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tenoit même souvent avec les dames, et ne comptoit point pour perdu le temps qu'il donnoit à leur conversation. Il se dépouilloit parfaitement avec elles du caractere de savant et de philosophe; caracteres cependant presque indélebiles et dont elles appercevoient bien finement et avec bien du dégoût les traces les plus légeres. Cette facilité de se communiquer le faisoit aimer de tout le monde. Un savant illustre qui est populaire et familier, c'est presque un prince qui le seroit aussi le prince a pourtant beaucoup d'avantage.

M. Leibnitz avoit un commerce de lettres prodigieux. Il se plaisoit à entrer dans les travaux ou dans les projets de tous les savans de l'Europe, il leur fournissoit des vûes, il les animoit, et certainement il prêchoit d'exemple. On étoit sûr d'une réponse dès qu'on lui écrivoit, ne se fût-on proposé que l'honneur de lui écrire. Il est impossible que ses lettres ne lui ayent emporté un temps trèsconsidérable; mais il aimoit autant l'employer au profit ou à la gloire d'autrui qu'à son profit ou à sa gloire particuliere.

Il étoit toujours d'une humeur gaie; et à quoi serviroit sans cela d'être philosophe? On l'a vu fort affligé à la mort du feu roi de Prusse et de l'électrice Sophie. La douleur d'un tel homme est la plus belle oraison funebre.

Il se mettoit aisément en colere, mais il en re

venoit aussi-tôt. Ses premiers mouvemens n'étoient pas d'aimer la contradiction sur quoi que ce fût, mais il ne falloit qu'attendre les seconds; et en effet ses seconds mouvemens, qui sont les seuls dont il reste des marques, lui feront éternellement honneur.

On l'accuse de n'avoir été qu'un grand et rigide observateur du droit naturel. Ses pasteurs lui en ont fait des réprimandes publiques et inutiles.

On l'accuse aussi d'avoir aimé l'argent. Il avoit un revenu très-considérable en pensions du duc de Volfembutel, du roi d'Angleterre, de l'Empereur, du czar, et vivoit toujours assés grossierement. Mais un philosophe ne peut guére, quoiqu'il devienne riche, se tourner à des dépenses inutiles et fastueuses qu'il méprise. De plus, M. Leibnitz laissoit aller le détail de sa maison comme il plaisoit à ses domestiques, et il dépensoit beaucoup en négligence. Cependant la recette étoit toujours la plus forte, et on lui trouva après sa mort une grosse somme d'argent comptant qu'il avoit cachée. C'étoient deux années de son revenu. Ce trésor lui avoit causé pendant sa vie de grandes inquiétudes qu'il avoit confiées à un ami; mais il fut encore plus funeste à la femme de son seul héritier, fils de sa sœur, qui étoit curé d'une paroisse près de Leipsic. Cette femme, en voyant tant d'argent en

semble qui lui appartenoit, fut si saisie de joie qu'elle en mourut subitement.

M. Eckard promet une vie plus complette de M. Leibnitz : c'est aux mémoires qu'il a eu la bonté de me fournir qu'on en doit déja cette ébauche. Il rassemblera en un volume toutes les piéces imprimées de ce grand homme, éparses en une infinité d'endroits, de quelque espéce qu'elles soient. Ce sera là, pour ainsi dire, une résurrection d'un corps dont les membres étoient extrémement dispersés; et le tout prendra une nouvelle vie par cette réunion. De plus, M. Eckard donnera toutes les œuvres posthumes qui sont achevées, et des Leibnitiana, qui ne seront pas la partie du recueil la moins curieuse. Enfin il continuera l'histoire de Brunsvic, dont M. Leibnitz n'a fait que ce qui est depuis le commencement du regne de Charlemagne jusqu'à l'an 1005. C'est prolonger la vie des grands hommes, que de poursuivre dignement leurs entreprises.

M

ÉLOGE

DE M.
M. NEUTON

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SAAC NEUTON naquit le jour de Noël V. S. de l'an 1642, à Volstrope dans la province de Lincoln. Il sortoit de

la branche aînée de Jean Neuton,

chevalier baronnet, seigneur de Volstrope. Cette seigneurie étoit dans la famille depuis près de deux cents ans. Messieurs Neuton s'y étoient transportés de Westby dans la même province de Lincoln, mais ils étoient originaires de Neuton dans celle de Lancastre. La mere de M. Neuton, nommée Anne Ascough, étoit aussi d'une ancienne famille. Elle se remaria après la mort de son premier mari, pere de M. Neuton.

Elle mit son fils, âgé de douze ans, à la grande école de Grantham, et l'en retira au bout de quelques années, afin qu'il s'accoutumât de bonne heure à prendre connoissance de ses affaires et à

les gouverner lui-même. Mais elle le trouva si peu occupé de ce soin, si distrait par les livres, qu'elle le renvoya à Grantham pour y suivre son goût en liberté. Il le satisfit encore mieux en passant de là au collège de la Trinité, dans l'université de Cambridge, où il fut reçu en 1660, à l'âge de dixhuit ans.

Pour apprendre les mathématiques, il n'étudia point Euclide, qui lui parut trop clair, trop simple, indigne de lui prendre du temps; il le savoit presque avant que de l'avoir lû, et un coup d'œil sur l'énoncé des théorêmes les lui démontroit. Il sauta tout d'un coup à des livres tels que la Géométrie de Descartes et les Optiques de Kepler. On lui pourroit appliquer ce que Lucain a dit du Nil, dont les anciens ne connoissoient point la source, qu'il n'a pas été permis aux hommes de voir le Nil foible et naissant. Il y a des preuves que M. Neuton avoit fait à vingt-quatre ans ses grandes découvertes en géométrie, et posé les fondemens de ses deux célébres ouvrages, les Principes et l'Optique. Si des intelligences supérieures à l'homme ont aussi un progrès de connoissances, elles volent tandis que nous rampons, elles suppriment des milieux que nous ne parcourons qu'en nous traînant lentement et avec effort d'une vérité à une autre qui y touche. Nicolas Mercator, né dans le Holstein, mais qui a passé sa vie en Angleterre, publia en 1668

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