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DIOGÈNE.

Oui, je viens de rencontrer une troupe de fous là-bas. Je crois que ce sont eux. Est-ce que vous avez envie de donner le bal?

Pourquoi le bal?

PLUTON.

DIOGÈNE.

C'est qu'ils sont en fort bon équipage pour danser. Ils sont jolis, ma foi; je n'ai jamais rien vu de si dameret ni de si ga

lant.

PLUTON.

Tout beau, Diogène. Tu te mêles toujours de railler. Je n'aime point les satiriques. Et puis ce sont des héros pour lesquels on doit avoir du respect.

DIOGÈNE.

Vous en allez juger vous-même tout-à-l'heure; car je les vois déjà qui paroissent. Approchez, fameux héros, et vous aussi, héroïnes encore plus fameuses, autrefois l'admiration de toute la terre. Voici une belle occasion de vous signaler. Venez ici tous en foule.

PLUTON.

Tais-toi. Je veux que chacun vienne l'un après l'autre, accompagné tout au plus de quelqu'un de ses confidens. Mais avant tout, Minos, passons, vous et moi, dans ce salon que j'ai fait, comme je vous ai dit, préparer pour les recevoir, et où j'ai ordonné qu'on mît nos siéges, avec une balustrade qui nous sépare du reste de l'assemblée. Entrons. Bon. Voilà tout disposé ainsi que je le souhaitois. Suis-nous, Diogène. J'ai besoin de toi pour nous dire le nom des héros qui vont arriver. Car, de la manière dont je vois que tu as fait connoissance avec eux, personne ne me peut rendre ce service que toi.

Je ferai de mon mieux.

DIOGÈNE.

PLUTON.

Tiens-toi donc ici près de moi. Vous, gardes, au moment que j'aurai interrogé ceux qui seront entrés, qu'on les fasse passer dans les longues et ténébreuses galeries qui sont adossées à ce sa

lon, et qu'on leur dise d'y aller attendre mes ordres. Asseyonsnous. Qui est celui qui vient le premier de tous, nonchalamment appuyé sur son écuyer?

C'est le grand Cyrus.

DIOGÈNE.

PLUTON.

Quoi, ce grand roi qui transféra l'empire des Mèdes aux Perses, qui a tant gagné de batailles? De son temps les hommes venoient ici tous les jours par trente et quarante mille. Jamais personne n'y en a tant envoyé.

DIOGÈNE.

Au moins, ne l'allez pas appeler Cyrus.

Pourquoi?

PLUTON.

DIOGÈNE.

Ce n'est plus son nom. Il s'appelle maintenant Artamène.

PLUTON.

Artamène! Et où a-t-il pêché ce nom-là? Je ne me souviens point de l'avoir jamais lu.

DIOGÈNE.

Je vois bien que vous ne savez pas son histoire.

PLUTON.

Qui, moi? Je sais aussi bien mon Hérodote qu'un autre.

DIOGÈNE.

Oui. Mais avec tout cela, diriez-vous bien pourquoi Cyrus tant conquis de provinces, traversé l'Asie, la Médie, l'Hyrcanie, la Perse, et ravagé enfin plus de la moitié du monde?

PLUTON.

Belle demande! C'est que c'étoit un prince ambitieux, qui vouloit que toute la terre lui fût soumise.

DIOGÈNE.

Point du tout. C'est qu'il vouloit délivrer sa princesse qui avoit été enlevée.

Quelle princesse ?

PLUTON.

DIOGÈNE.

Mandane.

PLUTON.

Mandane?

DIOGÈNE.

Oui. Et savez-vous combien elle a été enlevée de fois?

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Voilà une beauté qui a passé par bien des mains.

DIOGÈNE.

Cela est vrai. Mais tous ses ravisseurs étoient les scélérats du monde les plus vertueux. Assurément ils n'ont pas osé lui toucher.

PLUTON.

J'en doute. Mais laissons là ce fou de Diogène. Il faut parler à Cyrus lui-même. Eh bien! Cyrus, il faut combattre. Je vous ai envoyé chercher pour vous donner le commandement de mes troupes. Il ne répond rien. Qu'a-t-il? Vous diriez qu'il ne sait où

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Tu me flattes, trop complaisant Féraulas. Es-tu si peu sage que de penser que Mandane, l'illustre Mandane puisse jamais tourner les yeux sur l'infortuné Artamène? Aimons-la toutefois. Mais aimerons-nous une cruelle? servirons-nous une insensible? Adorerons-nous une inexorable? Oui, Cyrus, il faut aimer une cruelle.

Oui, Artamène, il faut servir une insensible. Oui, fils de Cambyse, il faut adorer l'inexorable fille de Cyaxare.

PLUTON.

Il est fou. Je crois que Diogène a dit vrai.

DIOGÈNE.

Vous voyez bien que vous ne saviez pas son histoire. Mais faites approcher son écuyer Féraulas; il ne demande pas mieux que de vous la conter. Il sait par cœur tout ce qui s'est passé dans l'esprit de son maître, et a tenu un registre exact de toutes les paroles que son maître a dites en lui-même depuis qu'il est au monde, avec un rouleau de ses lettres qu'il a toujours dans sa poche. A la vérité, vous êtes en danger de bâiller un peu; car ses narrations ne sont pas fort courtes.

PLUTON.

Oh! j'ai bien le temps de cela !

CYRUS.

Mais, trop engageante personne....

PLUTON.

Quel langage? A-t-on jamais parlé de la sorte? Mais ditesmoi, vous, trop pleurant Artamène, est-ce que vous n'avez pas envie de combattre ?

CYRUS.

Eh! de grâce, généreux Pluton, souffrez que j'aille entendre l'histoire d'Aglatidas et d'Amestris, qu'on me va conter. Rendons ce devoir à ces deux illustres malheureux. Cependant voici le fidèle Féraulas que je vous laisse, qui vous instruira positivement de l'histoire de ma vie et de l'impossibilité de mon bonheur.

PLUTON.

Je n'en veux point être instruit, moi. Qu'on me chasse ce grand pleureux.

CYRUS.

Eh! de grâce!

PLUTON

Si tu ne sors....

CYRUS.

En effet....

PLUTON.

Si tu ne t'en vas..

CYRUS.

En mon particulier....

PLUTON.

Si tu ne te retires.... A la fin le voilà dehors. A-t-on jamais vu tant pleurer !

DIOGÈNE.

Vraiment il n'est pas au bout, puisqu'il n'en est qu'à l'histoire d'Aglatidas et d'Amestris. Il a encore neuf gros tomes à faire ce joli métier.

PLUTON.

Eh bien! qu'il remplisse, s'il veut, cent volumes de ses folies: j'ai d'autres affaires présentement qu'à l'entendre. Mais quelle est cette femme que je vois qui arrive?

DIOGÈNE.

Ne reconnoissez-vous pas Tomyris?

PLUTON.

Quoi! cette reine sauvage des Massagètes, qui fit plonger la tête de Cyrus dans un vaisseau de sang humain? Celle-ci ne pleurera pas, j'en réponds. Qu'est-ce qu'elle cherche ?

TOMYRIS.

Que l'on cherche partout mes tablettes perdues;

Mais que sans les ouvrir elles me soient rendues.

DIOGÈNE.

Des tablettes! Je ne les ai pas au moins. Ce n'est pas un meuble pour moi que des tablettes; et l'on prend assez de soin de retenir mes bons mots, sans que j'aie besoin de les recueillir moi-même dans des tablettes.

PLUTON.

Je pense qu'elle ne fera que chercher. Elle a tantôt visité tous les coins et les recoins de cette salle. Qu'y avoit-il donc de si précieux dans vos tablettes, grande reine?

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