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CLE. Puisque vous n'y allez pas, mon père, je m'en vais les conduire.

HAR.

Non, demeurez. Elles iront bien toutes seules

et j'ai besoin de vous.

SCÈNE III.

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HARPAGON, CLÉANTE.

HAR. Oh ça, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette personne ?

CLE. Ce qui me semble?

HAR. esprit ?

Oui, de son air, de sa taille, de sa beauté, de son

CLE. La, la.

HAR. Mais encore?

CLÉ. A vous en parler franchement, je ne l'ai pas 15 trouvée ici ce que je l'avais crue. Son air est de franche coquette; sa taille est assez gauche; sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter; car, bellemère pour belle-mère, j'aime autant celle-là qu'une autre, HAR. Tu lui disais tantôt, pourtant...

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CLÉ. Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom; mais c'était pour vous plaire.

HAR. Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle?

CLE. Moi? point du tout.

HAR. J'en suis fâché; car cela rompt une pensée qui dans l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge; et j'ai songé qu'on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune personne. Cette 30 considération m'en faisait quitter le dessein; et, comme je

l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l'aurais donnée, sans l'aversion que tu témoignes.

CLE. A moi ?

HAR. A toi.

CLE. En mariage?

HAR. En mariage.

Cléante se laisse prendre au piège tendu par son père; il avoue qu'il aime Mariane, et poursuit ainsi :

Mon dessein était tantôt de vous la demander pour 10 femme; et rien ne m'a retenu que la déclaration de vos sentiments et la crainte de vous déplaire.

HAR. Lui avez-vous rendu visite?

CLE. Oui, mon père.

HAR. Vous a-t-on bien reçu ?

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CLE. Fort bien; mais sans savoir qui j'étais ; et c'est ce qui a fait tantôt la surprise de Mariane.

HAR. Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de l'épouser ?

CLE. Sans doute ; et même j'en avais fait à sa mère 20 quelque peu d'ouverture.

HAR. Et la fille correspond-elle à votre amour ?

CLE. Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu'elle a quelque bonté pour moi.

HAR., bas, à part. Je suis bien aise d'avoir appris un tel 25 secret. (Haul.) Oh! sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a? C'est qu'il faut songer, s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi, et à vous marier sous peu avec celle qu'on vous destine.

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CLE. Oui, mon père, c'est ainsi que vous me jouez! Eh bien, puisque les choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j'ai pour Mariane; qu'il n'y a point d'extrémité où je ne m'abandonne 5 pour vous disputer sa conquête.

HAR. Comment, pendard! tu as l'audace d'aller sur mes brisées !

CLE. C'est vous qui allez sur les miennes ; et je suis le premier en date.

10 HAR. Ne suis-je pas ton père, et ne me dois-tu pas respect?

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CLE. Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de déférer aux pères ; et l'amour ne connaît personne.

HAR. Je te ferai bien me connaître avec de bons coups de bâton.

CLE. Toutes vos menaces ne feront rien.

HAR. Tu renonceras à Mariane.

CLE. Point du tout.

HAR. Donnez-moi un bâton tout à l'heure (Il sort furieux.)

SCÈNE VI.

CLÉANTE, LA FLÈCHE.

LA FLÈCHE, Sortant du jardin avec une cassette.

Ah! monsieur, que je vous trouve à propos! Suivez-moi 25 vite.

CLE. Qu'y a-t-il ?

LA FLÈCHE. Suivez-moi, vous dis-je : nous sommes bien.
CLE. Comment ?

LA FLÈCHE. J'ai guigné ceci tout le jour.

CLE. Qu'est-ce que c'est ?

LA FLÈCHE. Le trésor de votre père, que j'ai attrapé.
CLÉ.

Comment as-tu fait ?

LA FLÈCHE. Vous saurez tout. Sauvons-nous; je l'entends crier.

SCÈNE VIL

HAR., criant au voleur dès le jardin.

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Au voleur! au voleur! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste ciel! Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu'est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il? Que 10 ferai-je pour le trouver ? Où courir? Où ne pas courir? N'est-il point là ? N'est-il point ici? Qui est-ce? Arrête. (A lui-même se prenant par le bras.) Rends-moi mon argent, coquin !... Ah! c'est moi!... Mon esprit est troublé et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas! mon 15 pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi! Et, puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde ! Sans toi il m'est impossible de vivre. C'en est fait! je n'en puis plus, je me meurs, 20 je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Euh! que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure ; et l'on a choisi jus- 25 tement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, 30 et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce

qu'on parle là? de celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me regardent tous et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde; et, si je ne retrouve mon argent, je me pendrai 10 moi-même après.

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE PREMIÈRE.

HARPAGON, UN COMMISSAIRE.

LE COMMISSAIRE. Laissez-moi faire, je sais mon métier, 15 Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de personnes.

HAR. Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ; et si l'on ne me fait retrouver mon 20 argent, je demanderai justice de la justice.

LE COMM. Vous dites qu'il y avait dans cette cassette...?
HAR. Dix mille écus bien comptés,

LE COMM. Le vol est considérable.

HAR. Il n'y a point de supplice assez grand pour 25 l'énormité de ce crime; et, s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté !

LE COMM. Qui soupçonnez-vous de ce vol?

HAR. Tout le monde ; et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et les faubourgs.

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