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nous avons la douleur d'annoncer la mort de celle qui, pendant de longues années, avait été sa compagne. Elle eut sur la vie de l'écrivain une action utile et bienfaisante: elle lui créa des jours heureux et tranquilles; devenue sa garde, elle l'entoura des soins les plus tendres et les plus dévoués. Morte sans enfants, Mme Janin a légué une partie de sa fortune à la ville d'Evreux, institué, dit-on, une bourse au collége de Saint-Etienne, où son mari avait été élevé; et, comme il l'avait ordonné, la très-précieuse bibliothèque du critique devient la propriété de l'Institut. Ainsi s'éteignent les familles, ainsi se déplacent les fortunes lentement amassées.

Comme, au commencement de cette causerie, je me suis plaint du ciel chauffé à blanc, il est juste que j'annonce l'arrivée du tonnerre et de la pluie. Qu'ils soient les bienvenus. Il paraît, à en croire un ami, que je n'avais pas le droit de gémir: « Qu'aurais-tu donc fait, malheureux, m'a-t-il dit, si tu avais vécu en 640, où la température fut si haute, qu'en Espagne, en France, en Angleterre, les hommes tombaient comme des mouches, et que les cadavres, en quelques heures, devenaient secs comme des momies? En 850, la terre, desséchée, ne donna aucune moisson. En 987, même soleil de feu; il fut si violent, que les champs, restés sans produire, causèrent une famine qui dura quatre années. Qu'aurais-tu dit, pleurard, si tu avais vécu en 1010, 1011, où l'on crut à la fin du monde, ou dans les terribles années 1034, 1059, 1171, 1214, 1293, 1446 et 1471?

« En 1719, Paris fut complétement privé d'eau. Au

mois de septembre, le cardinal Dubois, de triste mémoire, alors premier ministre, mit en réquisition toutes les voitures pour aller chercher de l'eau à une grande distance. Une mesure d'eau de vingt-cinq litres se vendait dix livres aux préposés chargés de la distribuer, et ils la revendaient trente, les honnêtes coquins.

« La journée la plus chaude constatée à l'observatoire de Paris depuis qu'il existe, a été celle du 26 août 1765; le thermomètre, au nord et à l'ombre, marqua 40 degrés centigrades; le 6 juillet 1793, 38°,4, et, le 9 juillet 1874, même température. >>

Eh bien! il me semble que nous n'avons pas été si loin de ces dernières chaleurs, et que leur continuité a été bien autre, puisqu'elles ont duré quinze jours.

En tout cas, le ciel devient plus clément; je m'en félicite et j'en félicite les chasseurs, qui préparent leurs fusils. En qualité de disciple de saint Hubert, je me permettrai de leur donner certains conseils de prudence:

Ne chargez jamais votre fusil dans la maison, et n'y rentrez jamais avec votre arme chargée.

Si vous avez un fusil à baguette, ne rechargez pas en marchant; et, si vous n'avez déchargé qu'un coup, ne le rechargez pas sans abattre le chien de l'autre.

Ne permettez pas à votre chien de se dresser sur ses pattes pour vous caresser. Ne levez jamais votre fusil en le prenant par le bout des canons. Ne tirez jamais au juger sous bois ou à travers des haies. A présent, visez droit et bonne chance!

LE SALON DE 1876.

A. DE VILLENEUVE. Le directeur gérant: CH. WALLUT.

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Après une longue absence, d'après le tableau de Leon y Escosoura. Dessin de Gilbert.

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les Aventures de quatre femmes et d'un perroquet, le Roman d'une femme, Diane de Lys, la Dame aux perles, Trois Hommes forts, le Régent Mustel, le Docteur Servans, etc., etc. Qui se souvient aujourd'hui de ces œuvres, qu'on pourrait appeler la suite des Péchés de jeunesse? Il faut en aller demander les noms à M. Vapereau, et M. Dumas a tant d'esprit, que certes luimême les a, le premier, oubliés. Un seul livre de cette époque, la Dame aux camélias, a survécu à ces multiples naufrages, non que ses mérites extraordinaires lui donnent des droits à l'immortalité, mais parce qu'il marque le point précis où A. Dumas, s'apercevant qu'il s'attarde dans les sentiers battus, va découvrir une voie nouvelle qui lui réserve d'éclatants succès.

Un nom illustre est un héritage difficile à porter. Cette vérité trouve une nouvelle confirmation dans la dynastie des Dumas. Jusqu'à la Dame aux camélias, le futur auteur de l'Étrangère est le fils de son père. A partir de la Dame aux camélias, il est lui-même. Et, par la Dame aux camélias, nous entendons non pas le roman, mais le drame tiré du roman. Interdit par A. Léon Faucher, autorisé par M. le comte de Morny, ce drame fut un événement en cette année 1852, où l'attention n'était cependant pas aux choses littéraires. Cette fois, M. Dumas s'affirmait et prenait possession du théâtre par voie de conquête. Le théâtre, en effet, est le véritable domaine du jeune maître. Il en connaît tous les secrets, il en possède toutes les ressources; la langue est châtiée, correcte; le style est clair, net, incisif; il dit bien ce qu'il veut dire, ni trop ni trop peu. Avec cela un esprit toujours jeune, toujours vif.

A la Dame aux camélias succèdent, presque sang interruption, Diane de Lys (1853), le Demi-Monde (1855), la Question d'argent (1857), le Fils naturel (1858), le Père prodigue (1859). De toutes ces œuvres, le DemiMonde est incontestablement la plus remarquable. Dans le Demi-Monde, M. Alex. Dumas se meut en un milieu qui lui est familier, et sa plume en retrace un tableau d'une vérité saisissante dans sa brutalité. Nous retrouvons les mêmes qualités dans Diane de Lys et les autres comédies qui suivent le Demi-Monde, à cette différence près que, ici, Alex. Dumas s'est aventuré dans des contrées qu'il n'a aperçues que de loin; et, comme les géographes qui décrivent l'Afrique et l'Amérique de leur cabinet, il s'expose à de nombreuses erreurs de détails, qui nuisent singulièrement à l'ensemble. Quoi qu'il en soit, toute cette partie du théâtre d'Alex. Dumas appartient à une première manière, dans laquelle la passion et l'étude des caractères jouent les principaux rôles, nous pourrions dire les seuls rôles.

Avec les Idées de madame Aubray et l'Ami des femmes vont commencer les thèses philosophiques et morales (morales selon M. A. Dumas), qui deviendront plus tard des thèses religieuses dans la Femme de Claude.

La Visite de noces, la Princesse Georges, Monsieur Alphonse, l'Etrangère rangent définitivement Alex. Dumas dans la classe des sermonneurs in partibus infidelium. Qu'il y prenne garde, là est l'écueil. Au début, on a applaudi aux ingénieuses théories des « pêches à quinze sous »; on murmure aujourd'hui à celle du << vibrion »>.

Ce ne serait encore que demi-mal, si les théories auxquelles nous faisons allusion étaient acceptables; mais, si grande que soit notre bonne volonté, il nous est bien difficile de les prendre au sérieux. M. Alex. Du

mas lui-même ne s'aperçoit pas qu'il se donne presque chaque jour un démenti continuel. La Dame aux camélias, les Idées de madame Aubray, c'est le dogme du pardon; l'Affaire Clémenceau, la Femme de Claude, c'est le châtiment implacable. On se souvient de l'amusant tournoi qui eut lieu, à l'occasion de cette dernière pièce, entre M. Dumas et un publiciste célèbre, M. E. de Girardin, qui avait été son collaborateur dans le Supplice d'une femme. Etant donné le cas de Mme Claude, qui trompe indignement M. Claude et comme mari et comme inventeur d'un fusil mécanique sur lequel repose l'espoir de la revanche : « Tue-la! » s'écriait M. Dumas; « Ne la tue pas ! » s'écriait M. de Girardin, et la galerie étonnée, un peu gouailleuse, jugeait en souriant les coups que se portaient ces vigoureux champions. Mais, qu'est-ce que le théâtre avait à voir dans cette querelle?

Donc, le tort de M. Alex. Dumas est de croire que cela est arrivé! Je sais bien que plusieurs critiques refusent à l'auteur de l'Etrangère le bénéfice de cette étrange naïveté, et n'y voient, au contraire, qu'un spiritue. paradoxe et un souverain mépris de la bêtise humainel Nous estimons que ces critiques ont tort et que M. Alex. Dumas est de la meilleure foi du monde. Sa confiance absolue en lui-même suffit à expliquer cette bonne foi. Romancier, auteur dramatique, moraliste, aucun sujet ne lui est étranger. Un jour, il publiera, sous un pseudonyme transparent, des lettres sur la politique; un autre jour, il correspondra avec les prélats de France, et daignera leur expliquer les dogmes de la religion. Le tout très-sérieusement et sans se douter qu'il prête à rire.

Mais M. Alex. Dumas connaît trop bien les lois du théâtre pour ne pas comprendre que l'art dramatique vit avant tout d'action, et que si, de temps à autre, une digression philosophique est permise, il y aurait péril à en abuser. De là, une espèce de prudence relative. En revanche, dans les préfaces qu'il a écrites en tête de chacune de ses pièces, il se donne libre carrière. C'est là que fleurissent les théories les plus surprenantes, celles, par exemple, de l'origine des femmes perverses sortant de la guenon de Nod, de l'infériorité de la femme vis-à-vis de l'homme, théories qui étaient déjà en germe dans l'Ami des femmes, dans la Femme de Claude, et qui arrivent dans ses préfaces à leur entier épanouissement.

Il ne nous appartient pas ici, moins qu'ailleurs, de discuter ces systèmes qui touchent parfois au mysticisme et à l'hallucination Il nous a suffi de les exposer. Quelqu'un a dit de M. Dumas un mot qui le résume assez exactement : « Il s'est avisé sur le tard de faire son catéchisme, on ne sait trop à quelle paroisse; et c'est un grand malheur qu'il n'ait jamais fait sa philosophie. >>

Pour finir, empruntons à M. Ch. Bigot la conclusion de la remarquable étude qu'il a publiée sur M. Alex. Dumas dans la Revue politique et littéraire. «M. Dumas avait reçu en partage de la nature d'admirables facultés d'auteur dramatique; quelles œuvres il eût produites, sans égales peut-être dans notre siècle, si une autre destinée eût été la sienne, si une forte et puissante raison lui eût été donnée aussi pour assurer l'équilibre de son intelligence, pour diriger ses conceptions, pour lui faire voir de plus haut l'humanité ! »

CH. RAYMOND.

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LES RÉCITS DE LA MER.

LA MAIN DANS LA MAIN.

FLEUR-DE-MISÈRE '.

- Bas les boute-feu et amarrez les canons! commanda Du Bocage, à la grande surprise de la plupart de ses gens, car c'était leur annoncer qu'on ne ferait aucun usage de l'artillerie. Par escouades, vivement; que chacun aille prendre dans son sac ce qu'il a de plus précieux!... Et ne nous chargeons pas comme des mulets!...

Grand déménagement! fit maître Talabardon sans daigner bouger de son poste.

Ne pouvant sauver ses instruments ni ses livres, le lieutenant Noël ne descendit pas non plus.

Mais Loubet se précipita dans l'entre-pont, retira de son sac un grand plastron qu'il plaça sur sa poitrine, et revint auprès de sa matelote trop aimée.

A mesure qu'on approchait du haut-bord, excellent voilier, et comme tel choisi pour faire office d'éclaireur, Du Bocage continuait à donner ses ordres à demivoix :

Calfats, courez ouvrir en grand tous les robinets de la cale!... Charpentiers, -quatre grands trous audessous de la flottaison! Sabordez lestement et remontez!... Tout le monde à plat le long des bastingages de tribord!

Puis, saisissant lui-même la roue du gouvernail : Sur votre vie, gardez-vous, quand nous l'aurons pris, d'amener son pavillon!

Un murmure approbateur, mêlé de rires étouffés, fut entendu au ras du pont.

Le grand vaisseau, de coupe espagnole, mais battant couleurs britanniques, courait droit sur la téméraire frégate, dont les intentions devinrent manifestes, puisqu'elle ne déviait pas.

Fanfarons de Français ! fit le commodore, attendant son temps pour couler d'une bordée les fous qui s'y exposaient et retourner protéger son immense convoi mixte, gardé du reste par plusieurs autres navires de guerre des puissances alliées.

A portée de pistolet, le haut-bord démasqua ses rangées de canons.

La vitesse de Du Bocage, chargé de toute la toile possible, rendait son Invincible merveilleusement manœuvrable; il gouvernait lui-même, et, au moment où la foudroyante bordée se logea dans sa flottaison, déjà fortement immergée, il aborda par la hanche de bâbord arrière, rasant la pouppe, et, restant à toucher, prolongea le côté de tribord sans le dépasser, car son navire y sombra au vu de tout le convoi, d'où s'élevèrent des acclamations, des applaudissements et surtout des rires moqueurs.

Mieux on eût fait d'y pleurer. Le vaisseau tombait au pouvoir des indomptables de l'Invincible, qui, tout en massacrant, descendirent à fond de cale, y délivrèrent plus de cent prisonniers espagnols ou français, et, les armant aussitôt, les rangèrent aux canons, pour exécuter la plus prodigieuse rafle que mentionnent les annales de la mer :

(1) Voir, pour les premières parties, les livraisons précéd.

Deux vaisseaux de guerre, trois frégates, autant de brigantins, près de cent bâtiments de transport, chargés des productions de tous les pays du monde.

Mais, hélas! cette victoire inouïe coûtait un prix inestimable.

Loubet, en couvrant de son corps sa chère Noëlle, tomba criblé de mortelles blessures, en lui tendant une main qu'elle prit, pour tomber elle-même sur son corps.

Un cri de douleur tel, que tous les combattants en tressaillirent, domina le tumulte. Talabardon vengeait formidablement sur place ses deux enfants abattus. Or, ce cri de désespoir paternel et de discipline navale était :

- Bougon!... remplace-moi!

Le lieutenant Noël et son matelot Loubet tués ensemble, se dit-on dans tout le vaisseau.

Le pont étant déblayé et les batteries envahies par les corsaires, dont moitié y avaient pénétré par les sabords, Talabardon prit ses deux enfants dans ses bras et les déposa dans la dunette, en appelant le barberot. Mort, celui-ci, dit l'homme de l'art, qui, trouvant le plastron sur la poitrine de Loubet, l'en retira et s'écria non sans surprise :

Son testament!... Encore vivante celle-là, dit-il presque aussitôt avec un surcroît d'étonnement qui se changea bientôt en épouvante, car Talabardon le menaçait de sa hache ensanglantée :

Sois discret ou tu es mort, disait-il. Mais soignezla donc, monsieur; sauvez-la, c'est ma fille, ajouta le maître en laissant tomber son arme et se jetant à ge

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Fleur-de-misère était encore sans connaissance, lorsque Du Bocage, fier de son immense victoire, pénétra tristement dans la dunette, où il la vit pâle, échevelée, le sourire aux lèvres, les yeux clos, belle de toutes les beautés du courage et du dévouement, de la tendre pitié de l'amour, peut-être, peut-être seulement de la plus ardente amitié fraternelle.

Les deux mains n'étaient plus unies.

Loubet, pieusement enveloppé dans un lambeau de pavillon, rayonnait de sérénité dans sa mort, ardemment désirée telle qu'il venait de la conquérir.

Infortuné Noël, brave et cher enfant, dit Du Bocage avec une émotion profonde, je n'aime et n'ai jamais aimé personne autant que lui! Pour le rendre à la vie, je donnerais avec joie tous nos trophées, toute ma gloire!

-Capitaine, dit Talabardon, l'autre était un honnête cœur aussi. Mais, sans témoins, s'il vous plait, lisez-moi ces papiers, puisque j'ai le malheur, moi, de ne pas savoir lire.

Ecriture parfaite, et pas une faute d'orthographe.

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Non, pas une de ces fautes qui divertissent les niais, quand on ne devrait railleries qu'aux absurdités contradictoires de nos cruels usages grammaticaux. Il n'avait pas voulu, le loyal et timide héros, qu'on pût rire de son testament, prodige de persévérance dont il était enfin venu à bout le jour où il répondit à Noëlle : — J'en sais assez!

L'enveloppe, en parchemin à gargousses, fut ouverte; le capitaine Du Bocage lut à haute voix :

« Ceci est mon TESTAMENT, déposé, d'autre part, à Nantes, en l'étude de Me Gélain, et, à Saint-Malo, en celle de Me Tanget.

« Je lègue à mon oncle Loubet les deux champs qui proviennent de mon patrimoine; plus, pour ses soins et peines de gérant de mes autres biens, deux mille livres, et rien, absolument rien de plus.

« Pourquoi sa femme et lui ont-ils renvoyé Fleur-demisère de la maison, et finalement, du pays? Pourquoi m'avoir fait mousse pour le malheur de ma vie?

« Je lègue tout le restant de mon avoir, présent et à venir, mon matelot, mon officier, ma sœur et mon amour, Noëlle Jagut, dite Fleur-de-misère, puis Colibri, présentement lieutenant Noël. »

- Oui, capitaine, dit maitre Talabardon, répondant au silence de Du Bocage, c'est ma fille!...

« J'ai bien vu de suite que son goût allait aux officiers distingués, instruits, supérieurs par le talent et le savoir, mais non par le courage et le sentiment, à de pauvres têtes dures de matelot comme moi.

sa manière

« Je l'ai senti, dès le commencement, de parler de M. René Duguay-Trouin, son parrain pour le nom de Colibri. Je l'ai senti bien davantage, dans ces derniers temps, quand elle s'est faite la garde-malade de notre capitaine Du Bocage.

« Pour lors, n'étant pas capable de devenir jamais un officier digne, comine eux, de l'épouser en tout honneur, je me suis dit : « Je mourrai pour elle, et elle « sera libre de son choix, » car j'ai idée qu'avec son bon cœur elle a deviné ma peine et ne se marie pas rapport à moi. >>

Ici des larmes jaillirent non-seulement des yeux de maître Talabardon, mais de ceux de Du Bocage, qui, lui serrant la main, dit avec trouble.

Qu'elle ne sache jamais que j'ai lu ceci! Je le recachèterai. Tu le lui feras lire à elle, quand Dieu nous la rendra.

Merci, capitaine; vous êtes honnête autant que brave.. Achevez; voyons!

« Si, par malheur, poursuivait le testament, elle aussi mourait au même combat, pour m'épouser en âme dans le ciel, je lègue tout à maître Talabardon, son second père.

« Et enfin, si maître Talabardon s'était fait tuer aussi, Je veux que maisons, champs et le reste soient vendus, par les soins de mes deux notaires, pour être distribués à vieux matelots, pécheurs, invalides de la mer, orphelins et surtout ORPHELINES de marins, moitié à Saint-Malo, moitié à Nantes, avec une grosse belle part de vingt sur cent au moins prélevée en faveur de maître Clément (du Croisic) dit Bougon, et de sa sœur Mazine, au cas où ils en auraient besoin ou seulement fantaisie.

« Signé,

Auguste LOUBET, »>

-Capitaine, demanda Talabardon, permission, s'il vous plaît, de le faire enterrer chez nous.

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En rade de Rio de Janeiro, le maître d'équipage du vaisseau amiral le Lys, Clément, du Croisic, jadis surnommé Bougon et désormais le modèle des subordonnés du grand Duguay-Trouin, disait à quelques Malouins ou Cancalais ses fidèles :

Non! cent mille fois non! sur ma part de paradis ce n'est pas moi qui donnerai jamais l'ombre d'un tort à notre grande corsairienne chérie Noëlle Jagut, de son vivant le meilleur cœur de matelot, la meilleure tête de capitaine, la plus sage et la plus droite créature qu'on ait vue sur la mer jolie. Non! foi de matelot, que Dieu m'en garde !... C'est elle pourtant, c'est bien elle l'auteur de quasiment toutes nos pertes en braves soldats et matelots.

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Pardonnerez, maître Clément; mais comment ça se pourrait-il, puisqu'elle a péri corps et biens au sud de la Jamaïque, voici sept à huit ans, comme nous le

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Du Bocage, c'est clair.

Eh bien! après nos grands combats en dehors de Lisbonne, quand, à la fin des fins, Fleur-de-misèro fut rétablie de ses terribles blessures, il s'en vient lui dire la main sur le cœur : « Lieutenant Noël, ma vaillante demoiselle, je vous aime de toute mon âme, et vous demande de consentir à m'épouser, pour être mon feu (1), mon compas (2), le pilote de ma vie et la reine de mon bord. » Mais elle refusa tout sec, à l'effet de ramener au pays le corps de son matelot Auguste Loubet, dont elle porta le deuil dans son cœur, encore plus que par ses robes noires.

Oui, un vrai deuil, et qui fit trop jaser pas mal de mauvaises langues, rapport au testament.

Pour lors, Du Bocage étant dans la peine, sans compas, sans pilote, comme il disait, se décide, par chagrin d'amour, à contenter le roi Dom Pedro. N'ayant goût à rien de rien, il se laisse faire Portugais, marquis, capitaine de vaisseau, décoré de toutes sortes

(1) Phare. (2) Boussole.

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