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Voilà donc, Messieurs, notre œuvre, son dessein et son but. Le travail nous a beaucoup coûté, à raison des difficultés, de notre faible talent et du désir de bien faire ; mais notre récompense serait bien grande, si nous avions le bonheur de plaire à Dieu, ainsi qu'à vous-mêmes.

Nous avons l'honneur d'être, MM.

Vos très-humbles et obéissants serviteurs,

***

VIE DE LA SOEUR ÉLISABETH.

LIVRE PREMIER.

Ce fut le 3 juillet 1773, dans le château des Ages, paroisse de Saint-Genitour de la ville du Blanc (Indre), que vint au monde la bienheureuse Marie-Lucie-Élisabeth-Jeanne Bichier. Issue d'une famille honorable, sur laquelle l'un de ses oncles maternels, feu M. l'abbé de Moussac1, devait répandre bientôt l'éclat d'une réputation méritée. Elle reçut du ciel un de ces beaux naturels faits pour la vertu et qui semblent être la vertu même. En effet, si l'éducation domestique protégea les heureuses inclinations de son enfance, elles n'eurent rien à souffrir de l'éducation du dehors. Loin de là: placée à l'âge de dix ans dans un couvent d'Hospitalières, à Poitiers, elle s'y montra tout d'abord si reli

1 Voir les notes à la fin de ce livre.

gieuse et si retenue, qu'elle intéressait bien moins par les agréments de son âge que par les fruits prématurés de sa raison. Respect pour Dieu, docilité envers ses supérieures, aménité avec ses égales, humeur complaisante et gaie, application au travail, haine ou plutôt heureuse ignorance du mal, telles étaient comme les dispositions innées de la jeune élève, et les précieux germes des belles vertus dont le fond de sa vie devait un jour paraître orné, soit dans le monde, soit dans la religion. Rien n'était plus propre à les développer qu'une connaissance plus exacte des effets et des engagements du baptême, de la dignité sublime à laquelle il élève les chrétiens en les consacrant à Dieu, comme membres de son Fils, par la communication de l'onction du Saint-Esprit. Tout cela fut expliqué à la jeune Élisabeth sans doute avec plus d'étendue qu'elle ne l'avait appris. Pleine de candeur et du désir de l'instruction, elle saisit et agréa la douce et glorieuse fin de ce sacrement, qui est de retracer en soi la mort de Jésus-Christ par la mort au péché 1 et sa résurrection par une vie nouvelle, image aussi bien que l'effet de la sienne. Aussi vit-on bientôt l'amour des vrais biens suivre en elle les gradations des lumières de la foi. Déjà elle savait

1 Rom., VI, 4 et 5.

1

couvrir tous ses avantages du voile de l'humilité, et, comme si elle eût prévu sa destinée, elle se préparait, par des mortifications, aux grandes épreuves qu'elle devait subir un jour 1.. Elle conçut même dès lors de l'inclination pour la vie religieuse; elle s'arrêta avec complaisance à ces secrets mouvements, à cette douce odeur de parfum par laquelle il plaît quelquefois à Dieu d'y attirer, de si bonne heure, certaines âmes innocentes et prévenues de ses bénédictions. Heureux fruits d'une première communion faite à l'âge de douze ans, avec une si pieuse sensibilité, et qui venait d'identifier ce cœur, devenu plus pur encore, avec l'amour par excellence. Un peu plus tard, elle devait être fortifiée dans un si pieux attrait par la vue et les bénites paroles de deux édifiantes religieuses, qui passèrent chez ses parents pour faire la quête. C'étaient de pauvres dames de l'ordre de Sainte-Claire, ordre si fervent et si nombreux dans chacune de ses branches, qui, toutes réunies au tronc, composaient plus de quatre mille couvents et près de cent

1 Observation née d'une foi intelligente, chez M. Charles de Chergé (de Poitiers), qui, dans une Notice sur la sœur Élisabeth, s'est montré si jaloux et si digne de participer à l'héritage de gloire qu'elle a laissé à une famille dont il est devenu membre par un honorable et heureux mariage.

mille sujets. En songeant à se consacrer à Dieu, la jeune Élisabeth se préparait dès lors à tout le bien dont elle était capable; il s'agissait pour elle de n'avoir qu'à plaire à lui seul dans la sainteté du corps et de l'esprit 1; et déjà elle commençait à se dire intérieurement, avec l'épouse des Cantiques, ce qu'elle devait tant de fois répéter le reste de sa vie : «Mon bien-aimé est à moi, et je suis toute à lui 2. » Comme elle dut être bien écoutée de celui qui se nourrit parmi les lis, l'heureuse créature que, dès la véritable entréc dans la vie chrétienne, la grâce inspirait de se placer au rang des parfaits, et dans un âge où le simple désir d'être bon est déjà un grand mérite! Le sacrement de confirmation, qu'elle reçut le jour même, ne fit qu'étendre et fortifier ces premières impressions, en y joignant, entre autres dons du Saint-Esprit, celui de force, avec lequel une âme fidèle peut accomplir à tout prix les desseins de Dieu sur elle. On peut donc dire, dès ce moment, que le règne de Dieu et la puissance de son Christ' étaient dans son cœur. ›

1 Virgo cogitat quæ Domini sunt, ut sit sancta corpore et spiritu. (I Cor., VII, 34.)

2 Dilectus meus mihi, et ego illi, qui pascitur inter lilia. (Cant., 11, 16.)

3 Nunc regnum Dei nostri et potestas Christi. (Apoc., XII, 10.)

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