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sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mère, et qu'il s'obligera, si vous le voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit mois.

HAR. C'est quelque chose que cela. La charité, maître Simon, nous oblige à faire plaisir aux personnes, lorsque 5 nous le pouvons.

SIMON. Cela s'entend.

LA FL., bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon. Que veut dire ceci? Notre maître Simon qui parle à votre père! CLÉ., bas, à La Flèche. Lui aurait on appris qui je suis? 10 et serais-tu pour me trahir?

SIMON, à Cléante et à La Flèche. Ah! ah! vous êtes bien pressés ? Qui vous a dit que c'était céans? (A Harpagon.) Ce n'est pas moi, monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom et votre logis. Mais il n'y a pas grand mal à 15 cela ce sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer ensemble.

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SIMON, montrant Cléante. Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous 20 ai parlé.

HAR. Comment, pendard! c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables extrémités!

CLÉ.

Comment, mon père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions? (Maître Simon s'enfuit et La Flèche 25 va se cacher.)

La scène III, remplie des reproches mutuels du père et du fils, se termine ainsi:

HAR. Ote-toi de mes yeux, coquin! ôte-toi de mes yeux. CLE. Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui

achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ?

HAR. Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles. (Seul.) Je ne suis pas fâché de cette aventure, 5 et ce m'est un avis de tenir l'œil plus que jamais sur toutes ses actions.

Dans les scènes IV et V, la Flèche se moque de Frosine qui vient demander une faveur à Harpagon.

Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homme 10 dont il est question. Il est turc là-dessus, mais d'une turquerie à désespérer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en branlerait pas. En un mot, il aime l'argent plus que réputation, qu'honneur et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des convulsions. C'est 15 le frapper par son endroit mortel, c'est lui percer le cœur, c'est lui arracher les entrailles; et si... Mais il revient, je me retire.

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SCÈNE VI.

HARPAGON, FROSINE.

HAR., bas. Tout va comme il faut. (Haut.) Eh bien, qu'est-ce, Frosine?

FROS. Ah! mon Dieu! que vous vous portez bien, et que vous avez là un vrai visage de santé !

HAR. Qui, moi?

FROS. Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard.
HAR. Tout de bon ?

FROS.

Comment! vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes, et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.

HAR. Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés. FROS. Eh bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ! voilà bien de quoi! C'est la fleur de l'âge, cela; et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'homme.

HAR. Il est vrai; mais vingt années de moins pourtant 5 ne me feraient point de mal, que je crois.

FROS. Vous moquez-vous? Vous n'avez pas besoin de cela, et vous êtes d'une pâte à vivre jusques à cent ans.

HAR. Tu le crois?

FROS. Il faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous 10 mettrez en terre vos enfants et les enfants de vos enfants,

HAR. Tant mieux! Comment va notre affaire?

FROS. Faut-il le demander? et me voit-on me mêler de rien dont je ne vienne à bout? J'ai, surtout pour les 15 mariages, un talent merveilleux. J'ai dit à la mère le dessein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue et prendre l'air à la fenêtre.

HAR. Qui a fait réponse?

FROS. Elle a reçu la proposition avec joie.

HAR. Mais, Frosine, as-tu entretenu la mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa fille? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un peu, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle-ci? Car encore n'épouse-t-on point une fille sans qu'elle apporte quelque chose.

FROS. Comment c'est une fille qui vous apportera douze mille livres de rente?

HAR. Douze mille livres de rente?

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FROS. Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de bouche c'est une fille 20 accoutumée à vivre de salade, de lait, de fromage et de pommes, et à laquelle, par conséquent, il ne faudra n

table bien servie, ni consommés exquis, ni les autres délicatesses qu'il faudrait pour une autre femme; et cela monte bien tous les ans à trois mille francs pour le moins. Outre cela, elle n'est curieuse que d'une propreté fort 5 simple, et n'aime point les superbes habits, ni les riches bijoux, ni les meubles somptueux où donnent ses pareilles avec tant de chaleur; et cet article-là vaut plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu : ce qui n'est pas commun aux femmes 10 d'aujourd'hui ; et j'en sais une qui a perdu vingt mille francs cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, quatre mille en habits et bijoux, cela fait neuf mille livres et mille écus que nous mettons pour nourriture, ne voilà-t-il pas, par année, vos 15 douze mille francs bien comptés.

HAR. Oui, cela n'est pas mal; mais ce compte-là n'est rien de réel.

FROS. Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de réel que de vous apporter en mariage une grande sobriété, 20 l'héritage d'un grand amour de simplicité, de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour le jeu ?

HAR. C'est une raillerie que de vouloir me constituer sa dot de toutes les dépenses qu'elle ne fera point.

FROS. Mon Dieu! vous toucherez assez; et elles m'ont 25 parlé d'un certain pays où elles ont du bien dont vous serez le maître.

HAR. Il faut voir cela. Mais, Frosine, il y a encore une chose qui m'inquiète : la fille est jeune, et j'ai peur qu'un homme de mon âge ne soit pas de son goût.

Frosine le rassure de son mieux sur ce point; puis elle lui demande quelque argent, mais sans succès, naturellement,

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I.

HARPAGON, CLÉANTE, ÉLISE, VALÈRE, DAME CLAUDE, tenant un balai; MAITRE JACQUES,

BRINDAVOINE, LA MERLUCHE.

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HAR. Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt, et règle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude; commençons par vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de nettoyer partout; et surtout prenez garde de ne point 10 frotter les meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue, pendant le souper, au gouvernement des bouteilles; et, s'il s'en écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à vous et le rabattrai sur vos gages.

SCÈNE II.

HARPAGON, CLÉANTE, ÉLISE, VALÈRE, MAITRE JACQUES, BRINDAVOINE, LA MERLUCHE.

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HAR. Vous, Brindavoine, et vous, La Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres et de 20 donner à boire, mais seulement lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains impertinents de laquais qui viennent provoquer les gens et les faire aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter 25 toujours beaucoup d'eau.

JACQUES, à part. Oui, le vin pur monte à la tête.

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