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naissait aussi; elle dit avoir eu sa visite dans le courant de juillet et reçu d'elle, en dépôt, une boîte à chapeau assez lourde. On comprend la pensée qui vint à ces deux personnes; elles prirent aussitôt une voiture et se rendirent chez moi. Je les ai amenées bien vite avec la boîte en question.

Appelée devant le tribunal, la femme Heinen confirme les paroles de M. Fournier.

Alors le président donne l'ordre d'ouvrir la boîte, et en retire une petite cassette.

- Voilà les diamants, dit-il.

Il les range sur le bureau de la Cour; ils sont trèsbeaux; l'on comprend que Mme Stevens dût en déplorer la perte et qu'elle ait promis une somme de 5000 francs à la personne qui les lui ferait re

trouver.

Le président félicite très-chaleureusement M. Fournier, Mile Cazat et la femme Heinen, et ajoute en s'adressant à cette dernière :

Madame, j'estime que vous avez droit à la récompense promise par Me Stevens !

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Ah monsieur le président, répond Mme Heinen, cela viendrait à propos, car je suis bien pauvre! L'avocat général reprend :

La demoiselle Cazat aussi a très-utilement servi la justice tout nous porte à croire que Mme Stevens se montrera généreuse.

Vous vous figurez peut-être que l'accusée courbe la tête? Point du tout; elle reste calme et s'entend, sans émotion apparente, condamner à dix ans de reclusion.

Voilà certainement un dénoûment heureux; mais nous engageons Mme Stevens à n'être plus, désormais, aussi confiante et à ne pas trop compter sur les fortunés hasards qui lui ont valu le retour de ses diamants; ils ne se renouvelleraient pas une autre fois pour les lui faire retrouver. Dans ce procès, une autre chose nous frappe si M. Fournier n'eût pas si rapidement pris son parti, il serait arrivé après l'acquittement de Perrine Laporte. Déclarée non coupable par le jury, elle n'aurait pu être remise en cause; les bijoux eussent été reconquis sans doute, mais on aurait vu la coupable se promener innocentée, cherchant les moyens de se livrer à des vols nouveaux. Enfin, le hasard, la Providence, l'honnêteté s'en mêlant, les choses ont heureusement tourné, et l'on peut redire le vieil axiome: «Tout est bien qui finit bien. » En tout cas, le procès Perrine Laporte aura une place à part dans les Olim du Palais de justice. Ce qui nous plaît en cette circonstance, c'est que la pauvre femme Heinen a reçu 5000 francs, une fortune pour elle. Elle est peut-être plus heureuse que Mme Stevens.

En fait de bonheur, je porte envie à celui du prince de Galles; quel admirable voyage il vient de faire! Il a traversé les mers, porté par un puissant navire où tout avait été disposé pour que, en fait de bienêtre et de luxe, il pût se croire encore dans un de ces somptueux palais si chers à l'aristocratie anglaise; l'Océan lui a été doux, et il est arrivé au pays des merveilles avec la rapidité de locomotion particulière à notre siècle. A la rive l'attendaient tous les hommages officiels, avec arcs de triomphe, feux d'artifice, « une joie à brûler un cent de lampions, » comme disait notre Béranger, et toutes les castes hindoues se pressaient pour saluer le futur empereur de cet empire indien qui, si on l'avait voulu, eût été nôtre. Sur la plage de

Bombay se pressaient tous les princes indiens, nawabs, maharaos, maharajahs, maharawal, revêtus de leurs costumes ruisselants de pierreries et suivis de nombreux serviteurs couverts de costumes blancs, bleus, roses, rouges, jaunes, oranges, sans aucune de ces nuances foncées qui font ressembler nos fètes à des cérémonies funèbres. Derrière ce cortége se pressaient une centaine de milliers d'indigènes au teint blanc, cuivré, bistré, aux grands yeux, et coiffés de mille façons différentes, toutes ces coiffures plus originales et plus éclatantes les unes que les autres. A travers cette foule ondoyante et chatoyante, circulaient de petits équipages ravissants traînés par des bœufs trotteurs, les plus charmants animaux qui se puissent voir, malgré la bosse à la polichinelle qu'ils portent sur leur garot. Pieds menus comme ceux des gazelles, jambes fines et nerveuses, flancs serrés, superbe encolure, beaux yeux et tête mignonne, couronnée de cornes en forme de lyre. Attelé à un joug très-léger, cet équipage fait voler le délicat panier surmonté d'une marquise en soie où est étendu le maître. Mais tous les membres de la race bovine que l'on rencontre dans les rues ne sont point soumis à ce service, vous en voyez qui se promènent en liberté; respectez-les, ils sont sacrés, et créatures si nobles aux yeux des indigènes, qu'ils s'empressent de recueillir pieusement les restes de leur digestion. Que l'on juge par là de quel regard les Hindous doivent voir les Européens qui tuent et mangent les bœufs.

Et sous quel ciel et dans quel admirable paysage vit l'opulente cité! et quels charmants bungalow l'entourent! Ces résidences disparaissent sous des fouillis embaumés de palmiers, de cactus gigantesques, de figuiers, de cocotiers, de mangliers, de lataniers que relient d'interminables guirlandes de lianes chargées de fleurs au plus doux parfum.

Quant aux femmes, dont le teint passe du ton blanc au safran légèrement bistré, elles ont les plus beaux yeux du monde, des formes fines et d'une grâce ondoyante. Elles seraient tout à fait charmantes, si elles n'abimaient pas leur nez, d'un dessin très-pur, en y accrochant un tas de bijoux qui pendent sur leurs lèvres. Leur costume, en général, ne se compose que d'une espèce de brassière qui couvre leurs seins et d'une longue pièce d'étoffe si artistement disposée, qu'elle suffit à faire une coiffure, une toge, une ceinture et des caleçons. Les femmes parsis portent de véritables pantalons avec une grande draperie de soie de la couleur la plus vive, dont, elles aussi, savent se faire une coiffure, qui s'harmonise très-bien avec leur beauté chaste et ardente.

Habitué à admirer les élégantes promeneuses des parcs royaux de la vieille Angleterre vieille ? elle est bien jeune à côté de l'Inde, quel n'a pas dû être l'étonnement du prince de Galles, vers lequel tant de regards étaient tournés! Il semble cependant avoir gardé le sang-froid souriant et affable d'un parfait gentilhomme; il a complétement réussi. Parler des ovations qui lui ont été faites, des bals, des diners qui lui ont été donnés, des chasses dont il a eu les dangers, les fatigues et les plaisirs, exigerait un volume; mais nous ne saurions trop louer la curiosité qui l'a fait voguer vers l'île de Ceylan, une merveille plus merveilleuse peut-être que l'Inde elle-même. Les anciens n'en ont jamais parlé que comme d'un Eden, et elle est restée une terre prodigieuse de végétation, de fé

condité et de richesses. Là, le prince a eu l'honneur de tuer lui-même un éléphant; il a montré un courage presque téméraire dans cette chasse périlleuse pour les princes comme pour les simples mortels. En effet, nous ne pensons pas qu'un éléphant blessé, retenu par de hautes considérations, traitât avec plus de respect l'héritier de trois couronnes que le dernier des parias Après avoir passé sous les arcs de triomphe chargés de fleurs de Ceylan, le prince a cinglé vers Madras, dont la population est environ d'un million d'âmes. Mais est-ce bien une seule ville et non plutôt une série d'habitations isolées les unes des autres et couvrant

une immense surface de terrain? Dans cette ville étrange on se dit voisins lorsqu'on habite à cinq ou six kilomètres l'un de l'autre. Les monuments, les constructions particulières de Madras sont bien inférieurs aux édifices et aux habitations de Bombay; on n'y retrouve pas la grâce du génie oriental, et hélas! dans le paysage ne s'élèvent plus les fùts élégants des palmiers. La réception faite au prince a été splendide, et, là comme partout, il a vu les populations en foule se presser autour de lui.

Dans son rapide voyage, semblable à un rêve de fée, nous le reconnaissons, il aura marché d'étonnements

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en étonnements; en sa mémoire se seront gravés des tableaux prodigieux; mais, en réalité, et pour les devoirs qu'il aura à remplir plus tard, quel enseignement lui restera? qu'aura-t-il appris? C'est une question que nous nous posons et à laquelle, par respect, uous ne voulons pas répondre.

Pendant que le prince de Galles parcourait une partie de son futur empire, à New-York s'éteignait l'homme le plus riche du monde entier. Son père, Astor, était venu d'Allemagne avec une grosse de méchantes flûtes; il les vendit mal, et, de luthier qu'il voulait être, il devint commis fourreur, puis associé de la maison où il était entré. Bref, il mourut, laissant à son fils une for

tune de cinquante millions. W. Astor II plaça la majeure partie de cette somme dans des terrains aux environs de New-York. Il achetait à l'hectare, il vendit bientôt au mètre, et finit par posséder deux mille maisons. Il dépensait, dit-on, par jour, un dollar seulement; il n'a jamais rien donné à personne; aussi son unique héritier se trouve-t-il à la tête d'un milliard, soit de 50 millions de revenu annuel, qui font 4 166 666 francs par mois et 138 000 francs par jour. Que va devenir cette fortune colossale? Sera-ce une puissance, ou ce qui est venu par la flûte s'en ira-t-il par le tambour? A. DE VILLENEUVE. Le directeur gérant: C. WALLUT.

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moindre défaillance; leur courage était plus haut que leur infortune. La jeune fille fut reçue avec les égards dus à son sexe. Elle apprit aux confédérés la nouvelle de l'évasion de d'Aiglemont. Toutes les mains, à cette annonce, se tendirent vers elle; un officier s'offrit à la conduire à Richmond et à l'aider à trouver un logement, tandis qu'un autre allait prévenir le général Lee de la délivrance probable du hardi colonel des partisans et de l'arrivée de Mlle Hunter.

Trouver un logement, une misérable chambre, à Richmond n'était pas chose facile. Toutes les familles un peu aisées du Sud, fuyant devant l'invasion, avaient cherché un refuge dans cette ville, qui, maintenant désolée, assiégée, affamée, ne pouvait plus ni les loger ni les nourrir. Les abris et les vivres manquaient, et sans le secours de son guide, sans l'intérêt qu'inspiraient son courage et sa jeunesse, Dinnah ne serait pas parvenue à découvrir dans un pauvre petit hôtel la pauvre chambre dont elle se contenta. Heureusement, munie d'une assez forte somme d'argent, elle put trouver une Virginienne qui consentit à la servir, et, en prodiguant l'or, assurer, sinon à elle, du moins à Eva, les soins dont l'enfant avait besoin.

Le jeune officier qui l'avait conduite, Charles France, la guida dans ses premiers arrangements, et se mit à sa disposition avec la respectueuse déférence que les femmes américaines sont habituées à rencontrer presque partout.

Monsieur, lui dit-elle en le remerciant, vous savez le but qui m'amène ; je veux retrouver ma sœur. Où la chercher? Quelles démarches puis-je faire ?

-Je pense, mademoiselle, puisque vous voulez bien m'interroger, que les deux premiers soins à prendre sont, d'une part, de prévenir les diables de M. d'Aiglemont de votre arrivée, et, de l'autre, de demander une audience au général Lee. Si vous voulez me charger de cette double mission, je serai heureux de la remplir. J'ai l'honneur de connaître le colonel d'Aiglemont. Echappé des mains des fédéraux, dans quelques heures il sera parmi ses soldats, et, informé de votre présence à Richmond, il volera bientôt près de sa fille et de vous. Quant au général Lee, il se hàtera de vous recevoir et facilitera toutes vos recherches, car c'est le meilleur des hommes Soit que ce plan vous convienne ou qu'un autre, mademoiselle, vous paraisse meilleur, disposez de toute la somme de temps dont je pourrai disposer moi-même.

Les propositions du capitaine d'artillerie étaient sensées; Dinnah se hâta de les accepter.

-- Eh bien, puisqu'il en est ainsi, reposez-vous aujourd'hui, mademoiselle; vous devez en avoir besoin. Demain matin, j'aurai l'honneur de vous apporter la réponse du général et des nouvelles de votre beaufrère.

Certainement Dinnah n'était point sudiste; certainement encore elle était tout entière à ses inquiétudes, à ses amers chagrins: cependant fut frannéa nar

reuses ils étaient parvenus à sortir de ennemis. Pendant dix heures, ils avai vers les postes, les sentinelles, les ga tantôt traqués et poursuivis comme s'ouvrant passage de vive force; ici, s fourrés, grimpant sur les arbres; là, qui tentaiant de leur couper le passi ils eussent rencontré moins de péril que la nuit; mais, d'une part, à au mont ne voulant retomber dans une rait eu une fin prompte et tragique, lignes ennemies; de l'autre, les fugit point de vivres; ils n'avaient eu pou forces pendant cette rude marche que c de chocolat dont Lefaucheur s'était s tionné. Il leur fallut donc, à tout ha avant. Enfin, ils avaient été à la foi prudents que, sauf une blessure légèr les deux diables et leur chef se trou d'une course folle, sains et saufs au compagnons enthousiasmés. Les faux rent aussi au camp, et Dieu sait avec accueillit le récit de leur comique odyssée.

D'Aiglemont reçut Charles France à apprit avec joie la présence de sa be mond. Le colonel étant retenu par convinrent, le capitaine et lui, de s aller ensemble au logis de Dinnal France se chargeait d'obtenir une aud

En effet, le lendemain, Eva était d son père; de douces larmes coulaient Dinnah, et le capitaine d'artillerie ava contenir son émotion à la vue de c chante.

-Miss, dit-il enfin, le général Lee désire vivement vous voir, ainsi que le tant bien que mal préparer une voit votre porte.

Vous venez avec nous, France, r
Ma présence est inutile...

Non, monsieur, fit Dinnah en rou je tiens à vous remercier devant votre courtoisie que vous avez témoignée à désolée.

France essaya encore de se défend par céder; ils partirent tous ensemb bien recommandé Eva aux soins de la une heure après, ils se trouvaient tente en présence de Lee.

-Soyez le bienvenu, dit-il au colon la main. Je devrais cependant vous g folie de votre part d'avoir été vous griffes de l'ours du Nord! Enfin, vous Miss, je vous salue; vous êtes une bra fant, et votre père et vos frères ont droi

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Notre cavalerie a soigneusement sondé le bois près duquel a été trouvé l'enfant. La bande des esclaves n'y était plus. Dans le fourré, on a découvert le cadavre d'un nègre tué d'un coup de revolver tiré de si près, que la chemise du mort était brûlée. Il n'a pas dù souffrir, car la balle lui a traversé le cœur. Aucune goutte de sang, notez ceci, je vous prie, colonel, ne souillait le lieu de la scène. Près du cadavre, on a trouvé suspendu à une branche un lambeau de soie, et aux pieds du nègre un petit revolver à quatre coups, dont un canon était déchargé. Il est donc probable que nous avons l'arme qui a tué le nègre. Cette arme est un vrai joujou de dame; la voici.

En disant ces mots, Lee mit la main dans le coffret et en retira un revolver damasquiné en or avec un art charmant.

Connaissez-vous ceci, mon cher colonel?

A la vue du joujou meurtrier, d'Aiglemont avait laissé échapper une espèce de gémissement; il répondit:

Ce revolver a appartenu à ma femme. Tenez, général, voyez là, sur la crosse; voilà son chiffre.

Je l'avais vu, colonel. A présent, voici le morceau de soie dont je vous ai parlé; il est noir. Mme d'Aiglemont avait-elle l'habitude de porter des vêtements de cette couleur ?

Rarement; mais, pour voyager, elle a bien pu adopter un costume qui devait moins attirer les regards.

Pardon, général, reprit Dinnah; il y a six mois, une lettre de Mary m'est parvenue; ma sœur m'annonçait qu'elle avait reçu une caisse de robes de Paris; elle me faisait tristement le détail des robes qu'elle contenait; parmi elles, il s'en trouvait une noire. « C'est la couleur, me disait-elle, qui convient à mon veuvage. »

-Nous voilà renseignés. Que concluez-vous, colonel, de tous ces indices?

D'Aiglemont réfléchit un instant :

-

Je pense, dit-il enfin, que, lors de l'attaque de la voiture qui la portait, et pendant le massacre de Nana et du vieux Saturne, Mary aura été saisie et emportée par les nègres fuyant Hunter et ses cavaliers, et que, se sentant perdue, Mary se sera servie de ce petit revolver.

Ce sont les conclusions auxquelles je suis arrivé, fit Lee, et j'ai la conviction que Mme d'Aiglemont n'a pas péri. Est-elle retombée au pouvoir des nègres? Je ne le crois pas; l'arrivée de la cavalerie fédérale a dû les jeter dans une peur trop grande pour leur laisser le tes de penser à leur prisonnière; ils étaient, d'ailleurs, déjà assez embarrassés du produit de leur vol. Donc, Mme d'Aiglemont a échappé à ce péril; son corps n'a point été découvert, et notez, colonel, comme je vous l'ai fait remarquer, qu'à côté du cadavre du nègre on n'a pas trouvé une goutte de sang; le misérable, avant

d'expirer, n'a pas eu la force de frapper sa victime ; il est tombé foudroyé. Tout ceci, chère demoiselle, doit remplir votre cœur d'espérance et vous porter à remercier la protection divine. Il faut donc se mettre à faire d'actives recherches, des recherches très-actives, car nous sommes à la veille des plus graves événements. Bon courage et bonne chance! Colonel, mettez quelques-uns de vos diables en campagne; ce sont de fins chercheurs de piste. Prenez ce précieux revolver et ce pauvre morceau d'étoffe. Adieu, mademoiselle Hunter; je suis heureux d'avoir fait votre connaissance; mais j'aurais voulu que ce plaisir me vînt dans des temps plus heureux, à Arlington-House, par exemple.

En pronençant le nom de sa bien-aimée demeure, la voix de Lee s'altéra un peu, et il ajouta d'un ton profondément triste :

-Oh! la guerre ! l'affreuse guerre !... Que le Seigneur vous garde tous, et excusez-moi de vous congédier si vite; j'ai tant à faire ! Essuyez vos beaux yeux, mademoiselle Hunter; embrassez pour moi la petite Eva, et ne m'oubliez pas dans vos prières; j'ai grandement besoin de l'assistance divine. Quand vous aurez retrouvé Mme d'Aiglemont, apprenez-le-moi, colonel; j'en serai vraiment réjoui... Encore adieu. Monsieur France, autant que le permettra votre service, mettezvous à la disposition de Mile Hunter; je vous en serai reconnaissant, et souvenez-vous que Dieu bénit les bons.

Ainsi finit cette audience; Dinnah sortit l'âme remplie de reconnaissance et d'admiration pour ce qu'il y avait de tendre dans le cœur du général. Bien des jours après, elle le revoyait tel qu'elle l'avait vu à cette heure-là: avec ses cheveux blancs, sa figure calme, sa taille un peu voûtée, sa longue capote grise sans aucun ornement, et ne portant pas même une épée, ayant enfin beaucoup plus l'air d'un studieux philosophe que d'un glorieux chef d'armée.

Lee l'avait dit avec raison, de graves événements approchaient. C'était le 28 mars qu'avait eu lieu l'audience accordée à Dinnah; le 29, le général des confédérés apprit que Grant, rejoint par Sheridan, ayant résolu une attaque contre l'extrémité de l'aile droite, dirigeait de ce côté des masses énormes. Il voulait, tournant la route du Chêne blanc (White Oak Rood), s'emparer du chemin de fer du Sud, dont depuis si longtemps il désirait se rendre maître. Grant, pour quelques heures au moins, avait espéré dérober son mouvement à Lee, mais celui-ci le devina. Le chef des confédérés se trouvait dans une position étrangement difficile: son armée ne suffisait pas à couvrir soixantequatre milles de lignes qu'il devait garder depuis le nord de Richmond jusqu'au sud de Petersburg. Déplacer un seul homme sur ce vaste échiquier offrait un grand péril, et, d'un autre côté, ne pas arrêter Grant dans son mouvement perdait tout. Lee résolut de payer d'audace: sans affaiblir son aile gauche, de frapper un grand coup sur sa droite avec les corps qu'il pouvait réunir. Massant sous sa main le plus de monde possible, ne laissant à Gordon que sept mille hommes pour garder quatorze kilomètres d'ouvrages, il se trouva à la tête de dix-sept mille fantassins et de deux mille cavaliers sous les ordres de Fitz Lee. Mais quels fantassins et quels cavaliers! des fantômes d'hommes, des ombres de chevaux. Ces dispositions lui prirent quelques heures; heureusement un temps.

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