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ICOLAS BOILEAU-DESPRÉAUX naquit le 1er novembre 1636, à Paris ou à Crône. Cette seconde tradition est moins probable; on assure pourtant que son surnom de DESPRÉAUX vient d'un petit pré de ce village. Il n'avait pas douze mois quand il perdit sa mère, pas vingt ans quand mourut son père, greffier du conseil de la grand' chambre. Onzième enfant de cette famille, atteint, dès ses jeunes de maladies graves, languissant et délaissé, il

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dit au sein des douleurs et des contradictions. Il était né dans un greffe il fut condamné à devenir avocat; mais,

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ayant lu des romans et fait des vers, il ne goûta ni la science des légistes, ni surtout ce qu'ils appelaient leur pratique, et ne s'étudia qu'à les convaincre de son entière inaptitude; il y réussit. Pour mieux échapper au barreau, il s'avisa de se réfugier dans une école de théologie; et le plus grave de ses historiens, l'académicien de Boze, nous dit, en propres termes, qu'il y retrouva la chicane, qui n'avait fait que changer d'habit. Dès lors il résolut de se consacrer aux lettres. Deux de ses frères, Gilles et Jacques, se sont engagés dans la même carrière. Jacques, docteur de Sorbonne, n'a guère écrit que sur des matières ecclésiastiques, et la plupart de ses livres sont en langue latine; mais GILLES, auteur de poésies françaises, de traductions en vers et en prose et de quelques autres productions, a été l'un des quarante immortels de l'Académie française, vingt-cinq ans avant Nicolas. Celui-ci ne souffrit pas toujours sans murmures les hauteurs et les dédains de ce frère aîné. Ils ont eu ensemble des démêlés dont on retrouve des vestiges dans les ouvrages du plus jeune ; toutefois ils se réconcilièrent, et Nicolas demeura si fidèle à cette amitié fraternelle, qu'il se fit l'éditeur des œuvres posthumes de Gilles.

Despréaux nous a conservé lui-même quelques-uns de ses premiers vers, deux chansons, un sonnet, une ode, faibles essais qui ne méritaient pas le nom de préludes. Son véritable début est de l'année 1660, la vingt-quatrième de son âge; c'est l'époque de sa première satire, intitulée Adieux d'un poète à la ville de Paris, et de celle où sont décrits les embarras de cette grande cité, toutes

deux déjà remarquables par la pureté du style, par une versification élégante, par le talent, alors bien rare, d'exprimer les détails les plus rebelles et d'ennoblir les plus vulgaires. L'auteur avait été admis à lire ces deux pièces au sein d'une société fameuse, où présidaient la marquise de Rambouillet et sa fille, la duchesse de Montausier. Là brillaient Chapelain et Cotin, révérés comme des oracles. Le jeune Despréaux n'eut pas le bonheur de leur plaire; il n'admira pas non plus leur génie, leur goût, leur savoir; il sortit de l'Hôtel-Rambouillet plus satirique qu'il n'y était entré. Dans le cours des sept années suivantes, il publia les cinq satires que les éditions nomment la septième, la deuxième, la quatrième, la troisième et la cinquième. Celle qui a pour sujet le genre satirique même peut sembler inférieure au modèle latin qu'elle imite; une autre est une assez médiocre esquisse des folies humaines; mais celle qui expose les difficultés de l'art d'écrire en vers français a du moins le mérite de les surmonter. Plusieurs des traits satiriques dont la description d'un festin ridicule est parsemée, sont restés mémorables, et la pièce qui commence par déclarer que la noblesse n'est point une chimère, a pu contribuer à propager l'opinion contraire. Quoi qu'il en soit, les deux meilleures satires de Boileau sont la huitième et la neuvième, composées en 1667 l'une peint sous de vives couleurs les travers et les vices de la race humaine, telle que les sociétés l'ont faite ; l'autre, adressée par le poète à son propre esprit, offre un brillant tissu d'idées ingénieuses et d'expressions poétiques; on y voit quelle force et même quelle

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grâce une raison sévère peut ajouter à l'atticisme de la diction et à la verve du style. Il y a vingt-six ans d'intervalle entre cette excellente satire et la dixième, où les femmes sont si amèrement censurées. Une si longue distance explique ou même excuse l'affaiblissement que, malgré de riches détails et de très-beaux vers, on a cru remarquer ici dans le talent du poète, et que rendent de plus en plus sensibles ses deux dernières satires, où il s'agit de l'honneur et de l'équivoque. On y reconnaît souvent encore l'auteur des neuf premières, mais descendu à son treizième et à son quatorzième lustre. De ces douze satires, trois sont purement littéraires; et Despréaux, en composant les neuf autres, a fréquemment trouvé ou cherché les occasions de critiquer les vers ou la prose d'un grand nombre de ses contemporains. Jeune encore, il signalait tous les écueils de l'art d'écrire, la bizarrerie des sujets et l'inconvenance des styles, l'insipide afféterie et la grossièreté triviale, la sécheresse et la prolixité, la négligence et la contrainte, la froideur et l'emphase. Le mauvais goût n'a point de travers qu'il ne condamne, non seulement dans les auteurs déjà méprisés, dans vingt académiciens dès lors obscurs, mais surtout dans les coryphées du monde littéraire, dans les Chapelain, les Cotin, les Scuderi, noms aujourd'hui sans honneur, fantômes alors révérés; dans ce Charles Perrault, qui, ayant contracté de bonne heure la facile habitude des intrigues, mettait son étude à multiplier ses relations avec les grands, avec les gens de lettres, avec les artistes, et parvenait à soutenir sa réputation littéraire par l'idée qu'il faisait prendre

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