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servé; enfin cet air si touchant de décence et de modestie, dont le ciel a fait l'enseigne de la chasteté des vierges, le charme ou le frein de ceux qui les approchent. Quels droits déjà de fixer les esprits et d'intéresser les cœurs! Ce n'était pourtant là que le prélude et la voie d'une jouissanse plus complète; car, la conversation une fois engagée, les plus suaves impressions vous étaient préparées. En effet si, pour plaire, la jeune Élisabeth n'avait qu'à se montrer, il ne lui fallait, pour charmer, que se faire entendre. Sans doute que les qualités toutes naturelles de son élocution, de sa prononciation, de son ton de voix, servaient bien sa parole; mais elle était servie beaucoup mieux par les procédés aimables qui l'accompagnaient car on ne pouvait porter plus loin qu'elle ne le faisait le goût des convenances, la délicatesse des formes, l'affabilité pour les personnes, le soin de les rendre contentes de soi par l'intérêt qu'on témoigne à ce qu'elles disent, à ce qui les regarde; enfin le mérite d'un silence tantôt prudent, tantôt respectueux, devant celles qui imposent certaines précautions, ou à qui certains égards sont dus; en sorte que, s'il était difficile de la surpasser en agrément quand la politesse l'engageait à parler, il était plus difficile de l'imiter quand la discrétion l'obligeait à se taire : tant sa parole et son silence montraient tour à tour ce

qu'elle exerçait de vigilance sur son esprit, et ce qu'elle avait de bonheur dans la manière d'en produire au dehors les pensées choisies et mesurées. En remarquant son application à vous complaire, vous l'eussiez donc tout de suite jugée bien bonne; un instant après vous l'eussiez reconnue vraiment éclairée et vraiment pieuse, à ce qu'elle mêlait de teintes morales et religieuses aux bagatelles que, par une condescendance toute chrétienne, elle traitait au besoin avec beaucoup d'agrément; il ne pouvait donc y avoir qu'enseignement et joie dans sa compagnie, comme celle de la sagesse, réfléchissant sur elle ses charmes, sa lumière et sa vie 1. Ainsi, commencer à la voir et à l'entendre, c'était commencer à l'estimer, à l'aimer; et si vous eussiez été à la recherche d'un modèle d'aisance et de sagesse dans la manière de converser, elle vous en eût offert un véritable en sa personne; il n'eût plus été question que de la copier seulement les douces sensations et les bons exemples attachés à sa présence et à ses discours étaient souvent payés trop cher, au jugement de plusieurs, par la rareté et la briéveté du précieux avantage de s'être trouvés avec elle. Mais qu'ils devaient être consolés,

1 Decor enim vitæ est in illâ, et vincula illius alligatura salutaris. (Eccli., vi, 31.)

s'ils pensaient qu'une telle faveur était une grâce de plus que Dieu venait de lui accorder, pour les rapprocher de plus près de lui, puisque la jeune Élisabeth ne disait rien, ne montrait rien, comme elle ne pensait rien que de raisonnable et de vertueux!

C'était par un instinct de cette vertu céleste de modestie, que, comme les saintes femmes dont les Écritures vantent la beauté, parce qu'elle était en elles le pur éclat de la bonté, notre jeune et pudique vierge, hors de sa maison, dérobait aux regards publics, sous un grand voile, les innocents traits de la sienne; que le plus souvent, vêtue en blanc, couleur favorite des premiers fidèles, comme symbole et leçon de pureté, elle s'était vouée à cette simplicité de mise que le seul bon goût juge si noble et si gracieuse, si conforme à la nature et aux bonnes mœurs. Ce n'est pas que l'amour paternel n'eût pas un peu grossi sa garde-robe, y mêlant même quelques bijoux on se plaît à parer l'idole qu'on s'est faite, et l'on croit par là lui plaire. La jeune Élisabeth avait accepté ces frivoles et brillants gages d'un attachement humain, par respect pour la main qui les lui avait offerts; elle les avait impatiemment supportés, sans les aimer jamais, comme Esther1 avait fait des mar

1 Vous savez, ô mon Dieu, disait la pieuse reine, la nécessité où je me trouve, et qu'aux jours où je parais dans

ques de sa grandeur; et l'à-propos de s'en délivrer, elle ne l'avait pas manqué. Aussi rien d'affecté ni de précieux dans ses habits ne venait partager l'attention qu'excitaient l'intégrité de sa conduite et sa belle réputation de piété. Elle craignait tant l'effet le plus funeste de l'éblouissement que cause l'appareil du luxe aux yeux du vulgaire, celui de transporter à la vanité les sentiments d'estime et d'admiration qu'a donnés la nature à l'homme, en faveur de la vertu et de la vraie grandeur, parée sans art, et comme par les mains de son bon ange! elle ne se montrait donc que pour en retracer la pure image, avec la sienne propre, dans tous les esprits. Certes, en voyant une personne si agréable et si vertueuse, et néanmoins si simplement vêtue, on ne pensait pas qu'elle dût avoir besoin d'autre chose que d'elle-même pour intéresser vivement. Trouve-t-on à redire que la vigne qui produit le bon vin ne soit pas couverte de grappes et de pampres d'or? Mais ce qui couronnait le bel effet de ce costume symbolique, c'était que devenue avare, pour la toilette, et de l'argent et du temps qu'elle prodiguait pour

la magnificence et dans l'éclat, j'ai en abomination la marque de ma gloire: je la dédaigne comme un linge souillé et qui fait horreur; je ne la porte point dans les jours de mon silence...; que jamais votre servante ne s'est réjouie qu'en vous seul, o Seigneur, Dieu d'Abraham!(Esther, xiv, 19.)

l'aumône et la prière, elle consultait, dans l'achat de ses habits, l'esprit du Christianisme plus que les bienséances de son rang, et pour la durée de leur usage, bien plus les besoins du pauvre, qui durent toujours, que le caprice des modes, qui varient sans cesse : nouvelle et ravissante harmonie que saint Grégoire de Nazianze relève avec des paroles de triomphe dans l'éloge de Gorgonie sa sœur, quand il parle ainsi de cette femme, modèle entre tant d'autres femmes admirables de l'époque, et mère des pauvres par le même cœur dont elle aimait son mari et ses enfants < Jalouse uniquement de la beauté de l'âme, dit-il, elle dédaigna toujours cette variété infinie d'ornements recherchés par les femmes mondaines; elle ne s'abaissa jamais aux petits soins de se friser les cheveux ou de les descendre en spirales sur le front ou au bas du visage. Sa tête, trésor d'intelligence et de pensées divines, ne fut jamais couverte d'un honteuse appareil de théâtre qui en eût dégradé la noblesse; et sur sa figure toute céleste et digne du siècle futur, on ne vit point d'autres roses que le pudique incarnat de la chasteté, d'autres lis que la blancheur de l'abstinence. >

Après avoir savouré dans ce charmant tableau, fait il y a 1400 ans, tout ce que le mépris de la parure révèle, dans une femme, d'éléva

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