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Mais les trois champions, pleins de vin et d'audace,
Du Palais cependant passent la grande place;
Et, suivant de Bacchus les auspices sacrés,
De l'auguste Chapelle ils montent les degrés.
Ils atteignoient déjà le superbe portique
Où Ribou le libraire, au fond de sa boutique,
Sous vingt fidèles clefs, garde et tient en dépôt
L'amas toujours entier des écrits de Haynaut :
Quand Boirude, qui voit que le péril approche,
Les arrête, et, tirant un fusil de sa poche,

Des veines d'un caillou, qu'il frappe au même instant,
Il fait jaillir un feu qui pétille en sortant,

Et bientôt, au brasier d'une mèche enflammée,
Montre, à l'aide du soufre, une cire allumée.
Cet astre tremblotant, dont le jour les conduit,
Est pour eux un soleil au milieu de la nuit.
Le temple à sa faveur est ouvert par Boirude;
Ils passent de la nef la vaste solitude,

Et dans la sacristie entrant, non sans terreur,
En percent jusqu'au fond la ténébreuse horreur.

C'est là que du lutrin gît la machine énorme :
La troupe quelque temps en admire la forme.
Mais le barbier, qui tient les moments précieux :
Ce spectacle n'est pas pour amuser nos yeux,

Dit-il le temps est cher, portons-le dans le temple ;

:

C'est là qu'il faut demain qu'un prélat le contemple.

Et d'un bras, à ces mots, qui peut tout ébranler,
Lui-même, se courbant, s'apprête à le rouler.

1 Ribou, libraire, avoit imprimé, en 1669, une comédie de Boursaut contre notre auteur, intitulée, la Satire des Satires.

Mais à peine il y touche, & prodige incroyable!
Que du pupitre sort une voix effroyable.
Brontin en est ému; le sacristain pâlit,
Le perruquier commence à regretter son lit.
Dans son hardi projet toutefois il s'obstine;
Lorsque des flancs poudreux de la vaste machine
L'oiseau sort en courroux, et, d'un cri menaçant,
Achève d'étonner le barbier frémissant :

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De ses ailes dans l'air secouant la poussière,
Dans la main de Boirude il éteint la lumière.
Les guerriers à ce coup demeurent confondus;
Ils regagnent la nef, de frayeur éperdus :

Jony Johanneh

Sous leurs corps tremblotants leurs genoux s'affoiblissent;
D'une subite horreur leurs cheveux se hérissent;

Et bientôt, au travers des ombres de la nuit,

Le timide escadron se dissipe et s'enfuit.

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Ainsi, lorsqu'en un coin, qui leur tient lieu d'asile, D'écoliers libertins une troupe indocile,

Loin des yeux d'un préfet au travail assidu,

Va tenir quelquefois un brelan défendu :
Si du veillant argus la figure effrayante
Dans l'ardeur du plaisir à leurs yeux se présente,
Le jeu cesse à l'instant, l'asile est déserté,
Et tout fuit à grands pas le tyran redouté.

La Discorde, qui voit leur honteuse disgrâce,
Dans les airs cependant tonne, éclate, menace,
Et, malgré la frayeur dont leurs cœurs sont glacés,
S'apprête à réunir ses soldats dispersés.
Aussitôt de Sidrac elle emprunte l'image :

Elle ride son front, allonge son visage,
Sur un bâton noueux laisse courber son corps,
Dont la chicane semble animer les ressorts;
Prend un cierge en sa main, et, d'une voix cassée,
Vient ainsi gourmander la troupe terrassée :

Lâches, où fuyez-vous ? quelle peur vous abat?
Aux cris d'un vil oiseau vous cédez sans combat?
Où sont ces beaux discours jadis si pleins d'audace?
Craignez-vous d'un hibou l'impuissante grimace?
Que feriez-vous, hélas! si quelque exploit nouveau
Chaque jour, comme moi, vous traînoit au barreau ;
S'il falloit, sans amis, briguant une audience,
D'un magistrat glacé soutenir la présence,
Ou, d'un nouveau procès hardi solliciteur,
Aborder sans argent un clerc de rapporteur?
Croyez-moi, mes enfants, je vous parle à bon titre :
J'ai moi seul autrefois plaidé tout un chapitre;

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