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CLÉ. Mon Dieu! mon père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre, et l'on sait que vous avez assez de bien.

HAR. Comment! j'ai assez de bien! Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y a rien de plus faux ; et ce sont des 5 coquins qui font courir ces bruits-là Cela est étrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent mes ennemis !

CLE. Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?

HAR. Oui! De pareils discours et les dépenses que vous faites seront cause qu'un de ces jours on me viendra, chez moi, couper la goige, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles.

CLE. Quelle grande dépense est-ce que je fais?

HAR. Quelle? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que vous promenez par la ville? Pour a ler ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.

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HAR. Que sais-je, moi ? Où pouvez-vous donc prendre 20 de quoi entretenir l'état que vous portez ?

CLÉ. Moi, mon père? c'est que je joue; et comme je suis fort beureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne.

HAR. C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, 25 vous devriez en profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin de le trouver un jour. Mais laissons cela, et parlons d'autre chose; et, pour commencer par un bout, (à Cléante) avez-vous vu, dites moi, une jeune personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d'ici ?

Cus. Oui, mon père.

C'est justement la jeune fille dont Cléante est épris. Harpagon fait son éloge et finit par dire:

HAR. Son maintien honnête et sa douceur m'ont gagné l'âme, et je suis résolu de l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.

CLÉ. Euh!

HAR.

Comment ?

CLÉ.

Vous vous êtes résolu, dites-vous...?

HAR.

D'épouser Mariane.

CLE. Qui? vous ? vous?

HAR. Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela?

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CLE. Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me 10 retire d'ici.

HAR. Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre d'eau claire.

SCÈNE VI.

HARPAGON, ÉLISE.

HAR. Voilà de mes damoiseaux fluets, qui n'ont non plus de vigueur que des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à ton frère, je lui destine une certaine veuve dont ce matin on m'est venu parler; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.

ÉL. Au seigneur Anselme ?

HAR. Oui. Un homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les gra: ds biens. ÉL., faisant la révérence. Je ne veux point me marier, mon père, s'il vous plaît.

HAR., contrefaisant Élise. Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il vous plaît.

ÉL., faisant encore la révérence. Je vous demande pardon, mon père.

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HAR., contrefaisant Élise. Je vous demande pardon, ma

fille.

ÉL. Je suis très humble servante au seigneur Anselme; mais (faisant encore la révérence), avec votre permission, je 5 ne l'épouserai point.

HAR. Je suis votre très humble valet; mais (contrefor sant encore Élise), avec votre permission, vous l'épouserez

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ÉL., faisant encore la révérence. Cela ne sera pas, mon père.
HAR., contrefaisant encore Élise. Cela sera, ma fille.

ÉL. Non.

HAR. Si.

ÉL. Non, vous dis-je.

HAR. Si, vous dis-je.

ÉL. Je me tuerai plutôt que d'épouser un tel mari.

HAR. Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace! A-t-on jamais vu une fille parler de 20 la sorte à son père?

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ÉL. Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la

sorte?

Valère paraît et Élise veut bien l'accepter pour juge de la querelle.

SCÈNE VII.

VALÈRE, HARPAGON, ÉLISE.

HAR. Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison de ma fille ou de moi.

VAL.

C'est vous, monsieur, sans contredit.
HAR, Sais-tu bien de quoi nous parlons?

VAL. Non; mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison.

HAR. Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage; et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que dis-tu de cela?

VAL. Ce que j'en dis?

HAR. Oui.

VAL. Eh! eh!

HAR. Quoi?

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VAL. Je dis que dans le fond, je suis de votre sentiment; 10 et vous ne pouvez pas que vous n'ayez raison; mais aussi n'a-t-elle pas tort tout à fait; et elle pourrait vous dire que c'est un peu précipiter les choses.

HAR. C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu'ailleurs je ne 15 trouverais pas; et il s'engage à la prendre sans dot.

VAL. Sans dot?

HAR. Oui.

VAL. Ah! je ne dis plus rien. Voyez-vous, voilà une raison tout à fait convaincante: il faut se rendre à cela.

La conversation continue ainsi, Valère avançant les arguments les plus probants contre un mariage disproportionné. Mais Harpagon se contente de répéter; "sans dot." Aussi Valère conclut :

Il est vrai, cela ferme la bouche à tout. Sans dot! moyen de résister à une raison comme celle-là!

SCENES VIII ET IX.

Le

Élise reproche à Valère de céder ainsi à son père; il lui explique que c'est une ruse. Quant au mariage projeté, s'il n'y a pas d'autre moyen de le rompre, lui et elle s'enfuiront ensemble.

Harpagon revient et entendant Valère sermonner Elise lui donne toute autorité sur elle. L'acte se termine ainsi ;

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VAL., adressant la parole à Éhse, en s'en allant du côté par où elle sort. Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde ; et vous devez rendre grâce au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que 5 c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans ; et "sans dot' tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité.

HAR., seul. Ah! le brave garçon ! Voilà parlé comme 10 un oracle! Heureux qui peut avoir un domestique de la sorte!

ACTE DEUXIÈME.
SCÈNE I.

Cléante a chargé son valet de lui trouver quelqu'un qui lui 15 prête 15,000 francs. La Flèche a trouvé un courtier, maître Simon qui le mettra en rapport avec un usurier encore inconnu. Celui-ci ne donnera que 12,000 francs comptant, remplaçant le reste par de vieux meubles et de vieilles curiosités, dont la liste est des plus amusantes à parcourir; il y a en effet un lit, des tables, un lézard 20 empaillé, etc. De plus le taux du prêt est tout à fait exorbitant. Cléante tout en maugréant est prêt à accepter. Le courtier va le mettre en présence du prêteur.

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SCÈNE II.

HARPAGON, MAÎTRE SIMON; CLÉANTE et LA
FLÈCHE, dans le fond du théâtre.

HAR. Mais croyez-vous, maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter? et savez-vous le nom, les biens et la famille de celui pour qui vous parlez?

SIMON. Non; ce n'est que par aventure que l'on m'a adressé à lui. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que

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