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entendent aussi qu'elles sont plus petites à mesure; et qu'ils regardent le firmament au travers d'un petit verre, pour se familiariser avec cette connoissance, en voyant chaque partie du ciel et chaque partie du verre.

Mais s'ils ne peuvent comprendre que des parties, si petites qu'elles nous sont imperceptibles, puissent être autant divisées que le firmament, il n'y a pas de meilleur remède que de les leur faire regarder avec des lunettes qui grossissent cette pointe délicate jusqu'à une prodigieuse masse; d'où ils concevront aisément que, par le secours d'un autre verre encore plus artistement taillé, on pourroit les grossir jusqu'à égaler ce firmament dont ils admirent l'étendue. Et ainsi, ces objets leur paroissant maintenant très facilement divisibles, qu'ils se souviennent que la nature peut infiniment plus que l'art.

Car enfin, qui les a assurés que ces verres auront changé la grandeur naturelle de ces objets, ou s'ils auront, au contraire, rétabli la véritable, que la figure de notre œil avoit changée et raccourcie, comme font les lunettes qui amoindrissent? Il est fâcheux de s'arrêter à ces bagatelles; mais il y a des temps de niaiser.

Il suffit de dire à des esprits clairs en cette matière, que deux néants d'étendue ne peuvent pas faire une étendue. Mais parcequ'il y en a qui prétendent échapper à cette lumière par cette merveilleuse réponse, que deux néants d'étendue peuvent aussi bien faire une étendue que deux unités, dont aucune n'est nombre, font un nombre par leur assemblage, il faut leur répartir qu'ils pourroient opposer de la même sorte que vingt mille hommes font une armée, quoique aucun d'eux ne soit armée; que mille maisons font une ville, quoique aucune ne soit ville; ou que les parties font le tout, quoique aucune ne soit le tout; ou, pour demeurer dans la comparaison des nombres, que deux binaires font le quaternaire, et dix dizaines une centaine, quoique aucun ne le soit. Mais ce n'est pas avoir l'esprit juste que de confondre, par des comparaisons si inégales, la nature immuable des choses avec leurs noms libres et volontaires, et dépendant du caprice des hommes qui les ont composés. Car il est clair que, pour faciliter les discours, on a donné le nom d'armée à vingt mille hommes, celui de ville à plusieurs maisons, ce

lui de dizaine à dix unités, et que de cette liberté naissent les noms d'unité, binaire, quaternaire, dizaine, centaine, différents par nos fantaisies, quoique ces choses soient en effet de même genre par leur nature invariable, et qu'elles soient toutes proportionnées entre elles, et ne diffèrent que du plus ou du moins, et quoique, ensuite de ces noms, le binaire ne soit pas quaternaire, ni une maison une ville, non plus qu'une ville n'est pas une maison. Mais quoique une maison ne soit pas une ville, elle n'est pas néanmoins un néant de ville; il y a bien de la différence entre n'être pas une chose et en être un néant.

Car, afin qu'on entende la chose à fond, il faut savoir que la seule raison pour laquelle l'unité n'est pas au rang des nombres, est qu'Euclide et les premiers auteurs qui ont traité d'arithmétique, ayant plusieurs propriétés à donner, qui convenoient à tous les nombres, hormis à l'unité, pour éviter de dire souvent qu'en tout nombre, hors l'unité, telle condition se rencontre, ils ont exclu l'unité de la signification du mot de nombre, par la liberté que nous avons déjà dit qu'on a de faire à son gré des définitions. Aussi, s'ils eussent voulu, ils en eussent de même exclu le binaire et le ternaire, et tout ce qui leur eût plu; car on en est maître, pourvu qu'on en avertisse: comme au contraire l'unité se met, quand on veut, au rang des nombres, et les fractions de même. Et en effet, l'on est obligé de le faire dans les propositions générales, pour éviter de dire à chaque fois, à tout nombre et à l'unité et aux fractions, une telle propriété convient ; et c'est en ce sens indéfini que je l'ai pris dans tout ce que j'en ai écrit.

Mais le même Euclide, qui a ôté à l'unité le nom de nombre, ce qui lui a été permis, pour faire entendre néanmoins qu'elle n'en est pas un néant, mais qu'elle est, au contraire, du même genre, définit ainsi les grandeurs homogènes.Les grandeurs, dit-il, sont dites être de même genre, lorsque l'une, étant plusieurs fois multipliée, peut arriver à surpasser l'autre; et par conséquent, puisque l'unité peut, étant multipliée plusieurs fois, surpasser quelque nombre que ce soit, elle est de même genre que les nombres, précisément par son essence et par sa nature immuable, dans le sens du même Euclide, qui a voulu qu'elle ne fût pas appelée nombre.

Il n'en est pas de même d'un indivisible à l'é- | zéro d'étendue. On trouvera un pareil rapport entre le repos et le mouvement, et entre un instant et le temps; car toutes ces choses sont hétérogènes à leurs grandeurs, parcequ'étant infiniment multipliées, elles ne peuvent jamais faire que des indivisibles, non plus que les indivisibles d'étendue, et par la même raison. Et alors on verra une correspondance parfaite entre ces choses; car toutes ces grandeurs sont divisibles à l'infini, sans tomber dans leurs indivisibles, de sorte qu'elles tiennent toutes le milieu entre l'infini et le néant.

gard d'une étendue ; car non seulement il diffère de nom, ce qui est volontaire, mais il diffère de genre, par la même définition; puisqu'un indivisible, multiplié autant de fois qu'on voudra, est si éloigné de pouvoir surpasser une étendue, qu'il ne peut jamais former qu'un seul et unique indivisible; ce qui est naturel et nécessaire, ainsi que nous l'avons déja montré. Et comme cette dernière preuve est fondée sur la définition de ces deux choses indivisible et étendue, on va achever et consommer la démonstration.

Un indivisible est ce qui n'a aucune partie, et l'étendue est ce qui a diverses parties séparées. Sur ces définitions, je dis que deux indivisibles, étant unis, ne font pas une étendue.

Car, quand ils sont unis, ils se touchent chacun en une partie ; et ainsi les parties par où ils se touchent ne sont pas séparées, puisque autrement elles ne se toucheroient pas. Or, par leur définition, ils n'ont point d'autres parties; donc ils n'ont pas de parties séparées; donc ils ne sont pas une étendue, par la définition de l'étendue qui porte la séparation des parties.

On montrera la même chose de tous les autres indivisibles qu'on y joindra, par la même raison. En partant, un indivisible, multiplié autant qu'on voudra, ne fera jamais une étendue. Donc il n'est pas de même genre que l'étendue, par la définition des choses du même genre.

Voilà comment on démontre que les indivisibles ne sont pas de même genre que les nombres. De là vient que deux unités peuvent bien faire un nombre, parcequ'elles sont de même genre, et que deux indivisibles ne font pas une étendue, parcequ'ils ne sont pas de même genre. D'où l'on voit combien il y a peu de raison de comparer le rapport qui est entre l'unité et les nombres à celui qui est entre les indivisibles et l'étendue.

Mais si l'on veut prendre dans les nombres une comparaison qui représente avec justesse ce que nous considérons dans l'étendue, il faut que ce soit le rapport du zéro aux nombres; car le zéro n'est pas du même genre que les nombres, parcequ'étant multiplié, il ne peut les surpasser. De sorte que c'est un véritable indivisible de nombre, comme l'indivisible est un véritable

Voilà l'admirable rapport que la nature a mis entre ces choses et les deux merveilleuses infinités qu'elle a proposées aux hommes, non pas à concevoir, mais à admirer; et pour en finir la considération par une dernière remarque, j'ajouterai que ces deux infinis, quoique infiniment différents, sont néanmoins relatifs l'un à l'autre de telle sorte, que la connoissance de l'un mène nécessairement à la connoissance de l'autre.

Car dans les nombres, de ce qu'ils peuvent toujours être augmentés, il s'ensuit absolument qu'ils peuvent toujours être diminués, et cela est clair; car si l'on peut multiplier un nombre jusqu'à cent mille, par exemple, on peut aussi en prendre une cent-millième partie, en le divisant par le même nombre qu'on le multiplie; et ainsi tout terme d'augmentation deviendra terme de division en changeant l'entier en fraction. De sorte que l'augmentation infinie enferme nécessairement aussi la division infinie.

Et dans l'espace, le même rapport se voit entre ces deux infinis contraires, c'est-à-dire que, de ce qu'un espace peut être infiniment prolongé, il s'ensuit qu'il peut être infiniment diminué, comme il paroît en cet exemple: si on regarde au travers d'un verre un vaisseau qui s'éloigne toujours directement, il est clair que le lieu du corps diaphane où l'on remarque un point tel qu'on voudra du navire, haussera toujours par un flux continuel, à mesure que le vaisseau fuit. Donc, si la course du vaisseau est toujours allongée et jusqu'à l'infini, ce point haussera continuellement; et cependant il n'arrivera jamais à celui où tombera le rayon horizontal mené de l'œil au verre, de sorte qu'il en approchera toujours sans y arriver jamais, divisant sans cesse l'espace qui restera sur ce point

horizontal, sans y arriver jamais. D'où l'on voit | naire, quoique contre la nature, est celle de la

la conséquence nécessaire qui se tire de l'infinité de l'étendue du cours du vaisseau à la division infinie et infiniment petite de ce petit espace restant au-dessous de ce point horizontal. Ceux qui ne seront pas satisfaits de ces raisons, et qui demeureront dans la croyance que l'espace n'est pas divisible à l'infini, ne peuvent rien prétendre aux démonstrations géométriques; et quoiqu'ils puissent être éclairés en d'autres choses, ils le seront fort peu en celles-ci; car on peut aisément être très habile homme et mauvais géomètre.

Mais ceux qui verront clairement ces vérités pourront admirer la grandeur et la puissance de la nature dans cette double infinité qui nous environne de toutes parts, et apprendre, par cette considération merveilleuse, à se connoître eux-mêmes, en se regardant placés entre une infinité et un néant d'étendue, entre une infinité et un néant de nombre, entre une infinité et un néant de mouvement, entre une infinité et un néant de temps. Sur quoi on peut apprendre à s'estimer son juste prix, et former des réflexions très importantes qui valent mieux que tout le reste de la géométrie même.

J'ai cru être obligé de faire cette longue considération en faveur de ceux qui, ne comprenant pas d'abord cette double infinité, sont capables d'en être persuadés; et, quoiqu'il y en ait plusieurs qui aient assez de lumière pour s'en passer, il peut néanmoins arriver que ce discours, qui sera nécessaire aux uns, ne sera pas entièrement inutile aux autres.

ARTICLE III.

De l'art de persuader.

L'art de persuader a un rapport nécessaire à la manière dont les hommes consentent à ce qu'on leur propose, et aux conditions des choses qu'on veut faire croire.

Personne n'ignore qu'il y a deux entrées par où les opinions s'insinuent dans l'ame, qui sont ces deux principales puissances : l'entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l'entendement; car on ne devroit jamais consentir qu'aux vérités démontrées : mais la plus ordi

volonté; car tout ce qu'il y a d'hommes sont presque toujours emportés à croire, non pas par la preuve, mais par l'agrément. Cette voie est basse, indigne et étrangère: aussi tout le monde la désavoue. Chacun fait profession de ne croire, et même de n'aimer que ce qu'il sait le mériter.

Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n'aurois garde de faire tomber sous l'art de persuader; car elles sont infiniment au-dessus de la nature; Dieu seul peut les mettre dans l'ame, et par la manière qu'il lui plait. Je sais qu'il a voulu qu'elles entrent du cœur dans l'esprit, et non pas de l'esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme qui s'est toute corrompue par ses indignes attachements. Et de là vient qu'au lieu qu'en parlant des choses humaines, on dit qu'il faut les connoître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe; les saints, au contraire, disent, en parlant des choses divines, qu'il faut les aimer pour les connoître, et qu'on n'entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences.

En quoi il paroît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l'ordre qui devoit être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre, en faisant des choses profanes ce qu'ils devoient faire des choses saintes, parcequ'en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l'éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. Dites-nous des choses agréables, et nous vous écouterons, disoient les Juifs à Moïse; comme si l'agrément devoit régler la croyance! Et c'est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu'après avoir dompté la rebellion de la volonté par une douceur toute céleste, qui la charme et qui l'entraîne.

Je ne parle donc que des vérités de notre portée; et c'est d'elles que je dis que l'esprit et le cœur sont comme les portes par où elles sont reçues dans l'ame; mais que bien peu entrent par l'esprit, au lieu qu'elles y sont introduites

en foule par les caprices téméraires de la vo- | mais qui sont en même temps contraires aux lonté, sans le conseil du raisonnement!

Ces puissances ont chacune leurs principes et les premiers moteurs de leurs actions.

Ceux de l'esprit sont des vérités naturelles et connues à tout le monde, comme que le tout est plus grand que sa partie, outre plusieurs axiomes particuliers, que les uns reçoivent, et non pas d'autres; mais qui, dès qu'ils sont admis, sont aussi puissants, quoique faux, pour emporter la croyance, que les plus véritables.

plaisirs qui nous touchent le plus. Et celles-là sont en grand péril de faire voir, par une expérience qui n'est que trop ordinaire, ce que je disois au commencement, que cette ame impérieuse, qui se vantoit de n'agir que par raison, suit, par un choix honteux et téméraire, ce qu'une volonté corrompue desire, quelque résistance que l'esprit trop éclairé puisse y opposer.

C'est alors qu'il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connoissance de l'un et le sentiment de l'autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu'il faudroit, pour en juger, connoître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l'homme, que l'homme même ne connoît presque jamais.

Ceux de la volonté sont de certains desirs naturels et communs à tous les hommes, comme le desir d'être heureux, que personne ne peut ne pas avoir, outre plusieurs objets particuliers que chacun suit pour y arriver, et qui, ayant la force de nous plaire, sont aussi forts, quoique pernicieux en effet, pour faire agir la volonté, que s'ils faisoient son véritable bonheur. Voilà pour ce qui regarde les puissances qui sonne à qui on en veut, dont il faut connoitre nous portent à consentir.

Mais pour les qualités des choses que nous devons persuader, elles sont bien diverses.

Les unes se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées. Celles-là peuvent être infailliblement persuadées; car, en montrant le rapport qu'elles ont avec les principes accordés, il y a une nécessité inévitable de convaincre ; et il est impossible qu'elles ne soient pas reçues dans l'ame dès qu'on a pu les enrôler à ces vérités déja admises.

Il y en a qui ont une liaison étroite avec les objets de notre satisfaction; et celles-là sont encore reçues avec certitude. Car aussitôt qu'on fait apercevoir à l'ame qu'une chose peut la conduire à ce qu'elle aime souverainement, il est inévitable qu'elle ne s'y porte avec joie. Mais celles qui ont cette liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées, et avec les desirs du cœur, sont si sûres de leur effet, qu'il n'y a rien qui le soit davantage dans la nature, comme, au contraire, ce qui n'a de rapport ni à nos croyances, ni à nos plaisirs, nous est importun, faux et absolument étranger.

En toutes ces rencontres il n'y a point à douter. Mais il y en a où les choses qu'on veut faire croire sont bien établies sur des vérités connues,

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Il paroît de là que, quoi que ce soit qu'on veuille persuader, il faut avoir égard à la per

l'esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime; et ensuite remarquer dans la chose dont il s'agit quel rapport elle a avec les principes avoués ou avec les objets censés délicieux, par les charmes qu'on leur attribue. De sorte que l'art de persuader consiste autant en celui d'agréer qu'en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprices que par raison!

Or, de ces deux méthodes, l'une de convaincre, l'autre d'agréer, je ne donnerai ici les règles que de la première; et encore au cas qu'on ait accordé les principes, et qu'on demeure ferme à les avouer : autrement je ne sais s'il y auroit un art pour accommoder les preuves à l'inconstance de nos caprices. La manière d'agréer est bien, sans comparaison, plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable; aussi si je n'en traite pas, c'est parceque je n'en suis pas capable; et je m'y sens tellement disproportionné, que je crois pour moi la chose absolument impossible.

Ce n'est pas que je croie qu'il n'y ait des règles aussi sûres pour plaire que pour démontrer ; et que celui qui les sauroit parfaitement connoître et pratiquer, ne réussit aussi sûrement à se faire aimer des rois et de toutes sortes de personnes, qu'à démontrer les éléments de la géométrie à ceux qui ont assez d'imagination pour en com

prendre les hypothèses. Mais j'estime, et c'est peut-être ma foiblesse qui me le fait croire, qu'il est impossible d'y arriver. Au moins je sais que, si quelqu'un en est capable, ce sont des personnes que je connois, et qu'aucun autre n'a sur cela de si claires et de si abondantes lumières.

La raison de cette extrême difficulté vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. Ils sont divers en tous les hommes, et variables dans chaque particulier, avec une telle diversité, qu'il n'y a point d'homme plus différent d'un autre que de soi-même, dans les divers temps. Un homme a d'autres plaisirs qu'une femme; un riche et un pauvre en ont de différents; un prince, un homme de guerre, un marchand, un bourgeois, un paysan, les vieux, les jeunes, les sains, les malades, tous varient; les moindres accidents les changent.

Or, il y a un art, et c'est celui que je donne, pour faire voir la liaison des vérités avec leurs principes, soit de vrai, soit de plaisir, pourvu que les principes qu'on a une fois avoués demeurent fermes et sans être jamais démentis.

Mais comme il y a peu de principes de cette sorte, et que, hors de la géométrie, qui ne considère que des figures très-simples, il n'y a presque point de vérités dont nous demeurions toujours d'accord, et encore moins d'objets de plaisirs dont nous ne changions à toute heure, je ne sais s'il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l'inconstance de nos caprices.

Cet art, que j'appelle l'art de persuader, et qui n'est proprement que la conduite des preuves méthodiques et parfaites, consiste en trois parties essentielles: à expliquer les termes dont on doit se servir par des définitions claires; à proposer des principes ou axiomes évidents, pour prouver les choses dont il s'agit; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis.

La raison de cette méthode est évidente, puisqu'il seroit inutile de proposer ce qu'on veut prouver, et d'en entreprendre la démonstration, si on n'avoit auparavant défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles; qu'il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des principes évidents qui y sont

nécessaires; car, si l'on n'assure le fondement, on ne peut assurer l'édifice; et qu'il faut enfin, en démontrant, substituer mentalement les définitions à la place des définis, puisque autrement on pourroit abuser des divers sens qui se rencontrent dans les termes. Il est facile de voir qu'en observant cette méthode, on est sûr de convaincre, puisque les termes étant tous entendus et parfaitement exempts d'équivoques par les définitions, et les principes étant accordés, si, dans la démonstration, on substitue toujours mentalement les définitions à la place des définis, la force invincible des conséquences ne peut manquer d'avoir tout son effet.

Aussi jamais une démonstration dans laquelle ces circonstances sont gardées n'a pu recevoir le moindre doute; et jamais celles où elles manquent ne peuvent avoir de force.

Il importe donc bien de les comprendre et de les posséder; et c'est pourquoi, pour rendre la chose plus facile et plus présente, je les donnerai toutes en peu de règles, qui enferment tout ce qui est nécessaire pour la perfection des définitions, des axiomes et des démonstrations, et par conséquent de la méthode entière des preuves géométriques de l'art de persuader.

Règles pour les définitions.

I. N'entreprendre de définir aucune des choses tellement connues d'elles-mêmes, qu'on n'ait point de termes plus clairs pour les expliquer.

II. N'omettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques sans définition.

III. N'employer dans la définition des termes que des mots parfaitement connus, ou déja expliqués.

Règles pour les axiomes.

I. N'omettre aucun des principes nécessaires sans avoir demandé si on l'accorde, quelque clair et évident qu'il puisse être.

II. Ne demander, en axiomes, que des choses parfaitement évidentes d'elles-mêmes.

Règles pour les démonstrations.

I. N'entreprendre de démontrer aucune des choses qui sont tellement évidentes d'elles

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