Page images
PDF
EPUB

extravagances dont il a guéri son siècle et jusqu'ici préservé les âges suivants. A toutes les époques, depuis 1666, et spécialement à celles où l'on a tenté de le déprécier, les éditions de ses œuvres se sont multipliées à tel point, qu'il nous serait impossible d'indiquer toutes celles qui mériteraient d'être distinguées. Il en a lui-même publié quatre, entre lesquelles il préférait celle de 1701. Après sa mort, il a eu pour éditeurs Renaudot, Brossette, Dumonteil, Souchai, et en 1747, Saint-Marc. La plupart de leurs notes ont été recueillies dans l'édition de 1772. Celles du poète Denis Lebrun ont paru en 1808. On a pour la première fois rassemblé tous les écrits de Boileau en vers et en prose, y compris ses lettres, dans l'édition stéréotype de 1809. Toutes celles qui ont suivi jusqu'en 1858 prouvent qu'il y a peu d'apparence que les chefs-d'œuvre de ce poète cessent de sitôt d'être étudiés.

[merged small][graphic]
[graphic][subsumed]

Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse N'est point le fruit tardif d'une lente vieillesse, Et qui seul, sans ministre, à l'exemple des Dieux, Soutiens tout par toi-même, et vois tout par tes yeux, Grand roi, si jusqu'ici, par un trait de prudence, J'ai demeuré pour toi dans un humble silence, Ce n'est pas que mon cœur, vainement suspendu, Balance pour t'offrir un encens qui t'est dû : Mais je sais peu louer, et ma muse tremblante Fuit d'un si grand fardeau la charge trop pesante, Et, dans ce haut éclat où tu te viens offrir, Touchant à tes lauriers, craindroit de les flétrir.

Ainsi, sans m'aveugler d'une vaine manie,

Je mesure mon vol à mon foible génie :

Plus sage en mon respect que ces hardis mortels
Qui d'un indigne encens profanent tes autels;
Qui, dans ce champ d'honneur, où le gain les amène,
Osent chanter ton nom sans force et sans haleine,
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix,
T'ennuyer du récit de tes propres exploits.

L'un, en style pompeux habillant une églogue,
De ses rares vertus te fait un long prologue,
Et mêle, en se vantant soi-même à tout propos,
Les louanges d'un fat à celles d'un héros.

Et

L'autre, en vain se lassant à polir une rime,

reprenant vingt fois le rabot et la lime, Grand et nouvel effort d'un esprit sans pareil! Dans la fin d'un sonnet te compare au soleil.

Sur le haut Hélicon leur veine méprisée
Fut toujours des neuf Sœurs la fable et la risée.
Calliope jamais ne daigna leur parler,

Et Pégase pour eux refuse de voler.

Cependant, à les voir, enflés de tant d'audace,
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnasse
On diroit qu'ils ont seuls l'oreille d'Apollon,
Qu'ils disposent de tout dans le sacré vallon :
C'est à leurs doctes mains, si l'on veut les en croire,
Que Phébus a commis tout le soin de ta gloire;

Et ton nom, du midi jusqu'à l'Ourse vanté,
Ne devra qu'à leurs vers son immortalité.
Mais plutôt, sans ce nom, dont la vive lumière
Donne un lustre éclatant à leur veine grossière,

Ils verroient leurs écrits, honte de l'univers

Pourrir dans la poussière à la merci des vers.

A l'ombre de ton nom ils trouvent leur asile,

Comme on voit dans les champs un arbrisseau débile, Qui, sans l'heureux appui qui le tient attaché, Languiroit tristement sur la terre couché.

Ce n'est pas que ma plume, injuste et téméraire,
Veuille blâmer en eux le dessein de te plaire;
Et, parmi tant d'auteurs, je veux bien l'avouer,
Apollon en connoît qui te peuvent louer ;

Oui, je sais qu'entre ceux qui t'adressent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles.
Mais je ne puis souffrir qu'un esprit de travers,
Qui, pour rimer des mots, pense faire des vers,
Se donne en te louant une gêne inutile;
Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile :
Et j'approuve les soins du monarque guerrier
Qui ne pouvoit souffrir qu'un artisan grossier
Entreprît de tracer, d'une main criminelle,
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle.

Moi donc, qui connois peu Phébus et ses douceurs,
Qui suis nouveau sevré sur le mont des neuf Sœurs,
Attendant que pour toi l'âge ait mûri ma muse,
Sur de moindres sujets je l'exerce et l'amuse :
Et, tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,

Et retient les méchants par
la peur
des supplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices ;
Et, gardant pour moi-même une juste rigueur,
Je confie au papier les secrets de mon cœur.

Ainsi, dès qu'une fois ma verve se réveille,
Comme on voit au printemps la diligente abeille
Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des sottises du temps je compose mon fiel :
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine ;
Et, sans gêner ma plume en ce libre métier,
Je la laisse au hasard courir sur le papier.

Le mal est qu'en rimant ma muse, un peu légère,
Nomme tout par son nom, et ne sauroit rien taire.
C'est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps,
Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs au dedans;
Ils tremblent qu'un censeur, que sa verve encourage,
Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage,
Et, fouillant dans leurs mœurs en toute liberté,
N'aille du fond du puits tirer la vérité.

Tous ces gens, éperdus au seul nom de satire,
Font d'abord le procès à quiconque ose rire:
Ce sont eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout est renversé,

Au moindre bruit qui court qu'un auteur les menace
De jouer des bigots la trompeuse grimace;

Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux,
C'est offenser les lois, c'est s'attaquer aux cieux.
Mais, bien que d'un faux zèle ils masquent leur foiblesse,
Chacun voit qu'en effet la vérité les blesse :

En vain d'un lâche orgueil leur esprit revêtu
Se couvre du manteau d'une austère vertu ;
Leur cœur, qui se connoît, et qui fuit la lumière,
S'il se moque de Dieu, craint Tartufe et Molière.

« PreviousContinue »