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s'élevait rapidement; un brouillard remplissait le petit espace; la lampe, allumée, était entourée d'un halo. Avant d'entrer dans son sac de nuit, chacun doublait ses vêtements, et des odeurs insupportables s'élevaient de tous ces corps fatigués et pressés. Le pire, c'est lorsqu'un dormeur, pendant la nuit, voulait sortir; malheur alors au tibia ou au fémur qui se trouvait sous ses grosses bottes.

Le 1er novembre, nos voyageurs revinrent sur leurs pas; le soleil se couchait alors à midi; mais leur marche, ce jour-là, fut éclairée par une splendide aurore boréale, couvrant de feux bleus, rouges, verts, les plaines et les montagnes de glace. Le 4, -25 degrés; le soleil se montra à peine sur l'horizon; toute la surface des glaces était crevassée; impossible d'avancer avec le traîneau; on se résout à l'abandonner après en avoir enlevé les livres et les instruments, et voilà nos hommes franchissant les glaçons, enjambant des crevasses où nagent en hurlant des morses gigantesques. Celui qui serait tombé, en quelques secondes eût été dépecé. Enfin, après une marche forcée qui dura jusqu'à neuf heures du soir, nos amis rentrèrent sous la tente de la Germania. Deux jours après, le soleil disparaissait entièrement, les ténèbres régnaient; l'astre divin ne devait plus se montrer qu'au printemps de l'année prochaine. Alors commencèrent à se déchaîner les effroyables tempêtes. Quand elles éclataient, tout criait et gémissait autour du vaisseau. L'ouragan, à travers les glaces, faisait entendre toute sorte de bruits effrayants et lamentables; impossible de faire un pas dehors, on eût été emporté. Des doubles vêtements en laine et en peaux, un voile sur la figure; des doubles paires de gants; de grandes bottes avec bas fourrés et chaussons, ne suffisaient pas à préserver contre les morsures du froid; on se sentait geler, et il tombait une neige si épaisse que les objets, à quatre ou cinq pas, disparaissaient complétement. La membrure de la Germania, malgré le rempart de glaçons et de neiges dont on avait eu soin de l'entourer, craquait d'une manière inquiétante. Ces bouleversements de l'atmosphère duraient quelquefois quarante-huit heures sans une seule minute d'arrêt. Lorsqu'ils cessaient, il fallait, sortant de la chambre où l'on s'était tenu bien au chaud, grâce au poêle et aux lampes, s'armer de pelles, de balais, rejeter la neige qui, malgré la tente, encombrait le pont, et celle dont le poids faisait plier la tente elle-même. Alors, si la clarté de l'éternelle nuit le permettait, on voyait que tout avait pris un aspect nouveau; les icebergs étaient changés de place; il s'en était élevé où il n'en existait pas la veille, et les montagnes se découpaient dans l'air avec des formes nouvelles. Comment n'en cût-il pas été ainsi sous la pression du vent? On reconnut à l'anémomètre qu'il courait quelquefois avec une vitesse de quatre-vingts kilomètres à l'heure.

Cependant, la santé de l'équipage se maintenait bonne. Chacun travaillait; on réparait les traîneaux ; on faisait des bancs, des tables; on taillait et cousait des vêtements; on réparait tout ce qui était à réparer, et le docteur Pausch publiait un journal, le Moniteur groënlandais, dont le premier numéro parut le 1er décembre. De temps en temps on tuait un ours affamé qui avait eu l'imprudence de venir rôder autour de la Germania. Le moral de l'équipage se soutenait dans un état excellent, et l'union la plus parfaite, sans que la discipline en fût altérée, régnait dans ce petit monde.

De temps à autre, de magnifiques aurores boréales éclairaient les solitudes glacées; mais habituellement les ténèbres les enveloppaient comme un suaire, et rien ne saurait rendre l'impression que causaient aux âmes une absence complète de bruit et un silence qui ne réveillait que des idées de mort.

La petite colonie de l'ile Sabine vivait ainsi : le 10 janvier, par un froid de - 30 degrés, elle put constater un léger crépuscule. Le soleil, enfin ! allait done reparaître. Cet espoir mit la joie dans le cœur de tous, et, grâce à elle, tout le monde était disposé à rire des petits malheurs qui advenaient. Cependant ce ne fut pas d'une si allègre façon que le matelot Kleutzer prit une aventure qui lui arriva.

Le 13 janvier, l'équipage travaillait à terre, l'idée vint au matelot d'aller philosopher sur le haut d'une petite montagne et de contempler le paysage. Le voilà donc là-haut, assis sur la glace, et en joyeux compagnon il entonne une chanson. Tout à coup il tourne la tête... à quatre pas de lui un ours énorme. Quelle peur ! étant sans armes, il eut l'idée de se laisser couler de haut en bas, du côté où le rocher était à pic. Mais, comme dans sa chute il se serait inévitablement brisé, il résolut de prendre, coûte que coûte, un meilleur chemin. Il détale donc en regardant en arrière; l'ours le suit; il court, l'ours court; il s'arrête, l'ours s'arrête ; il marche lentement, l'autre en fait autant. Ils parcoururent ainsi un assez long espace. Mais, le jeu semblant ennuyer l'animal, il hâte son pas, et il est sur les talons du fuyard, qui pousse un cri terrible. Martin n'avait jamais sans doute entendu la voix humaine; étonné, il suspend sa marche; Kleutzer court de plus bel, mais l'animal revenu de sa surprise l'a bientôt rejoint. Le matelot, qui a quitté sa jaquette, la lui jette à la tête; il la flaire, la déchire; Kleutzer gagne du terrain, mais au petit trot Martin blanc le rattrape; Kleutzer lui lance, l'un après l'autre, sa casquette, son châle, son gilet; c'est fini, il n'a plus rien à lui jeter, il sent sur ses mains la froide haleine du monstre, et il n'a pas même un couteau. Heureusement le marin était trèsbrave; il s'arrête, se retourne, et plonge son regard dans les petits yeux du monstre. Lui aussi s'est arrêté, ses paupières clignotent, il hésite, il balance sa lourde tête de droite à gauche, de gauche à droite, puis il tourne le dos, et part à belles jambes... Avait-il entendu les hommes de l'équipage qui accouraient? Quoi qu'il en soit, Kleutzer jura bien qu'on ne le reprendrait plus à aller se promener sans son fusil.

Enfin les savants avaient annoncé que le lever du soleil aurait lieu le 3 février, que ce jour-là, à midi, apparaîtrait une faible portion de son disque sur l'horizon. Quelle attente! quelle joie lorsqu'un point rougeâtre parut, illuminant un peu les neiges! Ah! c'est au Groënland que l'on comprend comment en d'autres pays on a élevé des autels à l'astre divin! Oh! sans doute, il a été l'objet du culte de la race des Esquimaux. Quoique l'apparition du soleil eût été bien courte, elle suffit à raviver le courage des matelots, et par un froid de 30 degrés ils rêvaient explorations prochaines, chasses et printemps.

Les jours grandissent très-vite à mi-février, on voyait clair à cinq heures du matin; mais la température s'était encore abaissée, le thermomètre marquait degrés.

32

Le 6 mars, le docteur Bærgen faillit, à son tour, être dévoré par un ours, à cinquante pas de la Germania;

des coups de fusil mirent le monstre en fuite, mais dans quel état le docteur fut relevé! Traîné très-loin, il avait le crâne dénudé et le corps couvert de blessures; par un bonheur singulier, elles ne le firent pas souffrir, et il put très-vite reprendre ses travaux.

Le traîneau est prêt, en route; mais, avant de partir, il faut s'habiller, et ce n'est point petite affaire, jugez-en : « Deux chemises de laine, avec une ceinture de peau, le poil tourné en dedans; cousu sur la chemise de dessous, un épais pantalon, fourré à l'endroit de l'abdomen; trois paires de bas bien chauds; un paletot imperméable de veau marin les poils en dehors, et qui, par surcroît de précaution contre le vent et le froid, n'a pas d'ouverture par devant et se revêt par le haut; un premier bonnet de tricot prenant bien la tête, pourvu d'un masque de flanelle avec de petits trous pour les yeux, défendus par des conserves, la bouche et le nez; par-dessus un autre grand bonnet fourré; une paire de gants en tricot de laine, puis par-dessus d'énormes gants fourrés; des bottes de toile à voile, enfin un châle... »

De tous les côtés de grandes poches suspendues, le fusil à l'épaule; voilà le costume commode et léger avec lequel il faut marcher à travers neiges et glaces, en faisant avancer un lourd traîneau.

C'est dans cet équipage que furent explorés la pres qu'ile Hochstetter, le cap Oswald-Heer, le promontoire d'Haystack, un groupe d'îles inconnues que l'on appela les iles Koldeway. Chaque jour on bataillait avec les ours affamés, et l'un d'eux poussa l'audace jusqu'à entrer, en la renversant à demi, dans la tente des explorateurs; cette hardiesse lui coûta la vie. Puis, c'étaient des tourmentes de neige qui, à plusieurs reprises, menacèrent de les ensevelir.

Enfin, le 15 avril, l'expédition atteignit un point des solitudes polaires, par 77°1' de latitude nord et 18°50′ de longitude, que jamais le pied de l'homme n'avait foulé; ils y élevèrent un cairn et reprirent le chemin de la Germania, où ils rentrèrent après une absence de trente-trois jours.

En mai, une autre caravane se mit en route; elle visita l'île Kühn, dont elle dressa le plan géographique. Le même travail fut fait à l'ile du Petit-Pendule. On parcourut toute la côte ouest du détroit de Clavering, on gravit les glaciers du Hunenberg, du Ruthner. Le dégel à mi-mai se faisait déjà sentir; en juin, la glace commençait à se disloquer. On sentait que la Germania se dégageait et se posait plus librement sur l'eau. On la visite soigneusement, on répare ses avaries, le pont est dégagé, la mâture rétablie; enfin, le navire peut se mouvoir, et, tout paré, aspire à la mer libre. On veut tenter une vigoureuse pointe vers le nord. Malheureusement, après quelques tours de roues, il fut douloureux de constater que la machine à vapeur rendrait peu de service, et cependant on en avait un impérieux besoin, la chaudière étant plus que fatiguée. Tout ce que l'on put faire fut d'aller jusqu'à l'ile Jackson. Pousser au nord, avec le champ de glace qui se montrait encore, était s'exposer à un second hivernage, et les provisions qui restaient ne le permettaient pas; la Germania, mettant donc le cap au sud, revint à l'île Sabine, et le 2 août quitta définitivement le petit_port où elle avait passé un si rude hiver : « Ce ne fut pas, disent les voyageurs dans leur journal, sans une certaine émotion que nous dimes adieu à la baie qui nous avait offert un refuge si hospitalier. Chaque quartier

de roche de cette côte, qui allait disparaître pour toujours à nos regards, ne nous était-il pas familier? n'avait-il pas reçu la confidence de nos joies et de nos tristesses? >>

La Germania descendit lentement vers le sud, étudiant tout ce qu'elle pouvait étudier, la flore renaissante, mais très-pauvre, de cette partie du Groënland, ses roches, sa faune, et cherchant inutilement à rencontrer quelques familles d'Esquimaux, race à peu près disparue; on ne trouva, de loin en loin, que quelques vestiges de leurs anciennes demeures et des tombes contenant de vieux ossements.

Après avoir doublé les cimes abruptes du cap BroerRuys, la Germania rencontra une énorme quantité de glaces qui, soudées entre elles et à la côte, l'investissaient jusqu'à l'ile Bentekoe. Le temps était magnifique; à midi, le thermomètre s'élevait jusqu'à 12 degrés au-dessus de zéro. Le capitaine résolut de mettre à l'eau la chaloupe pour une excursion de huit jours, afin de visiter la baie de Mackenzie. Les vallées, les montagnes en vue étaient couvertes de verdure; d'innombrables troupeaux de rennes et de bœufs musqués paissaient paisiblement; le spectacle était charmant, mais nos navigateurs l'eussent bien mieux apprécié, sans des milliards de moustiques qui bourdonnaient autour d'eux.

Certainement nos hommes n'avaient pas l'épiderme fort délicat, cependant les maudites bestioles les piquaient tant et si bien, qu'elles leur infligeaient un véritable supplice.

La chaloupe, en serrant la côte, parvint à se frayer un passage à travers les icebergs vers le cap Franklin. Les explorateurs reconnurent qu'ils se trouvaient en présence d'un fiord immense resté jusqu'alors inconnu. Mais, pour y pénétrer, il fallait trainer la chaloupe sur un large barrage de glaces; aussi, avant de se livrer à ce pénible travail, ils résolurent de grimper sur une hauteur, pour se rendre compte du prix qu'ils pouvaient retirer de leurs fatigues. Le spectacle qui s'offrit à leurs yeux était admirable : « le regard plongeait dans le cœur même du monde groënlandais ». Autour d'un fiord grand comme un bras de mer s'étendaient des paysages alpestres de toute beauté; malheureusement il était impossible de les visiter avec une barque et il ne fallait pas penser à rompre avec la Germania la barrière de glaces qui défendait l'entrée du fiord.

Très-fatigués de leur ascension, nos marins se reposaient en sommeillant, lorsque tout à coup la voix du docteur Copeland les réveille : « Hourra! debout tout le monde! la glace est rompue! Vite à la Germania! » Bientôt l'expédition rejoint le vaisseau, qui, quelques heures après, franchissait la passe du fiord FrançoisJoseph. Deux bras de mer se présentent, nos marins prennent celui qui s'infléchit au sud. « Quel panorama merveilleux! quelles cimes sourcilleuses et sauvages de quinze à deux mille cinq cents mètres d'altitude!... Un colosse de rochers se dressc comme une citadelle dans les eaux du détroit... Les saillies de ses bords, en forme de balcons et de tourelles, le font ressembler à une forteresse en ruine; on lui donne le nom de chateau du Diable. »

Ravis de la beauté du spectacle qui s'offre à eux nuit et jour, les navigateurs restent sur le pont, contemplant les roches, les glaciers, la verdure; les ruisseaux tombant en hautes cascades; tableaux mouvants d'une

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Les fidèles quittaient à peine l'église, après complies, quand Fitz Maynarde entrait à l'auberge de la Reine de Saba. Arrivé sur le seuil de la porte, il recula.

Le lieu était hideux, certes. La salle basse, enfumée, mal éclairée par un feu de fagots et des torches de résine fixées au mur, repoussait tout d'abord par l'odeur 'nauséabonde qui s'en exhalait. Autour des tables aux ais boiteux se groupaient des hommes aux regards louches et sinistres, portant le chapeau rabattu sur les yeux, vêtus d'habits disparates et flétris et traînant de lourdes rapières à leur côté. De leurs mains, les dés tombaient et retombaient sans cesse, et chaque coup s'accompagnait d'un juron ou d'un blasphème. D'autres buveurs, moins farouches, mais abrutis par l'ivresse, voyaient d'un air hébété le vin et la cervoise couler à flots des gobelets et des brocs renversés par

(1) Voir, pour la première partie, la livraison précédente. NOVEMBRE 1876.

des joueurs indoients ou maltraités de la fortune. Des voix hurlantes et rauques, réclamant à grands cris des gâteaux et des pâtes sèches pour tremper dans le malvoisie et l'hypocras, se mêlaient au grincement discordant des violes et des rebecs criant sous les doigts de musiciens étranges, au teint jaune, aux membres à moitié nus sous leurs haillons malpropres.

vanté.

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Et Londres meurt de faim! pensa Maynarde épou

Sur ma foi, jeune ami, vous êtes bel et bien à l'heure, dit une voix qui fit tressaillir Fitz.

Il se retourna, Oliver Thornhill était devant lui. Son air grave et recueilli avait fait place à une expression de gaieté grossière qui surprit le jeune homme.

- Eh mais, avant de parler affaires, il nous faut prendre des forces, continua l'écuyer; seyons-nous à cette table et réjouissons-nous. Holà! maître hôtelier, holà! Des dattes, des pains de gingembre et deux cou43-QUARANTE-TROISIÈME VOLUME.

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