Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

LECTURES DU SOIR.

Je me doute à qui je dois les remettre; il y a près de votre porte deux méchants cordonniers, c'est à eux, sans doute, qu'il faut les rendre. Au revoir, d'Aiglemont!

Ces mots échangés, Moritz remit les bottes à un cavalier en lui ordonnant de remplir la commission dont il s'était chargé avec assez de répugnance, il faut l'avouer. Tournant la tête, il vit les deux cordonniers le saluer avec force signes de remercîments, en sortant de l'abri en mottes de terre qu'ils s'étaient créé.

Le soir venu, le colonel abandonna sa hutte à Dinnah, à Mme Bloch et à Eva, fraîche et souriante comme un bouton de rose, et alla demander l'hospitalité à un officier de son régiment. Mais, avant de se coucher, il se promena assez longtemps à travers les tentes. Les soldats qui l'apercevaient se disaient : « Notre colonel veille.» Le pauvre homme! à cette heure, il n'était point tout entier à son devoir militaire; il songeait à Mary, à la recherche de laquelle il avait envoyé Jupiter, porteur de passes et de chaudes recommandations pour tous les officiers des troupes fédérales; il songeait à Dinnah, qu'il voulait faire partir avant le fatal jugement.

Pendant que Moritz se promenait ainsi, si nous allions vers la prison de d'Aiglemont, nous trouverions encore la sentinelle, avec une sévère consigne, veillant à la porte, et, autour des deux savetiers, des soldats réunis, écoutant les intarrissables récits des deux artistes en chaussures, sans s'inquiéter du bruit du canon roulant à l'aile gauche de l'armée fédérale vers Petersburg. Nous avons dit que la prison du colonel s'élevait à pic sur le bord du Chikahominy, rivière torrentueuse et assez profonde qui va se jeter dans le James-River. Le Chikahominy coulait tout le long de la face postérieure de la maisonnette où d'Aiglemont se trouvait renfermé; la sentinelle ne surveillait donc que la façade et les deux côtés latéraux, sans ouvertures, du reste, tous les deux. Le colonel s'était étendu tout habillé sur le grabat qui lui servait de lit; mais il ne dormait pas, semblant écouter les dernières rumeurs du camp et le murmure monotone de la rivière. Petit à petit, les soldats du corps de garde de la prison s'étaient retirés sous leurs tentes, tandis que les deux savetiers, pour se reposer sans doute des travaux de la journée, la pipe aux lèvres, se tenaient assis sur le bord de la berge, parlant bas et semblant surveiller le cours de l'eau.

- Arriveront-ils ? fit un d'eux.

- Si ce n'est pas pour cette nuit, ce sera pour la nuit prochaine; mais, grâce à notre paire de bottes, il est averti. Je craignais ou qu'il ne les reçût point, ou qu'il ne les visitât pas; mais c'est un malin, notre colonel!

-Tu as gardé sa réponse?

Non, pas si sot; je l'ai brûlée. Nous savons tout ce qu'il nous importe de savoir; il est prévenu, il attend.

La nuit devenait très-obscure; cependant les deux << diables» car je crois que l'on a reconnu quels étaient les deux prétendus savetiers - restaient immobiles à leur poste, les regards attachés sur l'eau. Vers

l'une ou l'autre rive que des sentinell dix minutes en dix minutes leur cri m tinelles, prenez garde à vous ! » Rien bondissantes du Chikahominy que tr bres qu'il emportait. Cependant ces tr verts de leur écorce, pour un obser avaient d'assez singulières allures; d' séparaient presque pas et filaient d'un côtoyant le grand courant au lieu d'êt traînés par lui. Quand ces bois flottant à la hauteur des deux diables, l'un d'eu assez haute, mais contenue pourtant: « Les grosses bûches s'arrêtèrent un inst le fil de l'eau, vinrent, en cahotant et ranger vers la rive aux pieds des deux d'eux, entrant dans le Chikahominy vers le bois mort, dit : « Capitaine, c'es plus bas; il y a des racines, vous pour cher. Il est averti. » Aussitôt les trois santes repartirent et allèrent se ranger de de d'Aiglemont. Arrivés là, de ces tro vrirent; en levant leur écorce, qui fai deux hommes en sortirent avec adress boîtes furent solidement amarrées à do fouillèrent dans le troisième tronc, qui personne, et, en ayant bien soin de se teni de la berge et de ne faire aucun bruit, il des scies, de fortes tarières bien graissée sans grincement. Un des diables savetie joindre, tandis que l'autre surveillait les a prison. Alors les trois ouvriers de la déliv sèrent silencieusement et, comme trois tachèrent à la hutte. Elle était, ainsi que dit, construite en gros rondins de bois su tenons et mortaises, genre de construc dans lequel les Américains excellent. glemont put entendre le travail des agi s'approcha du point attaqué; il aurait bie ses amis, mais on lui avait enlevé jusqu'à Dans l'obscurité complète où il se trouva promenait ses mains sur la paroi, et au demi-heure il sentit le fer des longues çant le bois. A travers un des trous ainsi manda tout bas :

[graphic]

Une voix étouffée lui répondit :

- C'est moi, Bagg, avec Meriton et Lef

Cela avança si bien, qu'un quart d'he colonel put serrer les mains que ses amis lu - Comment diable avez-vous fait, mes pour parvenir jusqu'ici?...

C'est moi qui ai monté l'affaire... et, q bénisse, je crois que l'invention a réussi.. Bagg.

Un coup de feu retentit à quelque distan vailleurs se couchèrent à plat ventre; le po armes, il y eut alerte; mais, au bout de qu nutes, Bagg et ses camarades entendirent demeuré en surveillance dire à haute voix, rer les hardis partisans :

Que le ciel confonde le maladroit qu

- Bonsoir, sergent!

Quelques minutes après, le trou était suffisamment agrandi pour que d'Aiglemont pût sortir en rampant; malheureusement, il heurta une grossière pierre qui tomba à grand bruit de la berge. Aussitôt la sentinelle, armant son fusil, s'avança le long d'une des parties latérales de la prison; mais elle se trouva en face du diable resté en vedette, qui se mit à geindre de toute son âme.

-Eh! que faites-vous donc par là?

Ah! vous avez bien raison, soldat, on n'y voit goutte, et je viens de faire une lourde chute.

Au large! ou je vous embroche...

C'est bon! c'est bon! je vais me coucher, aussi bien je crois que j'ai la jambe cassée.

Et il s'éloigna en boitant.

Pendant ce dialogue, le colonel avait effectué sa descente; le diable savetier les quitta; Bagg, Lefaucheur et le colonel se couchèrent chacun dans un des troncs d'arbres dont ils avaient détaché les amarres et laissèrent retomber sur eux l'écorce formant couverture. C'étaient de vraies bières flottantes, seulement elles étaient armées de deux petites rames faciles à manœuvrer sous l'eau, et le couvercle se trouvait percé de petits trous permettant à l'étrange navigateur de se guider à peu près. Les troncs ainsi lestés se mirent à descendre le courant et, une demi-heure après, ils abordaient sur la rive gauche du Chikahominy, où se trouvaient disposés de distance en distance des sentinelles et des postes nombreux de l'armée fédérale.

Les troncs d'arbres se collèrent contre une rive escarpée qui les couvrait de son ombre; alors les trois hommes, soulevant leur couvercle d'écorce, écoutèrent si aucun bruit inquiétant ne se faisait entendre. Rassurés par le silence, les fugitifs sortirent aussi doucement qu'ils le purent de leurs bières et prirent les armes et les munitions qu'elles (contenaient. Ils se trouvaient au pied d'un talus de trois à quatre mètres d'élévation, couronné d'un énorme buisson; ils étaient donc, de cette rive, parfaitement abrités. Mais qu'y avait-il derrière ce fouillis surplombant de ronces et d'épines? Lorsque leurs yeux furent faits à la lueur incertaine de la nuit, ils découvrirent à quelques pas d'eux un de ces sentiers que les animaux tracent en venant se désaltérer à la rivière. Du geste, toute parole pouvant être un péril, d'Aiglemont fit signe à ses compagnons de ne pas bouger, et, se mettant à plat ventre, il grimpa en rampant. Parvenu au sommet de la berge, il recula précipitamment; à cinq pas de lui se tenait une sentinelle fédérale. Le colonel revint vers ses amis leur annoncer à l'oreille sa fàcheuse découverte. Après avoir réfléchi quelques minutes, il les quitta de nouveau. Suivant cette fois une autre direction, il longea le bord de l'eau pendant une cinquantaine de pas. Arrivé près d'une touffe d'arbustes sans feuilles encore, il courba la tige de l'un d'eux et y attacha un mouchoir blanc que la branche, en se relevant, fit flotter au vent. De retour près de Bagg et de Lefaucheur, d'Aiglemont, dans le courant, repoussa du pied les trois troncs, qui bientôt disparurent, et fit signe à ses compagnons de le suivre et de l'imiter. Tous trois, le visage contre terre, remontèrent le sentier et se trouvèrent bientôt à quelques pas de la sentinelle. Ils y demeurèrent immobiles, un peu cachés par quelques branches basses.

Au bout d'une dizaine de minutes, qui leur parurent

un siècle, ils entendirent le soldat fédéral armer son fusil et murmurer:

[ocr errors]

Qu'est-ce donc que ceci? Ce n'était pas là tout à l'heure !

Il venait d'apercevoir le mouchoir. Quittant alors sa place, et l'arme prête à faire feu, il se dirigea vers l'objet qui étonnait sa vue, laissant ainsi le passage libre aux fugitifs. Ils en profitèrent rapidement, et, toujours à plat ventre, ils gagnèrent le large jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à un petit bouquet de bois, où ils se redressèrent. Çà et là brillaient des feux ennemis; on entendait le hennissement des chevaux et la voix de quelques hommes que le devoir tenait éveillés. D'Aiglemont et ses amis s'orientèrent; d'un pas rapide et ferme, ils prirent la direction de l'ouest, en ayant soin de s'écarter de la rivière, objet d'une surveillance spéciale.

Laissons-les à leur fortune; le jour commence à paraître, retournons au camp des fédéraux.

Moritz n'a pas fermé l'œil de toute la nuit, Henri est venu le rejoindre, et, en se promenant, ils cherchent par quelles paroles, trompant leur pauvre sœur, ils la décideront à partir avec Eva avant la prochaine et inévitable catastrophe. Compter sur un adoucissement de peine, ils ne le peuvent pas; Henri a imploré Grant; Grant a été inflexible. L'arrêt, dès qu'il sera rendu, recevra son exécution. Il faut donc que Dinnah s'éloigne; il leur semble que si, le jour fatal, Eva se trouvait encore au camp, le sang de son père rejaillirait jusqu'à elle. Pour comble de malheur, pas de nouvelles de Jupiter, pas de nouvelles de Mary. Les deux frères causaient tristement devant la hutte du colonel, lorsque la porte s'ouvrit; leur sœur parut, portant sur ses bras la petite Eva, qui ne l'avait pas quittée, et dont les beaux yeux riaient au soleil levant.

Moritz et Henri, s'efforçant de cacher leur désespoir, commencèrent, après l'avoir embrassée et fait fête à l'enfant, à préparer Dinnah à ce qu'ils attendaient d'elle.

Ils délibéraient ainsi, lorsqu'ils virent accourir la mère Bloch dans une agitation indescriptible, son vieux chapeau de feutre mis de travers et ses jupes attachées à la diable.

Elle gesticulait d'une façon si drôle, que Henri et Dinnah, quoi qu'ils en eussent, partirent d'un franc éclat de rire. La brave femme arriva essoufflée, haletante, et, s'asseyant sur un tronc d'arbre qui se trouvait là, elle dit :

Il est sauvé ! Je lui avais cependant fait rôtir un si beau pigeon pour son déjeuner! Je le lui portais avec une bouteille de vrai sherry, du café, de l'eau-de-vie de France; j'ouvre, j'entre, personne!

Qui s'est sauvé ? dit Moritz en tremblant. - Qui? Lui donc; le colonel... -D'Aiglemont?

Eh bien, oui, lui, le colonel d'Aiglemont... Il aurait bien pu attendre d'avoir déjeuné... Tiens, j'ai oublié mon pigeon, mon vin et mon panier... Eh bien, tant pis! Vive la joie! Le père de mademoiselle Eva est sauvé !

Sur ce, la mère Bloch, que son feutre gênait, l'envoya promener loin d'elle.

Que l'on imagine avec quelle émotion Dinnah serra la main de la vivandière. Le premier mouvement de Moritz fut celui d'un soldat.

Quel bonheur, dit-il, que mon régiment n'ait pas

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][graphic][merged small]

Ionel, c'est-à-dire à neuf heures. Or, comme l'évasion a dù avoir lieu la nuit, à neuf heures il devait déjà être loin. Quelle route a-t-il prise? Probablement la rivière. La traverser, il ne l'aura pas essayé : les sentinelles placées sur les deux rives l'auraient découvert; quant à la remonter, c'est impossible. Donc, il a dû se laisser aller au courant du Chikahominy, et qu'il ait abordé à droite ou à gauche, il est encore certainement dans nos lignes et on le reprendra. Si je pince les deux coquins qui l'ont aidé... je ne vous dis que

[merged small][ocr errors][merged small]
[merged small][ocr errors][merged small]

Moi-même, à cet égard, je ne suis pas complétement innocent... Après tout, le mal n'est pas si grand, il n'est peut-être pas irréparable, car je vous préviens que si d'Aiglemont, comme je l'espère, retombe dans mes mains, il sera immédiatement passé par les armes. Ne parlons plus de cela, c'est un bien mince événement dans le drame dont le cinquième acte se jouc. Retournez vite à votre régiment, la division dont il fait partie recevra bientôt mes ordres... Donnez-moi la

[graphic]

Les deux frères chez le général Grant. Dessin de F. Lix, gravure de Léveille. main, Moritz Hunter, et ne doutez jamais de mon estime. Ce que je dis pour vous, je le dis aussi pour Henri.

- Nous tâcherons toujours de la mériter, répondit le colonel; mais permettez-nous, avant de nous retirer, de vous adresser une prière. Notre sœur désire passer à Richmond; elle pense y trouver, mieux qu'ici, des traces de notre pauvre perdue, et, à cet effet, elle nous a chargés de solliciter de votre bienveillance les passes nécessaires.

-Je suis tout aux ordres de mademoiselle Hunter;
FÉVRIER 1876.

qu'Henri fasse dresser les pièces, je les signerai. Mais mademoiselle a-t-elle songé qu'en allant à Richmond c'est à la famine qu'elle se livre? Du reste, je ne doute pas que le général Lee ne lui vienne en aide. Adieu, messieurs.

Quelques heures après cette conversation, Dinnal, emportant son cher petit trésor, s'arrachant des bras de ses frères, pénétrait dans les lignes des confédérés.

A. GENEVAY.

(La suite à la prochaine livraison.)
QUARANTE-TROISIÈME VOLUME.

[ocr errors]

- 6

FANTAISIES SCIENTIFIQUES.

DE MONDE EN MONDE 1.

VI. LES HANNETONS ET LEUR FIL.

Si je ne me trompe, dis-je, après avoir examiné un instant en silence le cercle de lumière qui brillait sur le mur blanc, cette projection n'est autre que celle du soleil.

[ocr errors]

Ah! vous vous y reconnaissez, fit le vieillard; j'en suis aise. Eh bien! monsieur, que vous en semble?

Mon Dieu, répondis-je, si je puis vous parler franchement, je vous dirai qu'il a dû m'arriver de voir les détails de cette image avec des dimensions sinon plus considérables, au moins égales.

- Je le crois sans peine, puisque je ne vous la montre ici qu'avec une amplification de cent cinquante fois environ. Je sais ce que peuvent les instruments ordinaires. Le fameux télescope de lord Ross, par exemple, amplifie jusqu'à six mille fois les images reçues dans son immense miroir; mais, outre que les observations solaires ne sont guère le fait du télescope et restent celui des lunettes, qui sont loin d'atteindre à de pareils grossissements, remarquez que je vous offre, moi, une projection d'ensemble ce qui

[ocr errors]
[ocr errors]

n'a pas dû vous arriver souvent. Et d'ailleurs, si je vous offre cette projection d'ensemble, c'est afin que, avant d'aborder les détails, nous puissions, si cela vous agrée, raisonner sur l'ensemble.

Raisonner sur l'ensemble, répétai-je; permettez, cher monsieur... Je voudrais vous faire observer que je ne suis nullement astronome.

Eh! pardieu! ni moi non plus, je vous jure, au moins dans la rigoureuse acception du mot, répliqua le vieillard; car je ne me pique en rien des transcendances mathématiques que comporte un pareil titre. Que je fasse fi de ces hautes aptitudes, oh! non, certes; mais je n'y participe point; et pour tout ce qui touche aux questions de mécanique céleste, d'appréciation de distance, de volume, de densité, vous ne m'entendrez pas contredire aux assertions des praticiens. J'accepte, yeux fermés, leurs calculs, dont la justesse m'a été mainte et mainte fois démontrée ; j'ai foi pleine en l'énoncé de leurs formules empiriques ou spéculatives, qui me servent sans cesse de guide. Loin donc de nier leur mérite, je viens l'affirmer en rendant plus formels, plus palpables, les témoignages de maintes vérités pressenties par eux, de maintes suppositions rationnelles. Je suis, en un mot, l'œil qui, en même temps, voit et éclaire, qui fait l'évidence là où n'était que l'hypothèse...

Parfaitement, dis-je en saisissant le moment où il reprenait haleine pour enrayer le vieillard sur la voie de l'hyperbole où il semblait fort disposé à s'élancer, dès que sa découverte était mise en cause. Vous me disiez donc, ajoutai-je, qu'au cas où il m'agréerait de raisonner sur l'ensemble...

En effet, répliqua-t-il, et me voici à vos ordres. Pardon fis-je, c'est moi qui suis aux vôtres. Marchez, et je tâcherai de vous suivre.

(1) Voir, pour la première partie, la livraison précédente.

Pardon ! fit-il à son tour, ce n'est pas ainsi que je l'entendrais pour le bon ordre de nos entretiens.

-

Nos entretiens? répétai-je, pour ainsi dire à part moi, comme me demandant si dores et déjà je me trouvais engagé pour une véritable série de conférences. Oui, reprit le vieillard, il faut de l'ordre eu toute chose, et on se trouve toujours bien de l'établir en principe. Précisons. Vous désirez, vous, avoir le bénéfice des merveilleuses révélations qu'il est en mon pouvoir de vous faire, n'est-il pas vrai?

Mais... mais... oui, balbutiai-je quelque peu désorienté par le placide sans-gêne avec lequel le vieillard semblait me soumettre de droit à son entière discrétion.

- Ces révélations, continua-t-il, vous ne doutez pas que je ne sois, moi, tout disposé à vous en offrir la surprise? N'est-ce pas que vous n'en doutez nullement ? Oh! nullement, fis-je d'un ton qui devait avoir *quelque nuance d'ironie, mais que le vieillard se garda bien de remarquer, car il reprit tranquillement : Cela posé, nous devons convenir d'une manière de procéder. Convenons-en donc. Exemple: vous voulez savoir, n'est-ce pas, à quoi vous en tenir sur ce qui concerne le soleil, dont voici devant vous une projection (relativement grande ou relativement infime, car tout dépend du terme de comparaison)? Vous me dites: «Selon les données de la science actuelle, « le soleil serait conformé de telle sorte: on y remar«querait ceci, on croirait y voir cela. » Alors, moi, armé des moyens dont vous allez bientôt apprécier la puissance, je mets sous vos yeux une série de témoignages et je vous dis: Jugez, contrôlez. Cet arrangement-là n'est-il pas des plus rationnels, et n'en espérez-vous pas les meilleurs résultats ?

-Certainement, répondis-je, moins pour acquiescer sans réserve à cette façon d'arranger les choses que parce que je me trouvais en quelque sorte dominé par l'assurance de mon interlocuteur.

Très-bien! reprit-il; en ce cas, commençons. Nous avons là une projection du soleil. Parlez-moi donc du soleil.

- Que je vous parle du soleil ! répétai-je, rendu m peu à moi-même par le brusque appel à une question qui ne m'était rien moins que familière; pardon, në vous ai-je pas dit?...

Que vous n'êtes pas profondément versé dans ces matières; c'est convenu. Aussi n'attendé-je de vous que de sommaires aperçus. Au surplus, soyez tranquille; je suis là pour vous mettre, au cas échéant, sur la voie, moi qui, sans être plus astronome que vous, passe depuis un certain temps ma vie dans une fréquente communication avec les astres. Eh! tenez, vous plaît-il que je formule un questionnaire? Soit ! je questionne. Quelle est aujourd'hui l'opinion la plus commune sur la nature, la constitution de ce soleil, qui - la chose ne fait doute pour personne et ne pourrait donner lieu à aucune discussion -occupe le centre du système astral dont la terre est l'un des éléments? Voyons, dites.

« PreviousContinue »