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Bientôt vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du destin des Latins prononcer les oracles;
De Styx et d'Achéron peindre les noirs torrents,
Et déjà les Césars dans l'Élysée errants.

:

De figures sans nombre égayez votre ouvrage; Que tout y fasse aux yeux une riante image On peut être à la fois et pompeux et plaisant; Et je hais un sublime ennuyeux et pesant. J'aime mieux Arioste et ses fables comiques, Que ces auteurs toujours froids et mélancoliques, Qui dans leur sombre humeur se croiroient faire affront Si les Grâces jamais leur déridoient le front.

On diroit que pour plaire, instruit par la nature,

Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture.

Son livre est d'agréments un fertile trésor :
Tout ce qu'il a touché se convertit en or;
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce;
Partout il divertit, et jamais il ne lasse.
Une heureuse chaleur anime ses discours :

Il ne s'égare point en de trop longs détours.
Sans garder dans ses vers un ordre méthodique,
Son sujet de soi-même et s'arrange et s'explique :
Tout, sans faire d'apprêts, s'y prépare aisément;
Chaque vers, chaque mot court à l'événement.
Aimez donc ses écrits, mais d'un amour sincère :
C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

Un poème excellent, où tout marche et se suit,
N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit.
Il veut du temps, des soins; et ce pénible ouvrage
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage.

Mais souvent parmi nous un poète sans art,
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hasard,
Enflant d'un vain orgueil son esprit chimérique,
Fièrement prend en main la trompette héroïque :
Sa muse déréglée, en ses vers vagabonds,
Ne s'élève jamais que par sauts et par bonds;
Et son feu, dépourvu de sens et de lecture,
S'éteint à chaque pas, faute de nourriture.
Mais en vain le public, prompt à le mépriser,
De son mérite faux le veut désabuser;
Lui-même applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l'encens qu'on lui dénie :
Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention;
Homère n'entend point la noble fiction.

Si contre cet arrêt le siècle se rebelle,
A la postérité d'abord il en appelle ;
Mais attendant qu'ici le bon sens de retour
Ramène triomphants ses ouvrages au jour,
Leurs tas au magasin, cachés à la lumière,
Combattent tristement les vers et la poussière.
Laissons-les donc entre eux s'escrimer en repos ;
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
Des succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naquit la comédie antique.

Là le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisants
Distilla le venin de ses traits médisants.

Aux accès insolents d'une bouffonne joie
La sagesse, l'esprit, l'honneur, furent en proie.
On vit par le public un poète avoué
S'enrichir aux dépens du mérite joué;

Et Socrate par lui, dans un chœur de nuées,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arrêta le cours :
Le magistrat des lois emprunta le secours,
Et rendant par édit les poètes plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages.
Le théâtre perdit son antique fureur :
La comédie apprit à rire sans aigreur,
Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir :
L'avare, des premiers, rit du tableau fidèle
D'un avare souvent tracé sur son modèle ;
Et mille fois un fat finement exprimé
Méconnut le portrait sur lui-même formé.

Que la nature donc soit votre étude unique, Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique. Quiconque voit bien l'homme, et, d'un esprit profond, De tant de cœurs cachés a pénétré le fond;

Qui sait bien ce que c'est qu'un prodigue, un avare,
Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bizarre,

Sur une scène heureuse il peut les étaler,
Et les faire à nos yeux vivre, agir et parler.
Présentez-en partout les images naïves;

Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.

La nature, féconde en bizarres portraits,

Dans chaque ame est marquée à de différents traits;
Un geste la découvre, un rien la fait paroître :
Mais tout esprit n'a pas des yeux pour la connoître.

Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs :
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l'impression des vices;

Est vain dans ses discours, volage en ses désirs,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.

L'âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s'intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,
Et loin dans le présent regarde l'avenir.

La vieillesse chagrine incessamment amasse;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse :
Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé ;
Toujours plaint le présent et vante le passé ;
Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse.
Ne faites point parler vos acteurs au hasard,

Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.
Étudiez la cour, et connoissez la ville :

L'une et l'autre est toujours en modèles fertile.
C'est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,

Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l'agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin :
Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe
Je ne reconnois plus l'auteur du Misanthrope.
Le comique, ennemi des soupirs et des pleurs,
N'admet point en ses vers de tragiques douleurs ;

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