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J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
Je l'ai vu; son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin :
C'est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre. 5
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître.
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,

Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?

MATH. Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable.. 10
ATH. Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu?

Quel est-il? de quel sang et de quelle tribu?

AB. Deux enfants à l'autel prêtaient leur ministère :
L'un est fils de Joad, Josabet est sa mère;
L'autre m'est inconnu.

MATH.

Pourquoi délibérer ?

De tous les deux, madame, il se faut assurer. Abner fait quelques objections; Mathan réplique:

On le craint; tout est examiné.

A d'illustres parents s'il doit son origine, La splendeur de son sort doit hâter sa ruine : Dans le vulgaire obscur ci le sort l'a placé, Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit versé ? Est ce aux rois à garder cette lente justice? Leur sûreté souvent dépend d'un prompt supplice. N'allons point les gêner d'un soin embarrassant: Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent. Athalie ordonne à Abner d'aller chercher les deux enfants qu'elle Joas arrive accompagné de Josabet:

a vus.

SCÈNE VII.

ATH. O ciel! plus j'examine et plus je le regarde...

C'est lui! d'horreur encor tous mes sens sont saisis.

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(Montrant Joas.)

Épouse de Joad, est-ce là votre fils?

JOSA. Qui? lui, madame?

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AтH., à Joas. Et vous quel est donc votre père ?

10 JOSA.

JOSA.

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Jeune enfant, répondez.

Le ciel jusqu'aujourd'hui...

ATHALIE, à Josabet.

Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ?
C'est à lui de parler.

Dans un âge si tendre

Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ?

ATH. Cet âge est innocent: son ingénuité
N'altère point encor la simple vérité.

Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche.

JOSABET, à part.

Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche? ATH. Comment vous nommez-vous ?

JOAS.

J'ai nom Éliacin,

Je suis, dit-on, un orphelin

ATH. Votre père?

JOAS.

Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance, Et qui de mes parents n'eus jamais connaissance. ATH. Vous êtes sans parents?

JOAS.

Ils m'ont abandonné.

Атн. Comment? et depuis quand ?

JOAS.

Depuis que je suis né.

ATH. Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ?
JOAS. Ce temple est mon pays: je n'en connais point d'autre.
Aтн. Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?
JOAS. Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.
АTH. Qui vous mit dans ce temple ?

JOAS.

Une femme inconnue,

Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue. ATH. Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin? JOAS. Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?

Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature.

Tous les jours je l'invoque; et d'un soin paternel,

Il me nourrit des dons offerts sur son autel.

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ATH. Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse! 15
La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
Font insensiblement à mon inimitié
Succéder... Je serais sensible à la pitié!

AB. Madame, voilà donc cet ennemi terrible?

JOSA.

De vos songes menteurs l'imposture est visible,
A moins que la pitié, qui semble vous troubler
Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.
ATHALIE, à Joas et à Josabet.

Vous sortez ?

Vous avez entendu sa fortune:
Sa présence à la fin pourrait être importune.

ATHALIE, à Joas.

Non: revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?

JOAS. J'adore le Seigneur; on m'explique sa loi;
Dans son livre divin on m'apprend à la lire;
Et déjà de ma main je commence à l'écrire.

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ATH. Que vous dit cette loi ?

JOAS.

Que Dieu veut être aimé;

Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé:
Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide;
Qu'il résiste au superbe et punit l'homicide.

ATH. J'entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,
A quoi s'occupe-t-il ?

JOAS.

Il loue, il bénit Dieu.

ATH. Dieu veut-il qu'à toute heure on prie, on le contemple? 10 JoAs. Tout profane exercice est banni de son temple. ATH. Quels sont donc vos plaisirs ?

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JOAS.

Quelquefois à l'autel

Je présente au grand-prêtre ou l'encens ou le sel;
J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies;
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies.

ATH. Hé quoi! vous n'avez pas de passe-temps plus doux?
Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous.
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.

JOAS. Moi! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire? 20 ATH. Non, je ne vous veux pas contraindre à l'oublier. JOAS. Vous ne le priez point.

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Атн.

Vous le pourrez prier.

JOAS. Je verrais cependant en invoquer un autre.

Атн. J'ai mon Dieu que je sers; vous servirez le vôtre
Ce sont deux puissants dieux.

JOAS.

Il faut craindre le mien;

Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n'est rien. ATH. Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule. JOAS. Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule. 30 ATH. Ces méchants, qui sont-ils ?

JOSA.

Un enfant...

Hé, madame! excusez

АтH., à Josabet. J'aime à voir comme vous l'instruisez.
Enfin, Eliacin, vous avez su me plaire,

Vous n'êtes point sans doute un enfant ordinaire.
Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier;
Laissez là cet habit, quittez ce vil métier;
Je veux vous faire part de toutes mes richesses.
Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses:
A ma table, partout, à mes côtés assis,

Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
JOAS. Comme votre fils!

ATH.

Oui... Vous vous taisez ?

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Sa mémoire est fidèle: et dans ce qu'il dit,

De vous et de Joad je reconnais l'esprit.
Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,

Vous employez tous deux le calme où je vous laisse Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur: Vous ne leur prononcez mon nom qu'avec horreur. JOSA. Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire ? Tout l'univers les sait: vous-même en faites gloire. ATH. Oui, ma juste fureur, et j'en fais vanité,

A vengé mes parents sur ma postérité.

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JOSA. Tout vous a réussi. Que Dieu voie et nous juge.
ATH. Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
Que deviendra l'effet de ses prédictions?

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