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Va chercher un repos qu'il ne trouva jamais ;
Sans attendre qu'ici la justice ennemie
L'enferme en un cachot le reste de sa vie,
Ou que d'un bonnet vert1 le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvrent le front.
Mais le jour qu'il partit, plus défait et plus blême
Que n'est un pénitent sur la fin du carême,
La colère dans l'ame et le feu dans les yeux,

П distilla sa rage en ces tristes adieux :

Puisqu'en ce lieu, jadis aux muses si commode,

Le mérite et l'esprit ne sont plus à la mode;
Qu'un poète, dit-il, s'y voit maudit de Dieu,

Et qu'ici la vertu n'a plus ni feu ni lieu,

Allons du moins chercher quelque antre ou quelque roche
D'où jamais ni l'huissier ni le sergent n'approche;
Et, sans lasser le ciel par des vœux impuissants,
Mettons-nous à l'abri des injures du temps;
Tandis que, libre encor, malgré les destinées,
Mon corps n'est point courbé sous le faix des années,
Qu'on ne voit point mes pas sous l'âge chanceler,
Et qu'il reste à la Parque encor de quoi filer:
C'est là dans mon malheur le seul conseil à suivre.
Que George vive ici, puisque George y sait vivre;
Qu'un million comptant, par ses fourbes acquis,
De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis :
Que Jacquin vive ici, dont l'adresse funeste

A plus causé de maux que la guerre et la peste ;
Qui de ses revenus écrits par alphabet

Du temps que cette satire fut faite, un débiteur insolvable pouvait sortir de prison en faisant cession qu'on lui mit en pleine rue un bonnet vert sur la tête.

Peut fournir aisément un calepin complet ;

Qu'il règne dans ces lieux ; il a droit de s'y plaire. Mais moi, vivre à Paris! Eh! qu'y voudrois-je faire? Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir;

Et, quand je le pourrois, je n'y puis consentir.

Je ne sais point en lâche essuyer les outrages
D'un faquin orgueilleux qui vous tient à ses gages,
De mes sonnets flatteurs lasser tout l'univers,
Et vendre au plus offrant mon encens et mes vers :
Pour un si bas emploi ma muse est trop altière.
Je suis rustique et fier et j'ai l'ame grossière.
Je ne puis rien nommer si ce n'est par son nom;
J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon.
De servir un amant, je n'en ai pas l'adresse ;
J'ignore ce grand art qui gagne une maîtresse;
Et je suis, à Paris, triste, pauvre, reclus,
Ainsi qu'un corps sans ame ou devenu perclus.
Mais pourquoi, dira-t-on, cette vertu sauvage
Qui court à l'hôpital, et n'est plus en usage?
La richesse permet une juste fierté;
Mais il faut être souple avec la pauvreté :

C'est

par

là qu'un auteur que presse l'indigence

Peut des astres malins corriger l'influence,

Et

que le sort burlesque, en ce siècle de fer,

D'un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair Ainsi de la vertu la fortune se joue :

Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de sa roue, Qu'on verroit, de couleurs bizarrement orné, Conduire le carrosse où l'on le voit traîné,

Si dans les droits du roi sa funeste science

Par deux ou trois avis n'eût ravagé la France. Je sais qu'un juste effroi, l'éloignant de ces lieux, L'a fait pour quelques mois disparoître à nos yeux : Mais en vain pour un temps une taxe l'exile; On le verra bientôt pompeux, en cette ville, Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui, Et jouir du ciel même irrité contre lui; Tandis que Colletet, crotté jusqu'à l'échine, S'en va chercher son pain de cuisine en cuisine, Savant en ce métier, si cher aux beaux esprits, Dont Montmaur autrefois fit leçon dans Paris 1. Il est vrai que du roi la bonté secourable Jette enfin sur la muse un regard favorable, Et, réparant du sort l'aveuglement fatal, Va tirer désormais Phébus de l'hôpital. On doit tout espérer d'un monarque si juste : Mais sans un Mécénas à quoi sert un Auguste? Et fait comme je suis, au siècle d'aujourd'hui, Qui voudra s'abaisser à me servir d'appui? Et puis, comment percer cette foule effroyable De rimeurs affamés dont le nombre l'accable; Qui, dès que sa main s'ouvre, y courent les premiers, Et ravissent un bien qu'on devoit aux derniers ; Comme on voit les frelons, troupe lâche et stérile, Aller piller le miel que l'abeille distille?

Cessons donc d'aspirer à ce prix tant vanté

Que donne la faveur à l'importunité.

Saint-Amand n'eut du ciel que sa veine en partage :
L'habit qu'il eut sur lui fut son seul héritage,

1 Pierre de Montmaur, parasite célèbre.

Un lit et deux placets composoient tout son bien,

Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n'avoit rien. Mais quoi! las de traîner une vie importune,

Il engagea ce rien pour chercher la fortune,

Et, tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour, Conduit d'un vain espoir, il parut à la cour. Qu'arriva-t-il enfin de sa muse abusée ?

Il en revint couvert de honte et de risée ;

Et la fièvre, au retour terminant son destin,

Fit

par avance en lui ce qu'auroit fait la faim. Un poète à la cour fut jadis à la mode;

Mais des fous aujourd'hui c'est le plus incommode :
Et l'esprit le plus beau, l'auteur le plus poli,
N'y parviendra jamais au sort de l'Angeli '.

Faut-il donc désormais jouer un nouveau rôle ?
Dois-je, las d'Apollon, recourir à Barthole,
Et, feuilletant Louet, allongé par Brodeau,
D'une robe à longs plis balayer le barreau ?
Mais à ce seul penser je sens que je m'égare.
Moi! que j'aille crier dans ce pays barbare,
Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois
Errer dans les détours d'un dédale de lois,

Et, dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes;
Où Patru gagne moins qu'Huot et Le Mazier,
Et dont les Cicérons se font chez Pé-Fournier!

Avant

On

qu'un tel dessein m'entre dans la pensée, pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée,

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Arnauld à Charenton devenir huguenot,
Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin bigot.
Quittons donc pour jamais une ville importune
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune,
Où le vice orgueilleux s'érige en souverain,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main ;
Où la science, triste, affreuse, délaissée,
Est partout des bons lieux comme infâme chassée ;
Où le seul art en vogue est l'art de bien voler;
Où tout me choque enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme si froid ne seroit plein de bile
A l'aspect odieux des mœurs de cette ville?
Qui pourroit les souffrir? et qui, pour les blâmer,
Malgré muse et Phébus, n'apprendroit à rimer?
Non, non, sur ce sujet pour écrire avec grâce,
Il ne faut point monter au sommet du Parnasse,
Et, sans aller rêver dans le double vallon,
La colère suffit, et vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie.

A quoi bon ces grands mots? doucement, je vous prie : Ou bien montez en chaire, et là, comme un docteur, Allez de vos sermons endormir l'auditeur :

C'est là que bien ou mal on a droit de tout dire.

Ainsi parle un esprit qu'irrite la satire, Qui contre ses défauts croit être en sûreté

En raillant d'un censeur la triste austérité;

Qui fait l'homme intrépide, et, tremblant de foiblesse,
Attend pour croire en Dieu que la fièvre le presse;
Et, toujours dans l'orage au ciel levant les mains,
que l'air est calmé, rit des foibles humains.

Dès

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