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Télémaque sous la figure de Mentor, ne voulait pas être connue de Calypso.

Cependant Calypso se réjouissait d'un naufrage qui mettait dans son île le fils d'Ulysse, si semblable à son père. Elle s'avance vers lui; et, sans faire semblant de 5 savoir qui il est :

"D'où vous vient, lui dit-elle, cette témérité d'aborder en mon île? Sachez, jeune étranger, qu'on ne vient pas impunément dans mon empire.'

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Elle tâchait de couvrir sous ces paroles menaçantes la 10 joie de son cœur, qui éclatait malgré elle sur son visage. Télémaque lui répondit :

O vous, qui que vous soyez, mortelle ou déesse, quoique à vous voir on ne puisse vous prendre que pour une divinité, seriez-vous insensible au malheur d'un fils qui, 15 cherchant son père à la merci des vents et des flots, a vu briser son navire contre vos rochers?

"Quel est donc votre père que vous cherchez?" reprit la déesse. "Il se nomme Ulysse, dit Télémaque; c'est un des rois qui ont, après un siège de dix ans, renversé la 20 fameuse Troie. Son nom fut célèbre dans toute la Grèce et dans toute l'Asie, par sa valeur dans les combats, et plus encore par sa sagesse dans les conseils. Maintenant, errant dans toute l'étendue des mers, il parcourt tous les écueils les plus terribles. Sa patrie semble fuir devant 25 lui. Pénélope, sa femme, et moi, nous avons perdu l'espérance de le revoir. Je cours, avec les mêmes dangers que lui, pour apprendre où il est. Mais, que dis-je! peutêtre qu'il est maintenant enseveli dans les profonds abîmes de la mer. Ayez pitié de nos malheurs; et si vous savez, 30 ô déesse, ce que les destinées ont fait pour sauver ou pour perdre Ulysse, daignez en instruire son fils Télémaque."

Calypso, étonnée et attendrie de voir dans une si vive jeunesse tant de sagesse et d'éloquence, ne pouvait rassa

sier ses yeux en le regardant; et elle demeurait en silence. Enfin elle lui dit :

"Télémaque, nous vous apprendrons ce qui est arrivé à votre père. Mais l'histoire en est longue: il est temps de 5 vous délasser de tous vos travaux. Venez dans ma demeure, où je vous recevrai comme mon fils: venez; vous serez ma consolation dans ma solitude; et je ferai votre bonheur, pourvu que vous sachiez en jouir.”

Télémaque suivait la déesse accompagnée d'une foule 10 de jeunes nymphes, au-dessus desquelles elle s'élevait de toute la tête, comme un grand chêne dans une forêt élève ses branches épaisses au-dessus de tous les arbres qui l'environnent. Il admirait l'éclat de sa beauté, la riche pourpre de sa robe longue et flottante, ses cheveux noués 15 par derrière négligemment, mais avec grâce, le feu qui sortait de ses yeux, et la douceur qui tempérait cette vivacité. Mentor, les yeux baissés, gardant un silence modeste, suivait Télémaque.

On arriva à la porte de la grotte de Calypso, où Télé20 maque fut surpris de voir, avec une apparence de simplicité rustique, des objets propres à charmer les yeux. Il est vrai qu'on n'y voyait ni or, ni argent, ni marbre, ni colonnes, ni tableaux, ni statues, mais cette grotte était taillée dans le roc, en voûte pleine de rocailles et de co25 quilles; elle était tapissée d'une jeune vigne qui étendait ses branches souples également de tous côtés. Les doux zéphyrs conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur; des fontaines, coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amarantes et de 30 violettes, formaient en divers lieux des bains aussi purs et aussi clairs que le cristal; mille fleurs naissantes émaillaient les tapis verts dont la grotte était environnée. Là on trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes

les saisons, répand le plus doux de tous les parfums; ce bois semblait couronner ces belles prairies, et formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvaient percer; là cn n'entendait jamais que le chant des oiseaux, ou le bruit d'un ruisseau qui, se précipitant du haut d'un rocher, tom- 5 bait à gros bouillons pleins d'écume, et s'enfuyait au travers de la prairie.

La grotte de la déesse était sur le penchant d'une colline; de là on découvrait la mer, quelquefois claire et unie comme une glace, quelquefois follement irritée contre les 10 rochers, où elle se brisait en gémissant et élevant ses vagues comme des montagnes; d'un autre côté, on voyait une rivière où se formaient des îles bordées de tilleuls fleuris et de hauts peupliers qui portaient leurs têtes. superbes jusque dans les nues. Les divers canaux qui 15 formaient ces îles semblaient jouer dans la campague: les uns roulaient leurs eaux claires avec rapidité, d'autres avaient une eau paisible et dormante; d'autres, par de longs détours, revenaient sur leurs pas, comme pour remonter vers leur source, et semblaient ne pouvoir quitter 20 ces bords enchantés. On apercevait de loin des collines et des montagnes qui se perdaient dans les nues, et dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Les montagnes voisines étaient couvertes de pampre vert qui pendait en festons: le raisin, 25 plus éclatant que la pourpre, ne pouvait se cacher sous les feuilles, et la vigne était accablée sous son fruit. Le figuier, l'olivier, le grenadier, et tous les autres arbres, couvraient la campagne et en faisaient un grand jardin.

Calypso, ayant montré à Télémaque toutes ces beautés 30 naturelles, lui dit:

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Reposez-vous; vos habits sont mouillés, il est temps que vous en changiez: ensuite nous nous reverrons; et je vous raconterai des histoires dont votre cœur sera touché."

En même temps, elle le fit entrer avec Mentor dans le lieu le plus secret et le plus reculé d'une grotte voisine de celle où la déesse demeurait. Les nymphes avaient eu soin d'allumer en ce lieu un grand feu de bois de cèdre, 5 dont la bonne odeur se répandait de tous côtés; et elles y avaient laissé des habits pour les nouveaux hôtes.

TRAITÉ DE L'EXISTENCE DE DIEU.

Dieu révélé par la Nature. La Terre.

Qui est ce qui a suspendu ce globe de la terre, qui est 10 immobile? qui est-ce qui en a posé les fondements? Rien n'est, ce semble, plus vil qu'elle; les plus malheureux la foulent aux pieds. Mais c'est pourtant pour la posséder qu'on donne tous les plus grands trésors. Si elle était plus dure, l'homme ne pourrait en ouvrir le sein pour la 15 cultiver; si elle était moins dure, elle ne pourrait le porter; il enfoncerait partout, comme il enfonce dans le sable ou dans un bourbier. C'est du sein inépuisable de la terre que sort tout ce qu'il y a de plus précieux. Cette masse informe, vile et grossière, prend toutes les formes les plus 20 diverses, et elle seule devient tour à tour tous les biens que nous lui demandons: cette boue si sale se transforme en mille beaux objets qui charment les yeux; en une seule année, elle devient branches, boutons, feuilles, fleurs, fruits et semences, pour renouveler ses libéralités en faveur des 25 hommes. Rien ne l'épuise: plus on déchire ses entrailles, plus elle est libérale. Après tant de siècles, pendant lesquels tout est sorti d'elle, elle n'est point encore usée: elle ne ressent aucune vieillesse; ses entrailles sont encore pleines des mêmes trésors. Mille générations ont passé dans son sein: tout vieillit, excepté elle seule; elle se rajeunit chaque année au printemps. Elle ne manque

jamais aux hommes: mais les hommes insensés se manquent à eux mêmes, en négligeant de la cultiver; c'est par leur paresse et par leurs désordres qu'ils laissent croître les ronces et les épines en la place des vendanges et des moissons: ils se disputent un bien qu'ils laissent perdre. 5 Les conquérants laissent en friche la terre pour la possession de laquelle ils ont fait périr tant de milliers d'hommes et ont passé leur vie dans une si terrible agitation. Les hommes ont devant eux des terres immenses qui sont vides et incultes; et ils renversent le genre humain un coin de cette terre si négligée.

pour

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La terre, si elle était bien cultivée, nourrirait cent fois plus d'hommes qu'elle n'en nourrit. L'inégalité même des terroirs, qui paraît d'abord un défaut, se tourne en ornement et en utilité. Les montagnes se sont élevées, et les 15 vallons sont descendus en la place que le Seigneur leur a marquée. Ces diverses terres, suivant les divers aspects du soleil, ont leurs avantages. Dans ces profondes vallées, on voit croître l'herbe fraîche pour nourrir les troupeaux; auprès d'elles s'ouvrent de vastes campagnes, revêtues de 20 riches moissons. Ici des côteaux s'élèvent comme en amphithéâtre, et sont couronnés de vignobles et d'arbres fruitiers; là de hautes montagnes vont porter leur front glacé jusque dans les nues, et les torrents qui en tombent sont les sources des rivières. Les roches, qui montrent leur 25 cîme escarpée, soutiennent la terre des montagnes, comme les os du corps humain en soutiennent les chairs. Cette variété fait le charme des paysages, et en même temps elle satisfait aux divers besoins des peuples.

L'Eau.

Regardons maintenant ce qu'on

corps liquide, clair et transparent.

appelle l'eau : c'est un D'un côté, il coule, il

échappe, il s'enfuit; de l'autre, il prend toutes les formes

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