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Le désolé vieillard, qui hait la raillerie,
Lui défend de parler, sort du lit en furie.

On apporte à l'instant ses somptueux habits,
Où sur l'ouate molle éclate le tabis.

D'une longue soutane il endosse la moire,
Prend ses gants violets, les marques de sa gloire,
Et saisit, en pleurant, ce rochet qu'autrefois
Le prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
Aussitôt, d'un bonnet ornant sa tête grise,
Déjà, l'aumusse en main, il marche vers l'église ;
Et, hâtant de ses ans l'importune langueur,

Court, vole, et le premier arrive dans le chœur.

O toi, qui, sur ces bords qu'une eau dormante mouille, Vis combattre autrefois le rat et la grenouille ';

Qui, par les traits hardis d'un bizarre pinceau,
Mis l'Italie en feu pour la perte d'un seau2;
Muse, prête à ma bouche une voix plus sauvage,
Pour chanter le dépit, la colère, la rage,
Que le chantre sentit allumer dans son sang
A l'aspect du pupitre élevé sur son banc.
D'abord, pâle et muet, de colère immobile,
A force de douleur, il demeura tranquille;
Mais sa voix, s'échappant au travers des sanglots,
Dans sa bouche à la fin fit passage à ces mots :
La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable
Que m'a fait voir un songe, hélas! trop véritable!
Je le vois ce dragon tout prêt à m'égorger,
Ce pupitre fatal qui me doit ombrager!

1 Homère a fait la Guerre des Rats et des Grenouilles. BOILEAU.
2 La Secchia rapita, poème italien. BOILEAU.

Prélat, que t'ai-je fait ? quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton ame ingénieuse?
Quoi! même dans ton lit, cruel, entre deux draps,
Ta profane fureur ne se repose pas!

O ciel! quoi! sur mon banc une honteuse masse
Désormais me va faire un cachot de ma place!
Inconnu dans l'église, ignoré dans ce lieu,

Je ne pourrai donc plus être vu que de Dieu!
Ah! plutôt qu'un moment cet affront m'obscurcisse,
Renonçons à l'autel, abandonnons l'office;

Et, sans lasser le ciel par des chants superflus,
Ne voyons plus un chœur où l'on ne nous voit plus
Sortons... Mais cependant mon ennemi tranquille
Jouira sur son banc de ma rage inutile,
Et verra dans le chœur le pupitre exhaussé
Tourner sur le pivot où sa main l'a placé!
Non, s'il n'est abattu, je ne saurois plus vivre.
A moi, Girot! je veux que mon bras m'en délivre.
Périssons, s'il le faut, mais de ses ais brisés

Entraînons, en mourant, les restes divisés.

A ces mots, d'une main par

la rage affermie, Il saisissoit déjà la machine ennemie,

Lorsqu'en ce sacré lieu, par un heureux hasard,
Entrent Jean le choriste et le sonneur Girard,
Deux Manceaux renommés, en qui l'expérience
Pour les procès est jointe à la vaste science.
L'un et l'autre aussitôt prend part à son affront.
Toutefois condamnant un mouvement trop prompt:
Du lutrin, disent-ils, abattons la machine :

Mais ne nous chargeons pas tous seuls de sa ruine;

Et

que tantôt, aux yeux du chapitre assemblé,

Il soit sous trente mains en plein jour accablé.

Ces mots des mains du chantre arrachent le pupitre. J'y consens, leur dit-il; assemblons le chapitre. Allez donc de ce pas, par de saints hurlements, Vous-mêmes appeler les chanoines dormants. Partez. Mais ce discours les suprend et les glace. Nous! qu'en ce vain projet, pleins d'une folle audace, Nous allions, dit Girard, la nuit nous engager!

De notre complaisance osez-vous l'exiger?

Hé! seigneur! quand nos cris pourroient du fond des rues De leurs appartements percer les avenues,

Réveiller ces valets autour d'eux étendus,

De leur sacré repos ministres assidus,
Et pénétrer des lits au bruit inaccessibles,
Pensez-vous, au moment que les ombres paisibles
A ces lits enchanteurs ont su les attacher,

:

Que la voix d'un mortel les en puisse arracher?
Deux chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire,
Ce que depuis trente ans six cloches n'ont pu faire?
Ah! je vois bien où tend tout ce discours trompeur,
Reprend le chaud vieillard le prélat vous fait peur.
Je vous ai vus cent fois sous sa main bénissante
Courber servilement une épaule tremblante.
Eh bien! allez, sous lui fléchissez les genoux :
Je saurai réveiller les chanoines sans vous.
Viens, Girot, seul ami qui me reste fidèle :
Prenons du saint jeudi la bruyante crecelle.
Suis-moi. Qu'à son lever le soleil aujourd'hui
Trouve tout le chapitre éveillé devant lui.

Il dit. Du fond poudreux d'une armoire sacrée Par les mains de Girot la crecelle est tirée. Ils sortent à l'instant, et, par d'heureux efforts, Du lugubre instrument font crier les ressorts. Pour augmenter l'effroi, la Discorde infernale Monte dans le Palais, entre dans la grand salle, Et, du fond de cet antre, au travers de la nuit, Fait sortir le démon du tumulte et du bruit. Le quartier, alarmé, n'a plus d'yeux qui sommeillent; Déjà de toutes parts les chanoines s'éveillent L'un croit que le tonnerre est tombé sur les toits, Et que l'église brûle une seconde fois ';

:

L'autre, encore agité de vapeurs plus funèbres,
Pense être au jeudi saint, croit que l'on dit ténèbres,
Et, déjà tout confus, tenant midi sonné,

En soi-même frémit de n'avoir point dîné.

Ainsi, lorsque, tout prêt à briser cent murailles, Louis, la foudre en main, abandonnant Versailles, Au retour du soleil et des zéphyrs nouveaux, Fait dans les champs de Mars déployer ses drapeaux, Au seul bruit répandu de sa marche étonnante, Le Danube s'émeut, le Tage s'épouvante, Bruxelle attend le coup qui la doit foudroyer,

Et le Batave encore est prêt à se noyer.

Mais en vain dans leurs lits un juste effroi les presse : Aucun ne laisse encor la plume enchanteresse. Pour les en arracher Girot s'inquiétant Va crier qu'au chapitre un repas les attend.

Le toit de la Sainte-Chapelle fut brûlé en 1618. BOILEAU.

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