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11 JAN 1960

OF OXFORD

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E suis à peu près dans le même cas où se trouva Ciceron, lorsqu'il entreprit de mettre en sa langue des matieres de philosophie qui jusque-là n'avoient été traitées qu'en grec. Il nous apprend qu'on disoit que ses ouvrages seroient fort inutiles, parce que ceux qui aiment la philosophie, s'étant bien donné la peine de la chercher dans les livres grecs, négligeroient après cela de la voir dans des livres latins qui ne seroient pas originaux, et que ceux

Fontenelle. II.

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qui n'avoient pas de goût pour la philosophie ne se soucioient de la voir ni en latin ni en grec.

A cela il répond qu'il arriveroit tout le contraire; que ceux qui n'étoient pas philosophes seroient tentés de le devenir par la facilité de lire les livres latins, et que ceux qui l'étoient déja par la lecture des livres grecs seroient bien aises de voir comment ces choses-là avoient été maniées en latin.

Ciceron avoit raison de parler ainsi. L'excellence de son génie et la grande réputation qu'il avoit déja acquise lui garantissoient le succès de cette nouvelle sorte d'ouvrages qu'il donnoit au public; mais moi, je suis bien éloigné d'avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J'ai voulu traiter la philosophie d'une maniere qui ne fût point philosophique; j'ai tâché de l'amener à un point où elle ne fût ni trop séche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savans. Mais, si on me dit, à peu près comme à Ciceron, qu'un pareil ouvrage n'est propre ni aux savans qui n'y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n'auront point d'envie d'y rien apprendre, je n'ai garde de répondre ce qu'il répondit. Il se peut bien faire qu'en cherchant un milieu où la philosophie convînt à tout le monde, j'en aye trouvé un où elle ne convienne à personne; les milieux sont trop

difficiles à tenir, et je ne crois pas qu'il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.

Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connoissance de la physique, que je n'ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir en leur présentant d'une maniere un peu plus agréable et plus égayée ce qu'ils savent déja plus solidement. J'avertis ceux à qui ces matieres sont nouvelles que j'ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s'ils cherchent ici de l'utilité; et les seconds, s'ils n'y cherchent que de l'agrément.

Je ne m'amuserai point à dire que j'ai choisi dans toute la philosophie la matiere la plus capable de piquer la curiosité. Il semble que rien ne devroit nous intéresser davantage que de savoir comment est fait ce monde que nous habitons, s'il y a d'autres mondes semblables, et qui soient habités aussi; mais, après tout, s'inquiéte de tout cela qui veut. Ceux qui ont des pensées à perdre les peuvent perdre sur ces sortes de sujets; mais tout le monde n'est pas en état de faire cette dépense inutile.

J'ai mis dans ces Entretiens une femme que l'on instruit, et qui n'a jamais ouï parler de ces choseslà. J'ai cru que cette fiction me serviroit et à ren

dre l'ouvrage plus susceptible d'agrément, et à encourager les dames par l'exemple d'une femme qui, ne sortant jamais des bornes d'une personne qui n'a nulle teinture de science, ne laisse pas d'entendre ce qu'on lui dit, et de ranger dans sa tête sans confusion les tourbillons et les mondes. Pourquoi des femmes cederoient-elles à cette marquise imaginaire, qui ne conçoit que ce qu'elle ne peut se dispenser de concevoir?

A la vérité elle s'applique un peu ; mais qu'estce ici que s'appliquer? Ce n'est pas pénétrer à force de méditation une chose obscure d'elle-même, ou expliquée obscurément; c'est seulement ne point lire sans se représenter nettement ce qu'on lit. Je ne demande aux dames pour tout ce systême de philosophie que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Cléves, si on veut en suivre bien l'intrigue et en connoître toute la beauté. Il est vrai que les idées de ce livre-ci sont moins familieres à la plupart des femmes que celles de la Princesse de Cléves; mais elles n'en sont pas plus obscures, et je suis sûr qu'à une seconde lecture tout au plus il ne leur en sera rien échappé.

Comme je n'ai pas prétendu faire un systême en l'air, et qui n'eût aucun fondement, j'ai employé de vrais raisonnemens de physique, et j'en ai employé autant qu'il a été nécessaire. Mais il se trouve heureusement dans ce sujet que les idées

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