10 PAUL. C'est à moi d'obéir, puisque vous commandez : Mais voyez les périls où vous me hasardez.

15

ACTE DEUXIÈME.
SCÈNE I.

Félix ne se trompe pas: Sévère annonce à son confident Fabian qu'il ne vient à Mélitène que pour voir Pauline.

FAB. 20 SEV.

FAB.

25 SEV.

FAB.

Je viens sacrifier, mais c'est à ses beautés
Que je viens immoler toutes mes volontés.
Vous la verrez, seigneur.

Ah! quel comble de joie !
Cette chère beauté consent que je la voie!
Mais ai-je sur son âme encor quelque pouvoir ?
Quelque reste d'amour s'y fait-il encor voir ?
Vous la verrez, c'est tout ce que je puis vous dire.
D'où vient que tu frémis, et que ton cœur soupire?
Ne m'aime-t-elle plus? éclaircis-moi ce point.
M'en croirez-vous, seigneur? Ne la revoyez point :
Portez en lieu plus haut l'honneur de vos caresses :
Vous trouverez à Rome assez d'autres maîtresses.

5

SEV. Qu'à des pensers si bas mon âme se ravale !
Que je tienne Pauline à mon sort inégale!

Elle en a mieux usé, je la dois imiter,

FAB. Non, non, encore un coup ne la revoyez point.

SÉV.

Ah! c'en est trop ; enfin éclaircis-moi ce point :
As-tu vu des froideurs quand tu l'en as priée ?
Je tremble à vous le dire ; elle est...

FAB.

SEV.

FAB.

10 SÉV.

Pauline est mariée!

FAB.

Quoi ?

Mariée.

Oui, depuis quinze jours;

Polyeucte, un seigneur des premiers d'Arménie,
Goûte de son hymen la douceur infinie.

Sévère quoique étourdi de ce coup soudain persiste à vouloir la 15 voir. Fabian craint qu'il ne puisse contrôler ses sentiments. Sévère répond:

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Juge autrement de moi, mon respect dure encore :
Elle n'est point parjure, elle n'est point légère;
Son devoir m'a trahi, mon malheur, et son père.
Mais son devoir fut juste, et son père eut raison :
J'impute à mon malheur toute la trahison;
Un peu moins de fortune, et plus tôt arrivée,
Eût gagné l'un par l'autre, et me l'eût conservée :
Trop heureux, mais trop tard, je n'ai pu l'acquérir ;
Laisse-la moi donc voir, soupirer et mourir.

Oui, je vais l'assurer qu'en ce malheur extrême
Vous êtes assez fort pour vous vaincre vous-même.
Fabian, je la vois.

Seigneur, souvenez-vous...

Hélas! elle aime un autre, un autre est son époux :

E

10

SCÈNE II.

SÉVÈRE, PAULINE, STRATONICE, FABIAN. PAUL. Oui, je l'aime Sévère, et n'en fais point d'excuse : Que tout autre que moi vous flatte et vous abuse : Pauline a l'âme noble, et parle à cœur ouvert.

Le bruit de votre mort n'est point ce qui vous perd.

Elle explique les circonstances qui ont amené son mariage avec Polyeucte; elle répète qu'elle aime son mari et que Sévère ne doit plus chercher à la revoir. Sévère le lui promet et part en disant:

Puisse le juste ciel content de ma ruine,

Combler d'heur et de jours Polyeucte et Pauline ! PAUL. Puisse trouver Sévère, après tant de malheur, Une félicité digne de sa valeur !

SCÈNE III.

15 POLYEUCTE, NÉARQUE, PAULINE, STRATONICE.

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POL. C'est trop verser de pleurs; il est temps qu'ils

tarissent:

Que votre douleur cesse et vos craintes finissent :
Malgré les faux avis par vos dieux envoyés,
Je suis vivant, madame, et vous me revoyez.
PAUL. Le jour est encor long, et, ce qui plus m'effraye,
La moitié de l'avis se trouve déjà vraie ;
J'ai cru Sévère mort, et je le vois ici.

POL. Je le sais ; mais enfin je prends peu de souci.
Je suis dans Mélitène, et, quel que soit Sévère,
Votre père y commande, et l'on m'y considère,

Et je ne pense pas qu'on puisse avec raison
D'un cœur tel que le sien craindre une trahison.
On m'avait assuré qu'il vous faisait visite,

Et je venais lui rendre un honneur qu'il mérite.
PAUL. Il vient de me quitter assez triste et confus ;
Mais j'ai gagné sur lui qu'il ne me verra plus.

En ce moment Cléon arrive et les interrompt en disant:

Seigneur, Félix vous mande au temple:

La victime est choisie, et le peuple à genoux,
pour sacrifier on n'attend plus que vous.

Et

POL. Va, nous allons te suivre. Y venez-vous, madame?

Pauline refuse, pour ne point voir Sévère.

SCÈNE IV.

POLYEUCTE, NÉARQUE.

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15

NEAR. Où pensez-vous aller?

POL.

Au temple où l'on m'appelle.

NEAR. Quoi! vous mêler aux vœux d'une troupe infidèle!
Oubliez-vous déjà que vous êtes chrétien ?

POL. Vous par qui je le suis, vous en souvient-il bien?
NEAR. J'abhore les faux dieux.

POL.

NEAR. Je tiens leur culte impie.
POL.

NEAR. Fuyons donc leurs autels.
POL.

Et moi, je les déteste.

Et je le tiens funeste.

Je les veux renverser,
Et mourir dans leur temple ou les y terrasser.
Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des

hommes

Braver l'idolâtrie, et montrer qui nous sommes.

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